Par
Théo Zuili
Publié le
5 avr. 2025 à 7h26
« Je suis effaré par la situation lyonnaise », lâche Bruno Basset, président départemental des ambulanciers privés du Rhône.
Il nous a reçus mardi 1ᵉʳ avril à Pierre-Bénite, dans la métropole de Lyon : en colère, il tire la sonnette d’alarme. Travaux, bouchons : il dénonce une situation « perdant-perdant ».
Des temps de trajets doublés en 40 ans
Dans les années 1980, un ambulancier lyonnais pouvait assurer huit à dix transports par jour. Aujourd’hui, « la moyenne tourne autour de quatre », selon Bruno Basset, président de l’association des transports sanitaires urgents du Rhône.
« C’est mécaniquement impossible de faire plus », déplore-t-il. « Une intervention peut durer 1h30, 2h, rien que pour aller d’un hôpital à un autre, bloqués dans les bouchons. » En cause, selon lui : la multiplication des chantiers et des zones piétonnes, les voies cyclables renforcées…
Des secteurs de Lyon « inaccessibles »
Et l’impossibilité pour les ambulanciers privés d’utiliser totalement les voies de bus, contrairement aux taxis. « On est des soignants, pourtant, mais on se fait verbaliser dès qu’on tente de gagner du temps. En France, on compte près de 70 000 interventions par an aux ordres du Samu. »
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Il assure être factuel : des secteurs de Lyon deviennent « inaccessibles » sans parcours dédié aux secours. Impossible, par endroits, de prendre en charge un patient sans bloquer une rue à une voie.
Dans les centres de secours privés, les employés tentent de composer entre les travaux et les bouchons pour guider les ambulanciers. (©Théo Zuili / actu Lyon)
Autorisées à circuler sur les couloirs bus en cas de missions d’urgence sollicitées par le Samu uniquement, les ambulances privées n’ont pas le droit de les emprunter le reste du temps, y compris le cadre de transit de patients entre hôpitaux.
La perte de temps est considérable, estime le président de l’association. Et cela se joue au détriment de tous, argue-t-il.
« C’est de la maltraitance »
Il illustre par l’exemple : « Encore hier, une de mes ambulances allait à l’hôpital Édouard-Herriot. Elle est tombée sur une rue fermée pour travaux. À moins de 500 mètres de l’hôpital, elle a mis 45 minutes pour y accéder. Des cas comme ça, c’est tous les jours. »
Au-delà de l’efficacité, « c’est la dignité du transport des patients qui est en jeu », martèle-t-il. Désabusé, le représentant déplore ne pas avoir été inclus dans les concertations. « Forcément, on secoue les patients comme des patates. Il faudrait rouler au pas, mais ce n’est pas tenable : d’autres patients attendent d’être pris en charge ! »
On monte sur des trottoirs, on slalome entre les vélos, on traverse des chantiers. Il faudrait des ambulances 4×4 pour circuler à Lyon aujourd’hui.
Bruno Basset
Président départemental des ambulanciers privés du Rhône
Les conséquences sont multiples : mise en danger des piétons et cyclistes, risques pour les patients, épuisement moral pour les équipes… Un ensemble de facteurs qui ont mené à des drames dans le Rhône.
Que faire pour éviter un prochain drame ?
Iris et Warren, deux adolescents de 15 et 17 ans, ont été tués par le conducteur d’une ambulance privée alors qu’ils circulaient en trottinette électrique sur une voie de bus : effrayé et en colère, Bruno Basset parle d’un cercle vicieux sans issue et espère que son alarme soit entendue.
« Ça fait qu’on nous contrôle encore plus, ce que je peux comprendre, et que ce soit encore du temps en moins sur les routes » : à force, ça s’accumule. « Les ambulanciers veulent changer de métier. On ne peut plus honorer nos bons de commande. »
Tout ça, dans un secteur déjà en tension : « Il manque presque 18 000 ambulanciers en France pour mettre tous les véhicules en route le matin », compte Bruno Basset, qui avait déjà mené une grève de la faim en 2021 pour tenter d’alerter les pouvoirs publics.
Même constat chez les pompiers
Mi-mars, les sapeurs-pompiers et les ambulanciers alertaient déjà sur les conséquences de l’engorgement à Lyon. Leurs délais d’intervention ont augmenté de quatre minutes en dix ans.
Même constat du côté des autorités : lors d’un débat sur BFM Lyon, la préfète du Rhône Fabienne Buccio et le patron de la police nationale Nelson Bouard ont dénoncé une situation « préoccupante ».
« Nos services de secours doivent pouvoir circuler dans les meilleures conditions », a plaidé la préfète, indiquant avoir fait remonter ses inquiétudes à la Ville et à la Métropole.
« Pas une question de confort »
Face à ce qu’il qualifie de « déni » institutionnel, le représentant réclame des mesures simples : accès aux voies de bus en toutes circonstances, itinéraires réservés, participation aux réunions de coordination des travaux.
Depuis 2016, ni Gérard Collomb, ni Bruno Bernard, ni Grégory Doucet n’ont accepté de nous recevoir. On nous refuse l’accès aux voies de bus [hors mission urgente, NDLR] depuis 1967.
Bruno Basset
« Ce qu’on vit à Lyon, c’est une guerre urbaine. Mais nous, on transporte des gens malades. Ce n’est pas une question de confort« , assure-t-il, visant certains parmi ceux qui choisissent la voiture pour se déplacer de 2 km en ville.
La Ville et la Métropole répondent
Contactée, la mairie de Lyon estime que « la circulation dans les couloirs bus est logiquement interdite » hors du cadre des missions d’urgence.
« Ouvrir plus largement les voies de bus, notamment pour des situations qui relèvent d’une urgence relative, irait à l’encontre de ces objectifs et poserait des risques importants pour la régulation du trafic », acquiesce la Métropole de Lyon, sollicitée par nos soins.
La municipalité enfonce une porte ouverte, appelant à « respecter le code de la route » et indiquant être « régulièrement informée par des habitants de comportements dangereux sur la voie publique, de la part d’ambulances privées ».
Mais la Ville rassure sur un point : « Les conditions de circulation peuvent, par endroit, être dégradées […]. En cas de difficultés identifiées par les services de secours, la Ville de Lyon et la Métropole de Lyon adaptent et optimisent au maximum les chantiers pour fluidifier la circulation. Ces difficultés diminueront progressivement, de fait, dans les mois à venir. »
« Une réponse à ce courrier est prévue », promet toutefois la mairie. La Métropole, elle, se montre moins attentive, mais « reste disponible pour un dialogue en lien avec la préfecture si celui-ci devait être ouvert ».
La mobilisation gronde
Il ne fait pas de doute que ces réponses peineront à satisfaire les ambulanciers privés du Rhône.
Le représentant affirme que les 157 sociétés de transport sanitaire du Rhône sont prêtes à se mobiliser, « non pas contre les hôpitaux ou les patients », mais contre « des institutions qui décident sans nous ». Une action collective est envisagée avec l’intersyndicale, si aucune réponse n’est donnée.
Ce que disent peut-être les ambulanciers, c’est aussi que le soin ne se mesure pas seulement en minutes gagnées, mais en attention portée. Et que dans une ville qui semble trop encombrée pour écouter, ce sont les patients et les soignants qui finissent par en payer le prix.
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