Aux États-Unis, le débat alimente la chronique universitaire comme politique : quelle est la nature du projet de Donald Trump depuis son retour à la Maison-Blanche, manifestement différent de son premier mandat ? Éléments de réponse avec l’une des spécialistes françaises des États-Unis et chercheuse associée à l’université Harvard.
Comment décririez-vous ce que l’administration Trump met en place ?
Sylvie Laurent
Maîtresse de conférence à Sciences Po
Nous assistons médusés à la mise en place d’un régime autoritaire d’extrême droite, qui bafoue non seulement les formes, normes et règles de la démocratie libérale mais qui instaure le règne de la domination arbitraire de l’État sur la société civile. Toute l’histoire américaine est précisément marquée par cette hantise qu’un despote impose son pouvoir discrétionnaire sur les individus souverains.
Tout l’édifice politique, juridique et culturel des États-Unis repose sur la conjuration d’un César américain. C’est tout le sens du premier amendement et du « free speech » dont on parle beaucoup en ce moment : nul pouvoir public ne peut réprimer la parole des citoyens, leurs droits inaliénables à la dissidence.
Trump contrevient donc radicalement à l’histoire et même à l’esprit de son pays. La violence d’État, l’intimidation, la corruption, les passe-droits et la répression sont aujourd’hui les normes. Une terreur profonde s’est emparée des personnes les plus vulnérables du pays, en premier lieu les immigrés qui sont traqués et déportés sans droit à se défendre.
Le reste du corps social est discipliné et sommé d’obtempérer. Bref, ce ne serait qu’un glissement vers l’autoritarisme réactionnaire si l’idéologie et la pratique du pouvoir n’étaient à ce point ancrées dans l’idée de la contamination par les étrangers, les ennemis du peuple et les indésirables. Un mécanisme de fascisation me semble sans conteste à l’œuvre.
La nature fédérale de l’État peut-elle faire obstacle à ce projet ? De quelles ressources disposent les opposants ?
Les républicains, traditionnellement hostiles à la centralisation du pouvoir, sont désormais des relais zélés du gouvernement intrusif de Donald Trump et aucun élu local conservateur n’émet la moindre réserve. Il existe des divergences au sein de la coalition trumpienne mais elles sont tues tant le projet général de revanche et de réinvention du pays l’unit.
Elle n’est pas plus conservatrice que libertarienne : cette droite révolutionnaire espère que l’État incarné par un homme purgera le pays des effets jugés délétères de la démocratie. Des grands patrons à la Cour suprême, on accompagne et on facilite le projet de l’extrême droite au pouvoir. Quelques juges locaux tentent vaillamment de faire valoir le droit contre la force mais ils sont systématiquement désavoués par la Cour suprême.
Discernez-vous une stratégie des démocrates face à ces tentatives ?
Les démocrates sont à ce jour incapables de porter la résistance et d’articuler un contre-discours efficace. Ils ne se sont pas remis du désastre Biden-Harris et n’ont ni direction incarnée, ni ligne, ni sans doute détermination. Ils sont certes minoritaires au Congrès mais cela n’explique pas l’apathie des deux figures majeures du Sénat et de la chambre (Chuck Schumer et Hakeem Jeffries) ni l’hostilité larvée de l’establishment démocrate vis-à-vis du duo Sanders et Ocasio-Cortez, d’une part, et à l’égard de Zohran Mamdani, d’autre part, alors qu’ils furent chacun à l’origine d’un renouveau de l’espoir et de la mobilisation à gauche.
Que nous disent la récupération et l’instrumentalisation de la mort de Charlie Kirk du régime politique mis en place par Trump ?
Charlie Kirk était un intégriste religieux, un ardent défenseur de la suprématie masculine et blanche. Sa dévotion à Donald Trump, bien plus que sa notoriété toute relative dans le pays, explique son importance politique de son vivant.
Mais avec sa mort et sa sanctification par un régime friand de spectacle politique (grand-messe évangélique, chars blindés dans les rues…), Donald Trump révèle la quête fondamentale des extrêmes droites : le désir d’absolution, de jouir d’une impunité absolue à dominer, exclure, violenter, exploiter et réprimer au nom de leur statut de victime de l’Histoire, dominée selon eux par la gauche.
Voilà pourquoi Trump demande l’impunité pour Bolsonaro ou Netanyahou, pourquoi Meloni ou Bardella reprennent le culte de Kirk. Il s’agit de légitimer, par la propagande du martyr, la violence sociale, la corruption et l’alliance fondamentale de leur tradition politique avec les puissants.
Face à l’extrême droite, ne rien lâcher !
C’est pied à pied, argument contre argument qu’il faut combattre l’extrême droite. Et c’est ce que nous faisons chaque jour dans l’Humanité.
Face aux attaques incessantes des racistes et des porteurs de haine : soutenez-nous ! Ensemble, faisons entendre une autre voix dans ce débat public toujours plus nauséabond.
Je veux en savoir plus.