«C’est un soulagement de voir que notre préjudice est reconnu et que notre constitution de partie civile a été reçue. » Guillaume Denoix de Saint-Marc ne cache pas sa satisfaction après la condamnation à de lourdes peines de Nicolas Sarkozy, de Claude Guéant et de Brice Hortefeux. Le président de l’association des « Familles de l’attentat du DC-10 d’UTA » estime auprès de 20 Minutes que l’ancien chef de l’Etat et ses deux ex-ministres ont commis « une faute morale énorme » en pactisant avec Abdallah Senoussi, un haut dignitaire Libyen qui a commandité cette attaque terroriste. « C’est odieux », ajoute celui qui a perdu son père dans le crash de l’avion au Niger, le 19 septembre 1989.
Ce jour-là, 170 victimes, dont 54 Français ont perdu la vie dans le désert du Ténéré. L’enquête du juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière a révélé que l’attentat avait été préparé par les services secrets libyens. Il s’agissait de représailles contre la France qui était intervenue militairement pour empêcher les troupes libyennes d’envahir le Tchad. Homme de confiance et beau-frère du « guide » libyen, Mouammar Kadhafi, Abdallah Senoussi a été condamné en 1999, par contumace, par la Cour d’assises spéciale antiterroriste de Paris à la réclusion criminelle à perpétuité pour avoir commandité l’attentat. Un mandat d’arrêt international est alors émis.
« C’est d’une gravité extrême »
Quelques années plus tard, entre 2002 et 2007, Abdallah Senoussi est la tête de la direction du renseignement militaire. Durant cette période, il rencontre discrètement deux proches de Nicolas Sarkozy, Claude Guéant et Brice Hortefeux, à Tripoli, en présence de l’intermédiaire Ziad Takieddine. Le tribunal a estimé qu’ils ont tenté d’« obtenir des soutiens financiers en vue du financement » de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy de 2007, en échange de « contreparties diplomatiques », « économiques », et « juridiques ». Notamment « la promesse de levée du mandat d’arrêt d’Abdallah Senoussi ». Pour la justice, il ne fait aucun doute que l’ancien chef de l’Etat était « au courant » de ces tractations.
C’est en apprenant dans la presse l’existence de ces accusations contre les trois anciens dirigeants français que des dizaines de proches de victimes de l’attentat ont décidé de se constituer partie civile au procès. « Ils ont laissé croire pendant trois ans qu’ils allaient faire quelque chose au sujet des soucis judiciaires d’Abdallah Senoussi. Il a fallu tout ce temps pour que Claude Guéant dise que la France ne fera rien », déplore Guillaume Denoix de Saint-Marc. « Quelqu’un qui voulait accéder à la plus haute fonction – et qui est parvenu à y accéder – était prêt à négocier les soucis judiciaires d’une personne qui a perpétré un attentat tuant 170 personnes. Ce sont les intérêts de la France qui ont été visés dans cet attentat, pas nos proches. C’est abominable, c’est d’une gravité extrême. »
Des réactions « caricaturales, excessives »
« Nos clients ont eu l’impression, au cours de cette audience, que les prévenus avaient joué au bonneteau, si vous me passez l’expression, avec la mémoire de leurs proches », explique à 20 Minutes Me Vincent Ollivier, qui représente, aux côtés de Me Laure Heinich, une vingtaine de parties civile. « Ils n’ont éprouvé aucune difficulté à aller négocier avec une dictature pour envisager potentiellement la réhabilitation de l’assassin de leurs proches. Pour un citoyen français, s’apercevoir qu’un candidat à l’élection présidentielle est capable d’envisager ce type de démarche, c’est déjà assez choquant. Mais lorsqu’on est le proche d’une victime d’un attentat et que c’est sur la mémoire de ce proche qu’on va capitaliser pour essayer de devenir président, c’est encore davantage choquant. »
« Nos clients sont des gens qui nous avaient expliqué avoir mis la République au-dessus de leur douleur quand ils avaient vu que Nicolas Sarkozy, alors président de la République, réhabilitait Mouammar Kadhafi, qu’il le recevait plus que dignement avec tous les honneurs », complète Me Laure Heinrich. « Ça avait été évidemment très douloureux pour eux, mais ils s’étaient dit que c’était peut-être le jeu des relations internationales. Mais ça leur a fait froid dans le dos lorsqu’ils ont découvert les révélations de Mediapart et lu ensuite le dossier d’instruction », souligne l’avocate.
Guillaume Denoix de Saint-Marc ne comprend pas l’attitude de Nicolas Sarkozy à l’issue du procès. « Ce qui est fou, c’est qu’il n’a pas l’air de se rendre compte de l’énormité de ce qui a été fait », insiste le président de l’association des « Familles de l’attentat du DC-10 d’UTA ». « C’est aussi, très compliqué pour nous, de voir que certains se positionnent en victime alors qu’il y a des vraies victimes dans ce dossier », poursuit-il. « Nos clients sont restés d’une grande dignité au cours de l’audience, en dépit de tout ce qui a pu leur être révélé », observe Me Ollivier. Et ce dernier de conclure : « Ils auraient préféré que cette dignité soit également partagée de l’autre côté de la barre. Ils regrettent toutes ces réactions parfaitement caricaturales, excessives et diffamatoires de certains des prévenus à l’égard de la justice française. »