Stratégie et cadre régulatoire –
«L’idée de transférer UBS aux États-Unis est une option qui a tout son sens»
Un départ de Suisse du siège d’UBS est de plus en plus évoqué. La réputation du pays en matière de gestion de fortune en pâtirait, selon Shelby du Pasquier.
Publié aujourd’hui à 08h48
Pour Shelby du Pasquier, associé de l’étude Lenz & Staehelin, le relèvement des exigences de fonds propres voulue par la Confédération met UBS en difficulté face à ses concurrents internationaux, notamment américains.
LAURENT GUIRAUD/TAMEDIA
En bref:
- La banque UBS envisage de déplacer son siège aux États-Unis.
- L’Autorité de surveillance passerait de la FINMA à la Fed américaine.
- Les épargnants suisses resteraient protégés grâce à la ségrégation de la filiale suisse d’UBS du reste du groupe.
- Ce départ nuirait considérablement au prestige de la place financière suisse.
La rumeur se fait de plus en plus insistante, UBS pourrait transférer son siège aux États-Unis pour éviter d’avoir à relever drastiquement ses fonds propres, c’est-à-dire ses réserves, comme le demande la Confédération. Une mesure combattue par la grande banque qui redoute de perdre en compétitivité face à ses concurrentes internationales.
Il n’empêche, la surveillance du géant bancaire doit être renforcée. La chute de Credit Suisse, et sa reprise en urgence en 2023 par UBS, a laissé des traces. D’autant plus que cette dernière avait déjà été sauvée par Berne en 2009, lors de la crise financière des crédits hypothécaires à risques outre-Atlantique. Shelby du Pasquier, associé chez Lenz & Staehelin, l’un des plus importants cabinets d’avocats du pays, et ancien membre du Conseil de banque de la BNS, nous livre ses vues pour la suite.
Le scénario d’un départ d’UBS est-il envisageable à votre avis?
L’idée de transférer le groupe dans un autre pays est une option qui a tout son sens. Car il est naturel qu’un groupe bancaire international réfléchisse au transfert de son siège lorsque les conditions-cadres changent. Il faut garder à l’esprit que ses concurrents opèrent dans un cadre bien moins restrictif que le modèle aujourd’hui proposé en Suisse. Mais cela reste une opération très complexe.
Les plans d’assainissement et de liquidation en cas de nouveau krach d’UBS, demandés par la FINMA, la BNS et le Conseil fédéral, sont-ils solides et en place?
Oui, la FINMA (ndlr: gendarme bancaire suisse) a pris note cette semaine qu’un plan de résolution en cas de crise était en place chez UBS. Cela implique que les activités de la banque en Suisse seraient protégées en cas de faillite. C’est un développement positif.
Et pour le reste?
Le projet à l’examen est probablement trop exigeant, notamment en termes de renforcement des fonds propres, ceux-ci étant déjà à des niveaux élevés en comparaison internationale.
Sur le plan juridique, UBS pourrait-elle ouvrir une branche américaine spécifique et y déplacer son centre d’activité, pour ne pas souffrir de concurrence déloyale tout en restant une banque suisse?
Cela ne se ferait pas comme cela. UBS transférerait l’entité faîtière, qui contrôle aujourd’hui la banque depuis la Suisse, aux États-Unis, mais ne toucherait pas au reste du groupe. L’Autorité de surveillance serait alors la Réserve fédérale américaine (Fed) et non plus la FINMA. Et UBS Switzerland AG, soit l’entité qui gère les activités bancaires suisses, ne serait pas concernée par ce changement.
UBS ne serait-elle pas en danger si elle devenait américaine, avec des banquiers d’affaires et des traders à New York qui pourraient à nouveau prendre de gros risques au quotidien?
Il n’y a pas de lien entre un changement de siège aux États-Unis et le fait de prendre des risques élevés. Son conseil d’administration peut garder un appétit au risque semblable à ce qu’il est aujourd’hui, soit à un niveau équivalent à celui de ses principaux concurrents américains que sont JPMorganChase et Citigroup.
Qu’est-ce que cela impliquerait pour les épargnants et les entreprises suisses? Ne deviendraient-ils pas une préoccupation très secondaire pour une direction sise à Wall Street?
