Alors que les provocations russes se multiplient dans les pays européens membres de l’Otan, le diplomate Benoît d’Aboville publie, dans la revue Commentaire, un scénario d’invasion russe en Lituanie. La menace est-elle en train de devenir réalité ? Entretien.

 

Le scénario original de Benoît d’Aboville et d’Antoine Bouvier est à lire ici, sur le site de la revue Commentaire.

 

Les textes d’anticipation en géostratégie ont le vent en poupe. Il y a quelques semaines paraissait La Guerre d’après (Grasset, 2025), récit d’une agression russe en Estonie, rédigée par l’expert militaire allemand Carlo Masala. Le dernier numéro de la revue Commentaire, fondée par Raymond Aron, propose un autre scénario. Ses auteurs sont Benoît d’Aboville, diplomate qui a été ambassadeur de France à Prague, à Varsovie et auprès de l’Otan, et Antoine Bouvier, qui a été à la tête d’un grand groupe dans l’industrie de l’armement. Au sein du cercle de réflexion Vysium réunissant diplomates, anciens responsables militaires et hommes d’affaires, ils ont imaginé un regain de tension autour de l’un des talons d’Achille de l’Alliance atlantique : le corridor de Suwałki. Cette bande de 80 kilomètres de long marque la frontière entre la Pologne et la Lituanie, mais surtout, elle relie l’enclave russe de Kaliningrad et le Bélarus (la Biélorussie), allié de Moscou.

© Creative Commons — Adaptation : HS pour PM

© Creative Commons — Adaptation : HS pour PM

Le scénario débute en juin 2026 avec le décès du dictateur biélorusse Alexandre Loukachenko. La Lituanie est alors envahie par la Russie et le Bélarus. Le fameux corridor est occupé, coupant les pays baltes du reste de l’Otan. Les capitales occidentales comprennent que la Russie est en train de tester la solidité de l’article 5 de l’Alliance atlantique – le principe de défense collective, qui est au fondement même de l’Otan. Tandis que Donald Trump tergiverse et hésite à réagir, Emmanuel Macron se pose en rempart de l’intégrité européenne et proclame que la Lituanie doit être défendue. Poutine menace Emmanuel Macron de frapper la Corse avec des missiles nucléaires. L’opinion publique déplore la perte des soldats français déjà positionnés en Lituanie au titre de l’Otan, depuis 2022, pour la défense des pays baltes. Mais le président français maintient l’ambiguïté sur l’utilisation de son potentiel nucléaire. Vladimir Poutine finit par céder et retire ses troupes. Pour faire oublier cet épisode et continuer d’affaiblir l’Occident, il propose un plan de limitation des armements en Europe susceptible de peser sur les opinions européennes.

Ce scénario est assez subtil. En agressant un ancien sujet de l’empire soviétique, Vladimir Poutine laisse entendre que cette opération militaire est limitée et ne touchera pas le reste de l’Europe. Il retire ses troupes face à la réaction de la France. Mais il en profite pour lancer une nouvelle initiative visant, à terme, à désarmer l’Europe. Afin de rattaquer plus tard ?