Publié le
27 sept. 2025 à 17h32
« Parti de rien, Martinet a accompli une trajectoire exemplaire : il est arrivé nulle part. » Cette phrase, écrite par Jean-Pierre Martinet lui-même dans sa notice biographique, est peut-être sa plus connue. Né à Libourne en 1944 et mort en 1993 dans la même ville, l’auteur girondin est tombé dans l’oubli, toujours méconnu du grand public malgré des rééditions de ses œuvres au début du siècle. Charles Garatynski, habitant de Bordeaux, veut réhabiliter sa mémoire et a lancé une pétition pour rebaptiser de son nom une « impasse sordide » de la capitale girondine ou de Libourne.
L’écrivain de la noirceur
Son œuvre « n’est pas très optimiste », ironise Charles Garatynski. Les romans de Jean-Pierre Martinet sont caractérisés par une profonde noirceur. « Ils sont traversés par le désespoir, avec une tendresse et une vulnérabilité très françaises », souligne le passionné ce jeudi 25 septembre 2025.
La vie de Jean-Pierre Martinet n’a pas plus été couronnée de succès que son œuvre. Lorsqu’il quitte Libourne, c’est pour entreprendre des études de cinéma à Paris. Il finit par les abandonner et ouvrir une maison de la presse à Tours – qui a fait faillite. En parallèle, il écrit quelques romans, dont Jérôme (1978), aujourd’hui considéré comme son chef-d’œuvre.
« Découragé par son manque de succès, il a longtemps dit qu’il abonnerait l’écriture », explique Charles Garatynski. « En 1989, il est retourné chez sa mère à Libourne où il est mort à 48 ans, alcoolique et hémiplégique. » Il tombe alors dans l’oubli.
Un auteur méconnu
« Depuis le milieu des années 2000, il y a eu quelques rééditions de ses romans. Des écrivains français contemporains* le redécouvrent, mais il reste méconnu », souligne le porteur de la pétition qui a eu l’agréable surprise de voir une petite table consacrée à l’auteur dans la librairie Mollat il y a quelques mois.
Lui-même a découvert l’auteur libournais il y a quatre ans. « Je suis assez curieux des auteurs oubliés. Il y a de la richesse où on ne l’attend pas, et on peut tomber sur des perles telles que les romans de Jean-Pierre Martinet », affirme le jeune poète et aspirant romancier.
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À l’époque, on diagnostique un trouble bipolaire à Charles Garatynski, et le jeune homme s’interroge beaucoup : « Pourquoi moi ? Je me sentais à vif dans le monde, je n’avais jusque-là pas croisé de voix aussi vulnérable que celle de Martinet ».
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« Je suis né à Bordeaux en 1998 d’une mère polonaise arrivée sans papiers en France. J’ai grandi dans une société où l’homme a besoin de conserver une posture d’autorité, de froideur qui ne doit pas être ébréchée. L’œuvre de Martinet m’a touché : la vulnérabilité affichée d’un homme m’a encouragé à dévoiler la mienne. »
Fin août, alors qu’il vient de finir le premier jet de son premier roman, il s’embarque dans une mission pour réhabiliter Jean-Pierre Martinet. « Son œuvre a influencé mon style et m’a beaucoup apporté quand je n’allais pas très bien. Maintenant que je vais mieux, j’aimerais lui rendre hommage. »
« Il n’existe rien pour Jean-Pierre Martinet »
« Il n’existe rien pour Jean-Pierre Martinet, nulle part en France. Une impasse ignoble de Paris a été renommée pour Roland Topor qui avait un peu le même profil », affirme le jeune homme. « Je ne voulais pas tomber dans un conflit mémoriel. Si, pour réhabiliter le nom de quelqu’un, on en efface un autre, on n’en finit jamais. Mais j’ai réalisé qu’il existe de nombreuses rues au nom moche ou banal en France. »
Charles Garatynski lance alors sa pétition. « Je ne pensais pas obtenir plus de dix signatures ni être pris au sérieux. Je me suis dit que quitte à être ridicule, autant aller jusqu’au bout et tourner l’initiative en dérision. L’œuvre de Jean-Pierre Martinet souligne l’impasse de l’Homme devant ses failles… alors pourquoi pas renommer une impasse », s’amuse le Bordelais. Encore mieux, si c’est « la plus sordide possible ».
Mais qui renomme les rues ?
Le choix des noms de rue relève des autorités municipales depuis 1982. Les habitants ont le droit de faire des propositions, auprès du conseil municipal ou via une pétition.
À Bordeaux, c’est la commission de viographie qui est chargée de repenser les noms de l’espace public. Composée d’élus, d’agents municipaux et d’experts, elle « étudie les propositions des citoyens et des associations pour nommer les nouvelles voies et équipements municipaux », peut-on lire sur le site de la mairie.
Si Martinet est lié à Libourne, Charles Garatynski aimerait surtout l’honorer dans sa ville de Bordeaux, capitale girondine. « Il existe plein d’impasses ici. Et puis Bordeaux est la ville des trois M, ça en ferait un de plus. Montaigne a été maire de Bordeaux, certes, mais Mauriac est très lié à Malagar, Montesquieu à La Brède… Pourquoi pas Jean-Pierre Martinet ? », ironise l’écrivain.
Pourtant en un mois, sa pétition a récolté un peu plus de 200 signatures. L’initiative est notamment soutenue par deux maisons d’édition qui ont réédité l’auteur, dont les Bordelais de Finitude. Le jeune homme attend d’avoir un peu plus de soutien pour faire officiellement part de son initiative auprès des mairies de Bordeaux et de Libourne.
*Une trajectoire exemplaire (2024), de Nagui Zinet. « Une forêt cachée. 156 portraits d’écrivains oubliés » (2013), d’Éric Dussert.
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