C’est ici que tout se passe. Ici, dans une cabane aménagée au fond du jardin d’un pavillon à Bègles. Dans la ville mais à l’écart du tumulte, Bérangère Pont a installé le siège de sa maison d’édition, L’Ire des marges. Un nom comme une profession de foi, choisi « en référence à la colère des marges », précise-t-elle d’emblée.

Depuis sa création en 2013, sa petite structure n’a de cesse de donner une voix à ceux qu’on entend peu. « Ce sont des livres engagés qui parlent de la réalité des discriminations, des précarités. Il est fondamental pour moi de parler du monde tel qu’il va. La colère est indispensable. »

Éditrice comme une évidence

De Paris à Bègles, le parcours de Bérangère Pont est à l’image des auteurs qu’elle défend : atypique. Des études de philosophie l’ont menée vers le monde de la culture, en passant par une librairie à Uzeste, la maison d’édition de poésie girondine Le Bleu du ciel et un poste dans une mission locale.

« Il est fondamental pour moi de parler du monde tel qu’il va. La colère est indispensable »

Mais le livre n’était jamais loin. « Il a toujours été important dans ma vie », confie-t-elle. Le déclic s’est produit presque naturellement. On lui confiait des manuscrits, elle les corrigeait. Le premier pas est franchi quand une amie autrice, Brigitte Comard, cherche un éditeur. Bérangère Pont se lance, « sans se projeter plus loin, sans savoir véritablement tout ce que cela représentait ». L’Ire des marges était née, comme une évidence.

Douze ans plus tard, la passion est intacte, mais le constat, doux-amer. Le secteur de l’édition est un champ de bataille où les indépendants luttent pour leur survie. La chute du lectorat et la concentration des ventes en très peu de titres lors de la rentrée littéraire asphyxient les petites structures. « La force de frappe des grands groupes impose ses choix aux libraires, déplore Bérangère Pont. Nous, les maisons indépendantes, sommes de moins en moins visibles. » Et lisibles, donc.

Un travail de fourmi

Son quotidien est un « travail de fourmi », le processus, artisanal. Le petit bureau de Bègles tient lieu à la fois de secrétariat et de dépôt de livres. L’Ire des marges sort entre cinq et sept livres par an, envisage de réduire à quatre en 2025 après une année 2024 difficile. Si chaque livre est crucial, voire vital économiquement, pour une petite maison d’édition indépendante comme L’Ire des marges, la décision de publier part toujours de « la qualité du texte, primordiale ».

Pour le dernier en date, « Code Camille », de Sophie Rabau (192 pages, 19 euros), sorti ce 23 septembre, l’histoire de l’amour secret d’une collégienne pour sa prof de français, Bérangère Pont a ressenti « un coup de cœur, comme une évidence » à la lecture du texte en mars. « C’est un roman faussement léger, très profond sur les premiers émois amoureux et un regard ironique sur les programmes de l’Éducation nationale. »

Une fois la décision prise, Bérangère Pont s’est chargée de tout : le graphisme de la couverture, reconnaissable à son bandeau rouge, la rédaction de la quatrième de couverture, et surtout, l’argumentaire pour le représentant auprès des libraires. Quinze minutes chrono pour le convaincre. « C’est très peu de temps, ça doit tenir sur une page A4. »

Les tirages sont modestes – 120 exemplaires pour « Code Camille » –, un choix assumé pour éviter, jusqu’ici, le pilonnage. Premier signe encourageant, l’ouvrage a été retenu parmi huit textes de fiction. Cela suffira-t-il à le faire sortir du lot ? Pour Bérangère Pont, la rentrée de septembre est simplement l’assurance que le livre restera en librairie, « mais pas forcément présenté sur une table » glisse-t-elle, jusqu’à la prochaine de janvier. La première rencontre avec l’auteur est prévue en novembre : « La librairie était désolée du délai mais nous jouons sur le temps long. »

« Nous sommes en résistance »

Comment tenir, alors ? Grâce à la solidarité du collectif. Une dizaine d’auteurs fidèles, dont elle est très proche, ont fondé l’association de soutien à L’Ire des marges, pour en renforcer la visibilité. « Nous sommes en résistance, tous dans le même bateau », sourit l’éditrice.

Malgré les difficultés – elle n’a jamais pu se verser une rémunération à temps plein – et la frustration de ne pas voir, par exemple, « son » auteur franco-britannique Dereck Munn reconnu à la hauteur de « son grand talent », Bérangère Pont continue d’y croire. L’envie de « porter des voix » reste la plus forte. « Chaque livre est une petite victoire », souffle-t-elle. Elle n’a pas dit son dernier mot. « J’arrêterai quand je n’aurai plus le choix. » Ce n’est pas encore demain la veille.