Des drones d’origine inconnue ont survolé des aéroports civils et militaires au Danemark plusieurs fois depuis le début de la semaine. La Russie a « fermement » démenti être impliquée dans ces survols. Mais ces incidents survenant après l’incursion de drones russes en Pologne et en Roumanie, et d’avions de combat russes dans l’espace aérien estonien, Moscou est évidemment au cœur des interrogations.

Face à la multiplication de ces intrusions dans des pays de l’Otan, 20 Minutes fait le point sur la façon dont la France pourrait réagir face à une intrusion de drones.

La France pourrait-elle essuyer une attaque de drones ?

« Les événements récents en Pologne sont une illustration de l’évolution rapide des menaces hybrides en Europe, indique à 20 Minutes le Colonel Hervé, haute autorité de la Défense aérienne au Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA). Ils nous rappellent que les acteurs malveillants testent les limites. Et notre espace aérien, l’un des plus denses d’Europe, pourrait être ciblé. »

« Il faut s’y préparer, affirme à 20 Minutes l’analyste géopolitique Louis Duclos. Les drones Gerbera et de type Shahed, envoyés contre la Pologne, pourraient difficilement atteindre la France car ils n’ont pas une portée suffisante pour réaliser cette distance, et parce qu’il y a trop de pays de l’Otan à traverser, précise-t-il. En revanche, des drones d’observation peuvent être lancés depuis la mer, via des navires espions. La Russie l’a déjà fait contre l’Allemagne, notamment au-dessus de centrales nucléaires. »

Des survols de drones non identifiés ont d’ailleurs été observés ce week-end au-dessus de la base militaire de Mourmelon-le-Grand, dans la Marne. Il s’agissait de petits engins, a précisé la Délégation militaire de la Marne, « pas des drones pilotés par des militaires ». Cet incident « relève de l’exceptionnel », a encore souligné la DMD.

Comment la France surveille-t-elle son espace aérien ?

Sur le territoire national, la souveraineté aérienne de la France est garantie par l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE), qui a pour mission la protection aérienne du ciel français [posture permanente de sûreté aérienne ou PPS-A, aussi désignée sous l’expression « police du ciel »], réalisée notamment à l’aide de ses avions de chasse Rafale.

« La situation aérienne au-dessus du territoire national est établie 24h/24 et 7j/7 pour détecter, identifier et intercepter toute menace dans le ciel français, explique le Colonel Hervé. Pour assurer cette mission, plus de 70 radars civils et militaires et trois centres de détection et de contrôle militaires (CDC) suivent chaque jour jusqu’à 12.000 aéronefs en transit au-dessus de la France, 1.400 simultanément aux heures de pointe. Tous les appareils volants, quels qu’ils soient, sont détectés, identifiés et classifiés, et nous sommes prêts à intervenir sous très court préavis si nécessaire. Nous collaborons étroitement avec les aéroports qui disposent de leur propre système de sécurité, mais également avec nos alliés de l’Otan pour anticiper et contrer ces risques. »

Par ailleurs, lors d’événements majeurs comme les Jeux olympiques ou des sommets internationaux, « nous activons des Dispositifs Particuliers de Sûreté Aérienne (DPSA) afin d’appuyer la protection de l’espace aérien. Les moyens de détection et d’intervention sont alors renforcés et concentrés pour interdire toute pénétration d’aéronefs dans un volume déterminé temporairement comme « zone interdite de survol ». »

Quels moyens seraient mis en œuvre en cas d’incursion de drones malveillants ?

Les moyens mis en œuvre dépendraient du type de menace. « S’il s’agit de petits drones de type Orlan, y a-t-il vraiment nécessité de les mettre à terre ? » interroge Louis Duclos. « Abattre ce genre d’engins qui survole le territoire pour prendre des images ou perturber le trafic aérien est toujours risqué, car cela pourrait potentiellement engendrer des débris, tandis que l’armement peut de son côté mal fonctionner et détruire autre chose. »

En cas d’incursions de drones comme il y en a eu en Pologne [de plus gros drones Gerbera et de type Shahed], « on saurait les traiter », assure à 20 Minutes Alexandre, responsable de la ligne de produits pour la protection des forces chez MBDA, leader européen des missiles. « L’armée pourrait notamment se servir du missile à courte portée Mistral, qui peut être tiré depuis un trépied, une plateforme navale ou un avion de chasse, car nous l’avons adapté pour qu’il puisse traiter ce type de drones. » D’autres systèmes de lutte antidrones existent, comme le missile VL Mica ou le laser Helma-P, qui ont notamment été déployés durant les Jeux olympiques de 2024.

Comment mieux adapter notre défense face à ce nouveau type de menace ?

Les pays occidentaux sont équipés, pour leur défense aérienne, de matériel plutôt sophistiqué et coûteux, souvent disproportionné face à des drones à quelques milliers d’euros. « En cas d’attaque massive de drones, tous les détruire coûterait extrêmement cher » souligne Louis Duclos. « L’objectif est évidemment de s’appuyer sur des systèmes qui évitent de tirer des missiles contre des drones qui coûtent beaucoup moins cher » confirme Alexandre de chez MBDA.

« Ces menaces évoluent vite, et nous innovons constamment pour y répondre, confirme le colonel Hervé. Nous investissons notamment dans des technologies adaptées, comme l’intégration d’intelligences artificielles pour une détection plus fine, et nous participons activement aux initiatives de l’Otan. Par ailleurs, la France a accueilli récemment des campagnes d’essai de solutions de lutte anti-drones, fruits des travaux du NATO Allied Command Transformation (ACT), en soutien à l’Ukraine. Des solutions innovantes contre les bombes planantes ou encore les drones à fibres optiques ont ainsi été testées. Des essais ont eu lieu sur un des champs de tir de l’AAE, incluant des concepts comme le « mur de drones ». Ces collaborations nous aident à anticiper les menaces hybrides, en testant des idées qui pourraient s’appliquer à notre défense. »

Notre dossier sur les drones

MBDA s’apprête de son côté à commercialiser d’ici la fin de l’année, en Europe, son système modulaire et évolutif pour contrer les menaces de drones, le Sky Warden. Reposant sur de l’intelligence artificielle au cœur du système, le Sky Warden « permet de détecter et identifier les menaces, et d’assigner automatiquement le bon effecteur à la menace » explique Alexandre, selon qu’il s’agisse d’un microdrone ou d’un très gros drone. « Dans un environnement urbain par exemple, on va plutôt privilégier un brouilleur ou un effecteur sans charge explosive, poursuit-il. On peut ainsi se positionner dans un environnement normalisé, comme l’aéroport Charles-de-Gaulle, ou dans un contexte de guerre de haute intensité, avec des effecteurs de type missiles Mistral ou VL Mica. »

Il ne faut toutefois pas non plus négliger les solutions plus simples, comme les drones antidrones. Etienne Marcuz, analyste sur les armements stratégiques, souligne aussi que l’une des armes les plus efficaces contre le drone, reste le canon. « L’armée de Terre se réentraîne d’ailleurs depuis quelques mois avec des canons de 20 mm », indique-t-il.