La fatigue de Chantal (1) est mêlée de fatalisme. La condamnation définitive de son supérieur hiérarchique pour harcèlement sexuel, le 22 mai, n’y a rien changé. « Le vilain petit canard, c’est toujours moi. En déposant plainte, j’ai dégoupillé une grenade. On me fait ressentir que j’aurais mieux fait de me taire. »
Cette secrétaire de direction de la mairie de Léognan n’a pas la force de revenir au bureau. « Je me cache. Je fais les courses très tôt. Les gens me scrutent, on m’évite. Certains ne me saluent plus. Je n’en dors plus. J’ai l’impression que la coupable, c’est moi. » 61 ans, trente dans la commune de 10 000 habitants, près de Bordeaux. Et la sensation de purger une peine sociale. Deux ans de suivi psychologique n’ont pas effacé l’idée.
« Humour » gras
Son harceleur paye sur le plan pénal. Neuf mois de prison avec sursis et l’affichage public de la décision en mairie. Le responsable des manifestations et cérémonies doit verser 6 000 euros à la victime. Le prix de quatre ans d’enfer, entre 2018 et 2022.
« Je n’avais plus de prénom. C’était « la catin », « la vieille », « le boudin ». » Plusieurs témoins ont entendu les remarques déplacées sur sa poitrine. Certains ont vu les mains aux fesses ou les caresses forcées. Des années durant, personne n’a rien dit. Surtout pas Chantal. « Je me sentais bloquée. C’est lui qu’on aurait écouté. Il était bien vu de la hiérarchie. » Son harceleur va jusqu’à s’imposer lors de séances de kiné. Il l’observe en sirotant un verre. La thérapeute a décrit aux enquêteurs « une présence gênante ».
L’homme n’a pas nié des mots déplacés. Il a dit aux juges n’avoir pas eu conscience de harceler. Faire claquer les élastiques du soutien-gorge de Chantal relevait « de l’humour ». Devant les gendarmes, certains cadres l’ont qualifié « d’un peu lourd ». En décrivant sa bienveillance, son professionnalisme ou sa gentillesse. « Il n’y a eu aucune compassion pour moi, estime Chantal. Personne ne m’a appelé. »
Tribune et pétition
Un collectif de citoyens s’en est ému. Avec l’assentiment de la victime, 24 ont signé une tribune publique, le 22 septembre. « La collectivité n’a pas pris toutes les mesures pour garantir la mise en œuvre du jugement […], et la protection pleine et entière de la victime », écrivent-ils, quatre mois après la fin de la procédure judiciaire, dans laquelle la mairie ne s’est pas portée partie civile.
Une partie d’entre eux sont, par ailleurs, candidats à la prochaine élection sur une liste citoyenne. « Ce n’est pas politique, évacue Franck Martinet. Pour ne pas entretenir le système, à un moment, il fallait se mouiller. » L’ex-conseiller municipal a aussi lancé une pétition, forte d’une cinquantaine de signataires. « Il ne se passe rien. C’est cela qui nous heurte, éclaire Claire Gobbé, professeure retraitée. La victime est toujours en arrêt. Pour son harceleur, la vie a repris. » Ils demandent « le respect strict des décisions de justice » et « la saisine du conseil de discipline afin que des sanctions adaptées soient prises en interne ».
Le maire se défend de protéger qui que ce soit. « Si des agressions sexistes me sont rapportées, elles sont forcément combattues. Nous exécuterons le jugement. Quand il nous aura été notifié officiellement », insiste Laurent Barban. La commune a écrit au parquet, fin août, pour accélérer le mouvement. Le maire rappelle qu’il a accordé la protection fonctionnelle à la plaignante. Dès la révélation des faits, Chantal a été changée de service. La formation de « référents harcèlement » est en cours.
Mauvaise réputation
L’élu appuie sur l’enquête interne menée dès 2022. Elle a débouché sur des sanctions disciplinaires, jugées « justifiées et proportionnées » par la justice. Trois jours de mise à pied et un stage de sensibilisation que l’auteur reconnaît n’avoir jamais suivi. « Cela a été prononcé à la lumière des faits connus à l’époque, rappelle Me Lionel Bernadou, l’avocat de la commune. On nous demande de recommencer. La loi n’autorise pas d’enquêter deux fois sur la même chose. »
Reste des éléments périphériques. « Des choses ont été mises sous le mouchoir », assure Chantal. Certaines, comme un état d’alcoolisation au travail, apparaissent dans le jugement. De même, cet épisode survenu quand la victime a parlé. Le harceleur, puis le chef du pôle sports, se sont rendus chez elle. Le premier pour lui intimer de se taire. Le second pour l’avertir « qu’elle allait avoir mauvaise réputation », écrit le juge. « Le maire peut en tirer les conséquences et prendre des mesures », concède Me Bernadou. Quand le jugement sera arrivé sur son bureau. Officiellement.
(1) Le prénom a été modifié.