« Le dimanche des municipales, 15% des électeurs entreront dans l’isoloir sans savoir pour qui voter. Et ils chercheront dans leur mémoire quelque chose qui se raccroche à l’un des bulletins qu’ils ont dans la main. Et là, ça sera Képenekian ou Aulas ».
Ce genre de formules, Georges Képénékian peut en produire toutes les dix minutes. Il sait sans doute que parmi les 85% d’électeurs qui ont fait leur choix avant d’entrer dans l’isoloir, beaucoup se porteront aussi sur le maire Grégory Doucet, pas seulement sur Jean-Michel Aulas ou sur lui.
Mais la possibilité de ne pas être élu en mars prochain ne l’effraie pas plus que ça : « Je connais l’échec, je sais y faire face. Mais si Aulas perd, ça va être terrible pour lui. Echouer dans le sport ou dans les affaires ce n’est pas la même chose qu’en politique ».
S’il n’a pas peur de cet échec, il se moque bien de la petite musique qui veut qu’il soit politiquement isolé. Peut-être a-t-il caressé un temps l’idée que Grégory Doucet fasse appel à lui autour des thématiques de santé globale auquel il a consacré un livre en 2022. Mais l’éloignement entre les deux hommes s’est accentué au fil des années.
Contrer une « écologie du XXe siècle »
Aujourd’hui, il réserve à l’équipe en place de la mairie de Lyon une de ses ironiques formules (qu’a d’ailleurs repris Jean-Michel Aulas – qui est de sa génération – lors de son premier discours de campagne) qu’il distille badin : « Ils font une écologie du XXe siècle ». Un paradoxe de la part d’un homme qui date de ce siècle-là sa prise de conscience écologique : « Je suis devenu écologiste en 1988 après l’affaire de la centrale de Yerevan ».
On n’osera pas poser de question, Internet étant heureusement là pour en dire plus sur l’histoire du nucléaire civil de la capitale de l’Arménie soumise aux tremblements de terre. L’histoire arménienne et la médecine : voilà en tout cas deux types de références qu’il faut s’habituer à rencontrer quand on écoute parler Georges Képénékian.
La deuxième surtout est mobilisée pour fonder une méthode pour Lyon, la ville qui a tant changé. La nécessité de croire en la science d’abord – ce que résume son énigmatique formule : « La science c’est la science ». Et la difficulté d’accepter que le hasard joue un rôle considérable dans ses avancées : « Le cisplatine a été découvert pratiquement par hasard par un chimiste qui voulait tester le rôle du courant sur les bactéries ».
Evidemment, le naïf doutera qu’on puisse appliquer la méthode scientifique qui a fonctionné pour le cisplatine (médicament anti-cancer) à la conduite de la troisième ville de France. Mais Georges Képénékian expliquera lui qu’il est le candidat qui prend en compte les limites de l’âme humaine. Car la raison ne gouverne pas toujours : « Un patient fumeur qui développe un cancer, il arrête la cigarette. On le traite, la tumeur régresse. Un an plus tard, elle repart. Et là votre patient vous dit : ‘bon ben je reprends la cigarette docteur’ ».
De ces expériences qu’il a vécu toute sa vie de soignant, il a tiré l’impression que la verticalité (« Faire comme les écologistes : dire aux gens ce qui est bon pour eux ») c’est terminé. Mais même en bonne santé, il préfère conjurer le risque d’être pris par surprise : « On a toujours tendance à raisonner à partir de la trajectoire connue. Le truc que tu n’as pas prévu ne vient pas de cette trajectoire ».
Pour contrer ça, il reste le pas de côté. Aussi difficile à faire que coûteux en temps. Mais pour ce pas de côté, c’est bien le maire de Lyon qu’il fut de 2017 à 2018 qui parle : « Une fois que tu es aux affaires tu n’as plus le temps pour ce pas de côté. Il faut que tu gères les dossiers issus des promesses de campagne plus ceux qui émergent ».
Autre problème avec le pas de côté : le risque de l’isolement : « Moi j’ai été un homme de parti. Mais en politique locale quand tu fais partie d’un ‘groupe’, ceux qui ne sont pas de ce ‘groupe’ ne te parlent plus ».
« C’est quand même fou ma pugnacité »
Exactement un septennat après avoir quitté son fauteuil de maire pour le rendre à un Gérard Collomb essoré par le rythme de la place Beauveau, il commence donc une nouvelle campagne. Un clip et un début de programme – le plus avancé des candidats, avec celui de Nathalie Perrin-Gilbert dont on dit qu’ils pourraient converger – sont déjà sortis.
C’est pendant l’été sur les réseaux sociaux (dont il use avec parcimonie), qu’il a vanté les mérites de l’architecture lyonnaise pour lutter contre les soleils brûlants de juin à septembre. S’il reconnait que « l’homme a outrageusement pillé la nature », il estime aussi qu’on peut l’utiliser pour faire du réchauffement climatique, maintenant inéluctable, un atout pour la ville de Lyon. Il propose aussi un registre dans les résidences de manière à ne pas oublier les plus âgés, isolés pendant l’été.
On n’est pas encore entré dans le dur, mais ça se rapproche. Avec la certitude de six mois de campagne épuisantes et déroutantes. Lui-même parait presque surpris de sa détermination à y aller: « Je disais l’autre jour à ma femme : ‘c’est quand même fou ma pugnacité’. Au final ça me permet d’être encore d’attaque quand tout le monde n’en peut plus, et de me glisser dans la faille ».
En mars 2026 on verra si les pas de côtés lui auront permis de revenir à l’Hôtel de Ville, comme maire ou simple conseiller municipal.