Quelques nouvelles de la “qualité française” dans un biopic du couple Montand-Signoret au parfum prévisible de formol et au casting absurde.
Plusieurs projets de biopic de Simone Signoret ont franchi ces quinze dernières années le stade de l’officialité, du moins de l’annonce publique, parmi lesquels un film réalisé par Christophe Ruggia avec Céline Sallette, ou encore un autre scénarisé par Benjamin Castaldi, petit-fils de l’actrice. Un esprit bienveillant dirait : le sujet est populaire. Un autre penserait plus méchamment : c’est un serpent de mer.
Face à Moi qui t’aimais, celui qui a fini par aller au bout, on ne parvient pas à sentir une seule fois le désir, la nécessité du film, mais on voit bien le serpent, on ne voit même que cela : le projet qui traîne depuis des lustres, hante l’écosystème de production, qu’il faut bien finir par faire et peu importe avec qui. Dans tous les cas, le résultat sera aux mains de la machine autonome, des techniciens industrieux, de l’art du maquillage et des accessoiristes. Ça fera le compte.
Un casting absurde
Marina Foïs est Signoret, Roschdy Zem est Montand. Le choix est absurde : le tandem fait l’effet d’un duo hasardeux de bénéficiaires de la providence, heureux·ses élu·es ayant nonchalamment traversé l’esprit d’un directeur de casting au moment opportun. Ça aurait pu être Karin Viard et Gilles Lellouche, Noémie Lvovsky et Romain Duris, Josiane Balasko et Raphaël Quenard. Pas une once de ressemblance avec leurs modèles, mais deux heures quotidiennes de pose de postiches et quelques mois d’entraînement à singer une poignée de leurs tics, à défaut d’adopter leurs présences. Le résultat offre à la cinéphilie une partie de who’s who (“ah tiens, Thierry de Peretti pour jouer Reggiani, pas mal”), et au reste du monde la douce musique d’un artisanat appliqué qui demeure, au fond, plutôt une réussite au regard de ce que le film est censé être : une reconstitution sophistiquée de la France giscardienne, de son art de vivre et de ses mœurs bourgeoises. Soixante-huit, la Nouvelle Vague : rien de tout ça ne semble avoir existé, Montand et Signoret s’étant peu mêlés, en tant que derniers feux d’un certain glamour français milieu de siècle et en dépit de sympathies gauchistes revendiquées, aux chambardements sociétaux et artistiques de la modernité.
Biopic pré-fabriqué
La sortie quasi-conjointe de Nouvelle Vague de Richard Linklater oppose d’ailleurs un douloureux contrepoint au film. Au moment où le cinéma américain crie son amour pour la révolution godardienne, le cinéma français semble encore lui tenir le même grief impardonnable, postule son inexistence et préfère refaire Sautet. L’auteur majeur de “films du milieu” des années 1970 et fidèle collaborateur de Montand ouvre et referme Moi qui t’aimais, avec d’un côté le tournage de Vincent, François, Paul…et les autres (que Montand tente de retitrer Vincent et les autres pour garder la vedette) et de l’autre un visionnage à la télévision des Choses de la vie, la mélopée de Philippe Sarde (qui signe également, à un demi-siècle d’écart, la partition du film de Diane Kurys) accompagnant une ultime scène de tendresse entre les époux·ses.
Son art du mélodrame feutré, petit-bourgeois, élégant, habilement photogénique, se voudrait sans doute l’horizon de ce film fabriqué par des gens ayant grandi sous son règne : Kurys, qui s’offre peut-être un discret clin d’œil en mettant dans la bouche de Montand un généreux compliment pour Huppert (qu’elle a découverte avec Diabolo Menthe) ; Arcady, son conjoint et producteur de toujours ; Sarde, Rousselot… Horizon espéré, pour une croisière finalement plus modeste, dans les eaux saumâtres du biopic de complaisance, en compagnie d’un vedettariat désabusé, qui cachetonne en s’en cachant à peine.
Moi qui t’aimais de Diane Kurys avec Marina Foïs, Roschdy Zem – En salle le 1er octobre