On les jette, on les oublie, et pourtant… Ils racontent notre histoire. Les déchets ménagers, témoins silencieux de nos modes de vie, sont au cœur d’une exposition surprenante et passionnante aux Archives de Bordeaux Métropole. Intitulée « Le fabuleux destin des déchets ménagers, une épopée métropolitaine du XIVe au XXIe siècle », cette plongée dans les poubelles du passé (et du présent) en dit beaucoup sur notre société et devrait pousser le public à reconsidérer ce que nous voyons comme de simples ordures.
« La sélection a été terrible » : Jean-Cyril Lopez, responsable du service des publics des Archives et commissaire de l’expo, reconnaît qu’il y avait d’abord beaucoup à… trier pour sélectionner la centaine de documents, films, objets parmi les 18 km de linéaires des Archives de Bordeaux Métropole, avec la contrainte des 150 m² de l’espace dévolu au projet.
Première trace écrite en 1336
Une véritable enquête qui débute par l’immersion, de nos jours, de la Compagnie Ola avec les services de la Métropole, sur le terrain de la collecte. Puis on fait un grand bond dans le temps, sept siècles en arrière, avec la toute première mention écrite, sur parchemin, le 11 août 1336, parmi les 29 articles des règlements des maire et jurats de Bordeaux, que « nul ne doit jeter de la paille ou des ordures […] sous peine de 65 sous d’amende ».
Les épidémies menacent, la collecte est confiée aux « fermiers des boues », premiers entrepreneurs du genre
Au XVIe siècle, les déchets occupent alors les abords de la cité bordelaise, « rempart qui s’ajoute au premier » comme l’a écrit Camille Jullian. Une fouille archéologique près de la place Gambetta, alors hors les murs, comme le montre un extraordinaire dessin à la plume de Léo Drouyn, donne à voir les habitudes de l’époque : huîtres plates, coquillages et fragments de céramiques et un canif avec lame rentrée.
Les épidémies menacent la population, la collecte est confiée aux « fermiers des boues », premiers entrepreneurs du genre. Les tombeliers emplissent des tombereaux. Les premiers « bourriers » sont situés place du Palais-Gallien et sur les quais : « Les détritus sont alors transportés en bateaux du côté de Libourne et Saint-Denis-de-Pile pour servir d’engrais aux paysans. L’économie circulaire avant l’heure », sourit Jean-Cyril Lopez.
Tombeliers et chiffonniers
Au XIXe siècle, ère de l’industrialisation, les chiffonniers recyclent à Mériadeck, le quartier chaud de Bordeaux, avec une population décrite par une note de la mairie comme « généralement tarés, grossiers et violents, sans probité ni moralité » (sic). Depuis 1883, la collecte des déchets est gérée en régie directe par la Ville de Bordeaux.
L’usine municipales d’incinérations des ordures de Bordeaux mise en service en 1933.
Archives Bordeaux Métropole Fi XXIX E
Au siècle suivant, ce sont les premiers camions-poubelles motorisés dans les années 1920-1930, les taxes pour les particuliers (1926). « À l’époque, Bordeaux et sa métropole croulent sous les déchets », souligne Jean-Cyril Lopez. En 1933, la première usine d’incinération à Bacalan est mise en service, mais elle ne survivra pas à la baisse d’activité de la Deuxième Guerre mondiale.
La longue file des camions poubelles dans les années 1950, image extraite du film « Coup de balai » de Pierre Thomas.
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Avec les Trente Glorieuses « fleurissent » les grandes décharges comme celle du chemin de Labarbe, sur 8 hectares à Bordeaux. Il est temps de mutualiser la charge pour les communes. C’est la création en 1965 du Sivom, et celle, très attendue, de la Communauté urbaine de Bordeaux (CUB) trois ans plus tard.
Incitation à utiliser les nouveaux sacs individuels.
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Après la première distribution de sacs de collectes individuels (1984), les quarante dernières années voient arriver la collecte mécanisée (1986), le plan Trivac (trier, recycler, incinérer, valoriser, communiquer) en réponse à la loi Royal de 1992 qui interdit d’enfouir les déchets et les déchetteries devenues centres de recyclages un peu partout dans la métropole. Enfin, le complexe Astria de Bègles est conçu comme un « geste » architectural en plus de concentrer les dernières technologies.
En espérant que bientôt, il sera évident pour tous que le meilleur déchet est celui qu’on ne fabrique pas.
Le center de traitement dernier cri Astria à Bègles.
Archives SO
Infos pratiques
Exposition jusqu’au 29 mai 2026, ouverte du lundi au vendredi aux Archives de Bordeaux Métropole (parvis des Archives à Bordeaux), de 9 h 30 à 17 heures. Entrée libre et gratuite. Visites commentées gratuites (y compris hors des horaires d’ouverture) sur réservation à service.mediation.archives@bordeaux-metropole.fr et au 05 56 10 20 55.