“Une ville belle ne ressemble à aucune autre”, affirme François de Mazières dans son ouvrage aux allures de manifeste urbain. À travers dix propositions claires, le maire de Versailles et ancien président de la Cité de l’architecture et du patrimoine esquisse une vision exigeante, presque militante, de la ville de demain. Il plaide pour un urbanisme enraciné dans l’histoire, attentif à l’environnement, et surtout, habité par une obsession trop souvent reléguée : la beauté.

Dans un contexte de transition écologique, de tension foncière, de frictions sociales autour du logement et de l’espace public, ce manifeste tombe à pic. Il remet sur la table un enjeu fondamental : celui du plaisir d’habiter. En dix propositions claires, nourries par des années de pratique et une vision humaniste de l’urbanisme, François de Mazières redonne à l’esthétique urbaine sa dimension politique. Loin des effets de mode, son livre trace un chemin exigeant, mais réaliste, vers une ville plus douce, plus juste, plus belle.

Rendre à la beauté son rôle politique

Le constat de départ est sans ambiguïté : “Quand on parle d’une ville ou d’un village, le mot beau ou laid est généralement le premier qualificatif qui vient à l’esprit”, rappelle l’auteur dès l’introduction. Or, trop souvent, ce mot disparaît dans le langage des professionnels. Les architectes parlent de norme, les promoteurs de rentabilité, les urbanistes de densité, et les élus de concertation. Mais qui parle encore de beauté ? François de Mazières ose le faire, avec une conviction inébranlable : la beauté est un acte démocratique.

© Shutterstock – La mairie de Versailles fait partie des édifices incontournables de la Ville.

À ses yeux, elle est bien plus qu’une question de goût. Elle participe à l’apaisement social, à l’estime de soi, à l’harmonie entre les générations. Elle est un bien commun, une forme de justice urbaine. “La beauté du cadre de vie est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas”, écrit-il. Refuser la laideur, c’est refuser le mépris. C’est pourquoi il assume l’idée que la beauté est une guerre. Une guerre contre la banalité, les automatismes, l’avidité, la précipitation. Et dans cette guerre, le maire est en première ligne.

Un urbanisme de la réparation

L’une des propositions les plus fortes de François de Mazières est de privilégier la transformation à la destruction. Il s’inscrit ainsi dans un mouvement contemporain qui valorise la réhabilitation du bâti, la reconversion des friches, la revalorisation du patrimoine, petit ou grand. Le paradigme a changé : “Le temps n’est plus de fonder les villes mais de les transformer et de les corriger”, affirme-t-il. Ce refus de la table rase est aussi un choix écologique et économique, mais avant tout une posture culturelle.

Loin d’être une nostalgie, c’est une manière d’agir en conscience du lieu, du climat, de l’histoire. Il défend une vision holistique, inspirée des pays nordiques, où l’architecture est sobre sans être triste, moderne sans être violente. “La ville belle, ce n’est pas la ville figée, c’est la ville qui évolue sans trahir son âme.” À Versailles, il a appliqué cette philosophie en revalorisant les quartiers populaires, en requalifiant les espaces publics, en écoutant les habitants. Pour lui, chaque modification urbaine doit raconter une histoire, s’inscrire dans un récit de ville.

Un maire est un chef d’orchestre du beau

Plus qu’un gestionnaire, l’élu local doit être un passeur de sens. François de Mazières le dit sans détour : “Le maire doit afficher clairement ses convictions esthétiques.” Trop souvent, il est relégué au rôle de guichet administratif du permis de construire. Il peut pourtant — il doit — devenir le chef d’orchestre du projet urbain. À condition d’avoir une vision. À la Cité de l’architecture, il avait organisé des “Défis de ville” réunissant un maire et un architecte autour d’un grand projet urbain. Tous témoignaient du pouvoir transformateur de l’architecture. Et tous parlaient de beauté. Du Havre à Lille, de Bordeaux à Valenciennes, ces projets ont changé le destin de villes entières, souvent en crise.

Ce qu’il défend, c’est une esthétique du réel. Pas celle des maquettes lisses ou des rendus 3D spectaculaires, mais celle du quotidien, du détail, de l’usage. Une façade bien proportionnée, une cour végétalisée, une place qui donne envie de s’y asseoir… Ce sont ces éléments-là qui construisent une ville désirable. Il écrit : “La beauté d’une ville est semblable à celle d’un être humain. […] En approfondissant sa connaissance, d’autres critères s’imposent à la pensée.” Et comme pour les personnes, une ville peut être belle parce qu’elle est attentionnée, plurielle, habitée.

Dix leviers pour bâtir une ville qui soigne

Le cœur du livre se structure autour de dix propositions, à la fois concrètes et stratégiques. Parmi elles : refuser la destruction systématique du bâti, maîtriser le foncier pour éviter les logiques spéculatives, choisir la densité juste, préserver la nature en ville, intégrer les temporalités du vivant, ou encore fuir les matériaux ennuyeux sans sacrifier la sobriété. Autant de principes qui dessinent une ville plus résiliente, mais aussi plus joyeuse.

© DR – Le cœur du livre énonce dix principes qui dessinent une ville plus résiliente, mais aussi plus joyeuse.

Chaque proposition est illustrée par des exemples de terrain, des retours d’expérience d’élus et de professionnels engagés. Le lecteur y découvre une autre France : celle de Grasse, de Saint-Dizier, de Metz, de Neuilly ou de Lens, où des maires bâtissent, dans l’ombre, une ville du quotidien, inventive, humaine. Une ville belle.

À l’heure où certains ne rêvent que de fuir les métropoles, où les nouvelles constructions peinent à susciter l’adhésion, où l’étalement urbain menace les paysages, Pour une ville belle résonne comme un antidote à la résignation. Ce n’est pas un livre pour initiés, ni un manifeste théorique. C’est un appel à l’action, un hommage au terrain, un plaidoyer pour une ville du soin et du sens. “Rien n’est jamais écrit d’avance”, conclut François de Mazières. il en profite formuler un souhait : “L’espoir que l’on peut avoir aujourd’hui est que, quel que soit le goût des édiles locaux, l’emploi de matériaux naturels, la végétalisation des villes, des circulations apaisées, la préservation des spécificités locales du bâti contribuent à éviter la généralisation de la France moche”.

Pour une ville belle, 10 propositions pour une ville où il fait bon vivre (208 pages), Editions Eyrolles, en librairie le 8 mai, 17 euros.