Comme toutes les légendes, celle-ci a la vie dure. En vendant ses parts de Nice-Matin au Groupe Hachette, fin 1997, Michel Bavastro aurait conditionné sa signature à une promesse : que Michel Comboul ne devienne jamais p.-d.g. du journal. Vrai ou faux ? L’intéressé hausse les épaules, affecte un sourire mystérieux et s’en tire par une pirouette : « Ce n’est pas ce qui s’est produit. Le reste est sans importance.  »

À 79 ans, le fils de Raymond Comboul pose toujours le même regard ironique, un rien moqueur, sur les événements. Et botte en touche lorsque les faits ne se plient pas exactement à « sa » vérité.

Michel est « tombé dans la marmitte de Nice-Matin quand [il était] petit ». À l’heure où il pousse son premier cri, le 26 juillet 1946, son père, héros de la Résistance, compte déjà parmi les cofondateurs du quotidien. Il est en culottes courtes lorsque Raymond lui fait découvrir le ventre bouillonnant de l’entreprise – l’imprimerie de l’avenue Jean-Médecin – et son cœur battant : la rédaction.

Des actions payées 8 000 francs revendues 45 000 francs

Après une maîtrise d’histoire, il devient journaliste en 1970. Il est promu chef d’agence à Cannes huit ans plus tard, puis à Nice au début des années quatre-vingt. « J’ai également dirigé le service des informations générales et l’édition corse avant de devenir rédacteur en chef adjoint, balaye-t-il. Alors, oui, on peut dire que je connais bien cette entreprise !  »

Michel Comboul la connaît d’autant mieux qu’il est alors l’un des principaux actionnaires du journal. Grâce à son père, décédé en 1978, il détient avec sa mère Monique et son frère Gérard plus de 20 % du capital. « Des parts qui, lorsqu’on écoutait Michel Bavastro, ne valaient pas grand-chose », ricane-t-il.

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C’est à ce titre qu’il se trouve « embringué » – selon ses termes – dans un conflit virulent. En avril 1994, Bavastro acquiert sept cents actions auprès de porteurs minoritaires – essentiellement la famille Buchet et la veuve d’un ancien ouvrier typographe. Il les paye entre 8 000 et 25 000 francs (1) l’unité. En novembre, il en rétrocède quatre cents au Groupe Havas au prix de 45 000 francs pièce (2).

« Cette opération réalisée en catimini modifiait les équilibres et lésait les autres actionnaires, décrypte Michel Comboul. Pour faire contrepoids, je suis allé voir Jean-Luc Lagardère chez Hachette, qui m’a offert 60 000 francs par action.  »

Cette vente parallèle est finalement bloquée par le conseil d’administration présidé par… Michel Bavastro. Le 26 juin 1995, ce dernier écrit aux sept cents salariés pour les alerter sur « le danger » que représenterait l’entrée au capital du Groupe Hachette, propriétaire honni du Provençal, dont le but serait « d’unifier les journaux de Marseille, Toulon et Nice […] avec une administration centralisée ».

« Michel Comboul a ouvert les fenêtres du bunker »

Ce conflit s’apaise, le 14 octobre 1996, après la démission de Michel Bavastro, remplacé par son fils Gérard. Michel Comboul est nommé vice-président.

« Malheureusement, Gérard était déjà atteint par le cancer qui l’a emporté à 51 ans, se souvient l’ancien journaliste. Je suis convaincu que c’est ce qui a poussé son père à céder ses parts à Jean-Luc Lagardère, l’homme qu’il avait toujours présenté comme le Diable.  »

Le 5 février 1998, Hachette prend officiellement le contrôle de Nice-Matin. Le repreneur obtient une majorité absolue grâce à l’appui de Michel Comboul, qui échange in fine ses propres titres contre des actions Lagardère. Gérard Bavastro est maintenu à son poste jusqu’à son décès, survenu dans la nuit du 14 au 15 mars. Cinq jours plus tard, Comboul est élu p.-d.g. avec l’appui des représentants du personnel.

« Nous avons soutenu le moins mauvais successeur possible, justifie Charles Guerrin, alors secrétaire de la Coopérative de main-d’œuvre (3). Michel Comboul a ‘‘ouvert les fenêtres’’ du bunker. Il nous évitait d’avoir pour patron un quelconque Parisien aux ordres de l’actionnaire, ignorant tout de la presse régionale et des particularismes locaux. Ce qui s’était passé à Marseille, en Corse et à Toulon, depuis que le groupe de Lagardère avait repris La Provence [en 1987, Ndlr], était éclairant…  »

« C’était dur à avaler »

La nomination de Comboul rassure les salariés. Mais, assez vite, certains « tripatouillages capitalistiques » sèment le trouble. « Il y a d’abord eu le rachat de Var-matin par Nice-Matin, rappelle Guerrin. Que Hachette se soit vendu Var-matin à lui-même à un prix exorbitant (4) en asséchant les réserves financières de Nice-Matin n’était pas illicite, mais tout de même dur à avaler. Tout comme, en 1999, la création imposée de Corse-Presse, propriété à 50-50 de Nice-Matin et de La Provence, alors que la valeur de Corse-Matin était quatre fois plus élevée que celle de La Corse !  »

Aujourd’hui encore, Michel Comboul persiste et signe : « Le bilan de ces opérations a été positif. Pour Var-matin, on s’est largement remboursé par la revalorisation de la société.  »

Le Niçois insiste, par ailleurs, sur « la totale liberté » accordée par l’actionnaire pour gérer le journal. « Le vrai changement est survenu après le décès de Jean-Luc Lagardère en mars 2003, affirme l’ancien p.-d.g. Son fils, Arnaud, exigeait une rentabilité à deux chiffres. Dans la presse, ça n’existe pas…  »

Souvenir ambivalent

Des rumeurs de cession commencent à circuler. Le Monde est intéressé, mais l’affaire est finalement conclue avec le Groupe Hersant Média (GHM).

« J’avais personnellement œuvré pour cette solution, rappelle Comboul, avec une pointe d’amertume. C’était un groupe de presse avec une tradition familiale ; ça ressemblait assez à Nice-Matin. Finalement, ça s’est plutôt mal terminé, n’est-ce pas ?  »

Il ne sera plus en poste pour voir la fin de l’histoire, écrite en 2014 dans le bruit et la fureur. Après plusieurs semaines de bras de fer avec GHM, il est révoqué le 31 janvier 2008. Jean-Paul Louveau, ex-président du directoire des Journaux du Midi, le remplace.

Le souvenir laissé par Michel Comboul est ambivalent. A-t-il été le dernier rempart avant la mainmise des grands groupes sur Nice-Matin, ou est-il celui qui leur a déroulé le tapis rouge pour servir ses propres intérêts ?

P.-d.g. entre deux mondes, entre deux ères, il reste l’héritier d’une saga familiale qui a marqué près de soixante ans d’histoire de la presse sur la Côte d’Azur.

1. L’équivalent de 1 977 et 6 179 euros 2024.

2. L’équivalent de 11 123 euros 2024.

3. Nice-Matin était alors une Société anonyme à participation ouvrière (Sapo) avec 2 350 actions dites « de travail », incessibles, détenues par les salariés, et 9 400 actions dites « de capital ». La « Coopé » disposait de trois représentants sur douze au conseil d’administration.

4. Nice-Matin, propriété du Groupe Hachette, a racheté Var-matin au… Groupe Hachette pour la somme de 164 millions de francs.

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