Alors que « la France est devenue l’homme malade de l’Union européenne », selon le président de la Fédération bancaire Daniel Baal, que l’état de la dette empoisonne le débat national, l’Allemagne, championne économique européenne, est loin d’être dans une situation brillante.

Son économie souffre « d’une période de stagnation économique prolongée, comprenant des phases de récession en 2023 et 2024, et des perspectives de croissance plutôt faible », analyse Eileen Keller, chargée de projet et responsable de l’axe « Economie » au Deutsch-Französisches Institut (DFI).

Barre des trois millions de chômeurs franchie

Le nombre de chômeurs a passé la barre de trois millions et atteint 6,4 %, « ce qui représente le plus haut niveau depuis 2015 », rappelle la chercheuse. « C’est une situation éprouvante pour l’économie allemande, qui n’a pas connu ces difficultés depuis trente ans », renchérit Andreas Eisl, chercheur senior en politique économique européenne à l’Institut Jacques Delors.

L’entreprise allemande Lufthansa, premier groupe aérien européen, a annoncé lundi supprimer 4.000 postes d’ici 2030, soit près de 4 % de ses effectifs globaux, quand l’équipementier Bosch va mettre fin à 13.000 postes, soit un dixième de ses effectifs en Allemagne. Début septembre, Ford a fait savoir qu’il allait supprimer jusqu’à 1.000 postes dans son usine de Cologne, dédiée à l’électrique.

Une crise multifactorielle, entre énergie chère et concurrences

« Les annonces de suppressions d’emplois se succèdent, notamment dans des secteurs clés comme l’automobile, où les constructeurs allemands et leurs sous-traitants font face à une transition du véhicule thermique au véhicule électrique insuffisamment anticipée, souligne Marie Krpata, chercheuse au Comité d’études des relations franco-allemandes à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Quelque 800.000 emplois directs sont concernés par cette transition ».

Au-delà du secteur automobile, la crise que vit de l’économie allemande est liée à plusieurs facteurs. La hausse des coûts de l’énergie liés à la guerre en Ukraine pèse sur les industries qui l’utilisent de manière intensive. Elles souffrent aussi de la concurrence chinoise, dont le savoir-faire technologique s’est développé, et des répercussions des droits de douane américains sur les exportations européennes qui ont instillé « une sorte de guerre froide commerciale », selon le chercheur Andreas Eisl. « Cela est d’autant plus un handicap pour l’Allemagne qui est fortement exposée au commerce international par son modèle économique basé sur l’exportation, selon la chercheuse Marie Krpata de l’Ifri. En résulte un recul de la compétitivité des produits « Made in Germany » à l’international ».

Verrou du déficit débloqué et plan de 500 milliards d’euros

Cependant, si l’Allemagne vit une crise, son avenir s’annonce sous de meilleurs auspices. Cela est lié, notamment, à la bonne situation de ses finances publiques. Alors que la dette publique outre-Rhin est de 64 %, elle est de 114 % en France. L’Etat fédéral, qui a beaucoup économisé ces dernières années, va pouvoir soutenir son économie avec de l’argent public grâce à un fonds de 500 milliards d’euros pour moderniser son infrastructure. Et il a engagé une révolution des esprits en rompant avec le dispositif du frein à l’endettement, pour éviter que le déficit structurel n’excède 0,35 % du PIB. Cela doit permettre, notamment, une modernisation de l’appareil militaire allemand.

« Ces investissements vont soutenir la croissance économique. Mais la question n’est pas tranchée sur la direction qu’ils devraient prendre, relève le chercheur Andreas Eisl. Quels secteurs protéger, ceux où investir, et ceux abandonner ? », questionne le spécialiste des politiques européennes.

Une perspective d’un endettement européen qui effraie

Pour la chargée de projet à l’institut DFI Eileen Keller, l’Allemagne vit « une période de transition ou toutes les forces politico-économiques doivent faire preuve de lucidité pour faire les ajustements nécessaires dans un contexte géo-économique bouleversé. »

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Si la France, par effet de ricochet, peut bénéficier d’investissements allemands, la chercheuse Marie Krpata souligne que la crainte est aussi que cela creuse les écarts en Europe. Alors que le gouvernement en place en Allemagne s’est engagé politiquement sur l’assouplissement du frein à l’endettement et sur la création d’un fonds spécial pour les infrastructures, « la perspective d’un endettement commun à l’échelle européenne, pour investir dans des projets communs, comme le souhaite en particulier la France, s’avère plus compliquée ». Avis de nouvelles tempêtes en perspective.