« Il y a trop de paperasse ! », s’agace Bernard Oudard, exploitant des Vergers de Moliens à Ussy-sur-Marne (Seine-et-Marne), dans son bureau où une pomme traîne au milieu de… dossiers. Depuis quelques années, les arboriculteurs d’Île-de-France rencontrent des difficultés qui engendrent une érosion progressive de la profession.
Philippe Plaideau, président du groupe les Vergers d’Île-de-France, rappelle que les exploitations s’élevaient à environ 200 il y a 40 ans contre… 56 aujourd’hui ! La faute à une pénurie de main-d’œuvre, des charges administratives qui s’accumulent et un manque de repreneurs. L’interprofession des fruits et légumes Interfel organise un colloque le 24 novembre afin « de mobiliser les pouvoirs publics » face à l’urgence.
« La plupart prendront leur retraite dans les dix années à venir »
En 2022, ils étaient 59, principalement en Seine-et-Marne et dans le Val-d’Oise. Ils ne sont plus que 56. Bernard Oudard, un énergique septuagénaire doté d’un franc-parler, dirige les Vergers de Moliens, spécialisé dans la poire de qualité. Ces poiriers sont dans sa famille depuis 1925. « La Seine-et-Marne comptait 5 000 ha de vergers en 1950, rappelle-t-il. Deux milles en 1976 quand j’ai commencé. Aujourd’hui, il n’y a plus que 165 ha. »
Dans la majorité des cas, les arboriculteurs perpétuent une tradition familiale. Bernard Oudard désigne une maisonnette blanche. « Voilà la station fruitière du grand-père, poursuit-il. Il a élevé neuf enfants sur un hectare et demi. Mon père en a élevé six sur dix hectares. » Et de plaisanter : « J’en ai élevé un sur 35 ha. Cherchez l’erreur ! »
Ussy-sur-Marne, jeudi 11 septembre. « Il faut aller chercher la main d’œuvre de plus en plus loin », souligne Christophe Oudard dont l’exploitation emploie 45 personnes.
Philippe Plaideau, cultive, lui, à Groslay (Val-d’Oise) après quatre générations. « Plus personne ne veut travailler six jours sur sept, s’exclame-t-il. Vu notre quota de 70 à 80 heures par semaine, c’est comme si nous étions payés au Smic ! »
Il cite l’exemple d’un commerçant qui avait repris récemment des surfaces à Ézanville. « Quand il a vu la masse de travail, le gars a arrêté », raconte-t-il. Or, la moyenne d’âge de la profession dépasse les 50 ans et « la plupart prendront leur retraite dans les dix années à venir ».
Des procédures kafkaïennes
Un siècle après leurs grands-parents, les Français ont déserté les rangs des pommiers. Au sein des Vergers de Moliens, une Ukrainienne et deux Roumains lèvent les bras pour cueillir les fruits. « À une époque, c’étaient des Italiens. Aujourd’hui, le niveau de vie de pays comme la Pologne augmente donc ils trouvent du travail chez eux. Il faut chercher de la main-d’œuvre de plus en plus loin, relève Christophe Oudard. Nous employons 45 saisonniers, dont 95 % d’étrangers. »
Si les arboriculteurs reconnaissent la bonne volonté des collectivités à délivrer des subventions, ils déplorent des procédures « kafkaïennes » pour monter les dossiers. L’obtention d’un document qui atteste d’une « carence de candidat » est ainsi nécessaire pour embaucher des étrangers.
Sauf qu’ils sont contraints d’entamer cette démarche sur Pôle emploi quatre mois avant les récoltes de septembre. Une période où ils ne savent pas quels seront leurs besoins. « C’est avant les canicules etc., détaille Christophe Oudard. Ce document est indispensable pour l’office des migrations internationales concernant les travailleurs hors espace Schengen. Tout cela est complexe. » Son père avoue « n’avoir pas dormi plusieurs nuits » quand on leur a annoncé qu’il manquait une pièce pour accueillir une Ukrainienne un jour… après son arrivée !
La pomme francilienne plus chère que celle importée
Le changement climatique influe aussi sur les investissements. Christophe Plaideau se souvient qu’à l’époque de ses parents, il n’était pas nécessaire d’installer des filets paragrêles. « On s’est aperçu que nous devions davantage penser à l’irrigation en raison des sécheresses », décrit-il avant de souligner que les sols d’Île-de-France produisent « des fruits de qualité ».
De son côté, Éric Moreau, président d’Interfel Île-de-France, se montre alarmant. « Des producteurs jettent l’éponge. Personne ne veut racheter derrière, insiste-t-il. Si on ne fait rien, il n’y aura plus de vergers dans la région ! »
Or, la demande est là. L’Île-de-France compte 12 millions d’habitants avec une consommation de pommes et de poires d’environ 139 200 tonnes (hors restauration). La production, elle, n’atteint que 11 700 tonnes. « On ne couvre même pas 5 % des besoins », note-t-il.
Ussy-sur-Marne, jeudi 11 septembre. Les sols d’Ile-de-France produisent des produits de qualité, comme les poires de Moliens, réputées pour leur saveur juteuse.
Mais la région se confronte à d’autres enjeux, dont la pression de l’urbanisation. « Le Val de Loire qui n’est pas loin est plus compétitif, constate-t-il. La pomme francilienne coûte plus cher qu’importé. Il faut l’accepter si on veut manger local. »
Il espère que le colloque du 24 novembre permettra « de faire bouger les choses ». Parmi les solutions, le centre technique interprofessionnel des fruits et légumes planche sur la conception de… robots qui cueillent des fruits. « L’automatisation de tâches est une piste », annonce-t-il. En attendant, les irréductibles Franciliens résistent. Comme Bernard Oudard : « S’il n’en reste qu’un, je serai celui-là. »