Il n’y aurait pas directement d’impact pour eux, car les épargnants et les sociétés du pays sont en affaires avec l’entité suisse. À terme, on ne peut toutefois pas exclure que le groupe ne mette l’accent sur d’autres pays.
Et pour le marché hypothécaire?
Ce serait la même chose. Il ne se passera rien à court terme, mais il est possible que cela ait un impact sur la durée, avec une certaine désaffection pour le marché hypothécaire suisse.
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Un transfert du siège outre-Atlantique ne risque-t-il pas d’effrayer la clientèle internationale, moyen-orientale et asiatique notamment, qui ne souhaite pas forcément déposer ses avoirs dans une banque américaine?
Il faut relativiser les choses. En matière de gestion de fortune, les principaux concurrents d’UBS sont américains, notamment Citigroup, Northern Trust et JPMorganChase. Dès lors, l’éventuel transfert de la tête du groupe vers les États-Unis ne devrait pas avoir un impact majeur sur la clientèle internationale.
Ne serait-ce pas une très mauvaise nouvelle pour l’image de la place financière suisse?
Clairement. La place financière suisse perdrait beaucoup en importance avec un tel départ. Sa présence et son image sur le plan international en souffriraient. Ceci ferait de la Suisse un acteur bancaire secondaire. Et ce, à l’heure où la concurrence internationale, notamment de la part des États-Unis et de Singapour, est déjà grande dans le milieu de la gestion de fortune.
Une banque de la taille d’UBS n’est-elle pas un danger pour la Suisse?
La taille du bilan d’UBS est effectivement très importante, équivalente à 175% du PIB suisse. C’est clairement un facteur de risque pour le pays, mais un risque contrôlé. Un plan de résolution est maintenant en place. Les activités suisses ont été isolées du reste du groupe, avec la filialisation de celles-ci dans UBS Switzerland AG.
Et sur le plan international?
Un acteur comme UBS fait courir un risque au système financier international. Le groupe est d’ailleurs l’une des 29 banques dites «systémiques» au niveau mondial. Une faillite d’un tel établissement pourrait avoir un impact majeur sur celui-ci et, par contrecoup, sur l’économie suisse.
Chez UBS, les activités de banque suisse sont séparées de l’entité faîtière.
Urs Jaudas
L’activité suisse serait isolée en cas de faillite, dites-vous?
Oui, si par hypothèse le groupe faisait faillite, il ne devrait pas y avoir d’impact direct sur la filiale suisse. Cette dernière pourrait être sortie du groupe et cédée à une autre banque ou mise en Bourse.
L’épargne des Suisses ne se retrouverait pas dans la masse en faillite?
Non, comme indiqué, les activités de banque suisse sont d’ores et déjà ségrégées de l’entité faîtière.
La Suisse ne devrait-elle pas devenir actionnaire de la grande banque, par exemple à hauteur de 20% de son capital, pour rassurer les investisseurs lors de crises financières? Les clients seraient moins enclins à retirer en panique leurs avoirs lors de krachs.
C’est théoriquement possible, mais serait très coûteux car cela voudrait dire que la Confédération investit 25 milliards dans UBS au cours actuel de l’action, et prendrait de fait un risque financier. Et même si c’est de nature à rassurer les marchés financiers, cela ne s’inscrit pas dans la position du gouvernement, qui veut protéger les contribuables suisses.
Sergio Ermotti, le grand patron d’UBS, a gagné près de 15 millions en 2024. Pour éviter que les banques ne prennent trop de risques, est-il judicieux de limiter la rémunération des banquiers à 5 millions de francs, comme l’envisage le parlement?
C’est une mauvaise idée. On perdrait les meilleurs talents qui iraient à la concurrence internationale. Nous nous retrouverions avec des seconds couteaux à la tête d’UBS. En revanche, le projet de la FINMA de «senior management regime» (ndlr: SMR), qui vise à responsabiliser les dirigeants et, le cas échéant, à demander la restitution de leurs rémunérations en cas de problèmes (ndlr: clawback) est le bon. C’est un régime internationalement reconnu aujourd’hui.
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Se connecterNicolas Pinguely est journaliste économique. Spécialiste en finance, il a travaillé par le passé pour Bilan, l’Agefi et le Temps. Il a aussi occupé différents postes bancaires.Plus d’infos
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