À Kiev, il est celui qui, avec Volodymyr Zelensky, décide des destinées de l’Ukraine. Andriy Yermak n’est pas seulement le chef omnipotent de l’administration présidentielle, il est aussi celui qui parle à l’oreille des Américains, négocie avec les Russes.
De retour de l’Assemblée générale de l’ONU, il s’est confié vendredi à un nombre restreint de publications européennes, dont La Tribune Dimanche.
LA TRIBUNE DIMANCHE — Quel bilan faites-vous de l’Assemblée générale de l’ONU qui s’est déroulée cette semaine ?
ANDRIY YERMAK — La visite du président Zelensky et de notre équipe à New York a été très fructueuse. Nous avons rencontré un nombre record de dirigeants internationaux. Et puis le président, lors de ses différents discours et à la tribune des Nations unies, a pu passer des messages très clairs, notamment concernant la nouvelle structure européenne de sécurité. Elle correspond parfaitement aux défis auxquels nous faisons face, comme toutes les violations récentes des espaces aériens de l’Otan et de l’Europe. La rencontre avec le président américain a aussi été un succès. Le monde entier a pu se rendre compte d’un vrai changement dans la rhétorique de nos partenaires américains. Nous allons continuer à travailler et dialoguer. Il n’a échappé à personne que nous avons deux accords potentiels très importants concernant les armes américaines et les drones ukrainiens.
Comment expliquer la volte-face de Donald Trump sur l’Ukraine après son rendez-vous avec Volodymyr Zelensky ?
Ce que nous avons vu à New York est, je pense, le fruit du travail considérable de notre président, de nos équipes et, bien sûr, de nos partenaires. Le président Trump s’est dit absolument convaincu que l’Ukraine ne perdra pas cette guerre et que la Russie ne la gagnera pas. C’est probablement la première fois que nous entendons une position aussi ouverte et positive de la part des États-Unis. C’est un progrès majeur. Par ailleurs, nous avons eu des discussions plus concrètes sur la façon de renforcer l’Ukraine. Je ne peux pas vous donner tous les détails, mais je peux dire que cela a trait à certaines armes et à certains éléments nécessaires à la défense de l’Ukraine.
Mais les déclarations de Trump sont assez floues pour signifier aussi un désengagement américain en Ukraine…
Je ne partage pas cet avis. Au vu des mots de Donald Trump ou des échanges que nous avons eus avec les responsables américains, il paraît clair que les États-Unis ne cherchent pas à réduire leur participation au processus de paix. Bien sûr, nous devons continuer à travailler. Nous devons aussi réfléchir à la manière dont les Européens peuvent cesser d’acheter du pétrole et du gaz russes. Sur ce point, l’Ukraine possède l’un des plus grands stocks de gaz naturel d’Europe. Nous sommes prêts à coopérer.
Qu’attendez-vous de la réunion informelle des dirigeants européens qui se déroule à Copenhague la semaine prochaine ?
Ce sera une excellente occasion pour le président Zelensky, qui y assistera, de discuter avec ses partenaires des prochaines étapes, comme la création d’un bouclier dans le ciel ukrainien pour protéger notre pays et notre peuple des drones et missiles balistiques russes. Il sera aussi très important d’examiner ce qui se passe dans le ciel du Danemark, de la Pologne, de l’Estonie et d’autres pays. Et puis nous discuterons des moyens à mettre en œuvre pour contraindre la Russie à de véritables négociations. Nous pensons toujours qu’un cessez-le-feu et l’ouverture de négociations constituent la meilleure voie pour parvenir à la paix. Malheureusement, nous ne voyons aucun signe positif venir de Moscou. L’intensification des pressions, notamment par les sanctions, et le renforcement des liens entre l’Europe, les États-Unis et l’Ukraine concernant la production militaire sont donc essentiels.
Que pensez-vous de la proposition du chancelier allemand d’allouer un prêt de 140 milliards de dollars à l’Ukraine en mobilisant les avoirs russes gelés en Europe ?
Nous sommes convaincus que la Russie devra payer pour cette guerre, pour ses crimes, mais nous comprenons aussi parfaitement que l’utilisation de ces avoirs gelés n’est pas chose facile. La suggestion du chancelier Merz constitue une avancée majeure, car la production de nos drones et l’achat d’armes aux États-Unis et à d’autres pays nécessitent des fonds.
La réaction de l’Otan aux incursions russes dans le ciel européen n’est-elle pas trop mesurée ?
D’abord, il faut comprendre qu’à travers ces provocations la Russie essaie de tester l’Otan, de collecter des informations, de localiser certains sites. L’Europe doit donc les considérer de manière très sérieuse. Pour autant, je ne pense pas que l’Otan ou l’Europe soient faibles. Je pense même que l’Europe est plus forte qu’elle ne le pense. Il faut s’inspirer de cette célèbre expression : « si tu veux la paix, prépare la guerre ». Car la Russie, si elle entrevoit une faiblesse, n’hésitera pas à l’exploiter.
Considérez-vous que l’Europe est déjà en guerre avec la Russie ?
Si l’on parle de la guerre hybride, alors oui, elle a déjà commencé. J’espère simplement que cela ne deviendra pas une guerre réelle. Mais quoi qu’il arrive, nous, Ukrainiens, sommes prêts à vous protéger et si nécessaires à nous battre à vos côtés. Tout le monde sait que la prochaine génération de conflits sera une guerre des drones. Or l’Ukraine est devenue leader dans ce domaine. Nous avons déjà commencé à collaborer avec certains pays et nous allons intensifier nos efforts. Le président est très ouvert à l’ouverture partielle de l’exportation de certaines armes.