Pour ceux qui n’ont pas eu la chance de voir la rétrospective d’Arman au Centre Pompidou en 2011, courez à la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois pour une brillante séance de rattrapage. Après avoir présenté trois expositions de son vivant, et vingt ans après la mort d’Arman, la galerie propose une quinzaine d’œuvres dans un parcours rétrospectif singulier, sous le commissariat de l’ancien directeur du Centre Pompidou, Bernard Blistène.

Plutôt qu’un hommage figé, l’exposition « Arman. Tout ce qui reste », présentée jusqu’au 27 octobre à la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois, à Paris, affirme la force actuelle d’un travail qui, dès 1959, a interrogé l’emprise des objets sur nos vies, leur prolifération et leur obsolescence programmée. Arman (1928-2005) a su saisir les enjeux d’une société « déificatrice » où les frontières entre sacré, profane et consommation se brouillent, en faisant face à la frénésie de l’achat élevé au rang de pure satisfaction spirituelle.

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Des métaphores du collectif

L’accrochage ne suit pas de parcours chronologique : il confronte les gestes qui structurent l’œuvre d’Arman — accumulation et destruction. Des capots de Renault 106 accumulés, une colonne de caddies empilés dans l’interstice laissé par la découpe verticale d’un réfrigérateur, ou encore une collection méticuleusement ordonnée de portemanteaux deviennent autant de métaphores du collectif, de l’union et de la désunion. L’artiste fait surgir la beauté énigmatique d’objets devenus formes et silhouettes répétées.

Strapped (1977) d'Arman présenté dans l'exposition « Arman. Tout ce qui reste » à la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois à Paris, 2025. © D.R. ; Archives Arman et Courtesy Galerie GP & N Vallois. Photo : © Tadzio

Strapped (1977) d’Arman présenté dans l’exposition « Arman. Tout ce qui reste » à la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois à Paris, 2025. © D.R. ; Archives Arman et Courtesy Galerie GP & N Vallois. Photo : © Tadzio

Le titre choisi par Bernard  Blistène, « Tout ce qui reste », évoque le survivant et le fragment. En accumulant nos objets, en exposant nos déchets, Arman construit une collection d’un pan de la civilisation industrielle : de ce qu’il en garde. Cette collection nous regarde en retour, nous tendant un miroir pour réfléchir, avec plus de discernement, sur notre rapport aux choses, à la compulsion, à l’abandon et à la rétention.

Summer Time (1992) d'Arman présenté dans l'exposition « Arman. Tout ce qui reste » à la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois à Paris, 2025. © D.R. ; Archives Arman et Courtesy Galerie GP & N Vallois. Photo : © Tadzio

Summer Time (1992) d’Arman présenté dans l’exposition « Arman. Tout ce qui reste » à la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois à Paris, 2025. © D.R. ; Archives Arman et Courtesy Galerie GP & N Vallois. Photo : © Tadzio

Puissance sculpturale


Arman débuta par des gestes élémentaires : tamponner, faire des empreintes, accumuler, brûler, détruire, couper, collecter… Et il poursuivit jusqu’à sa mort, travaillant par séries comme des chantiers ouverts. Les Coupes dévoilent l’intérieur des formes, les Combustions révèlent la puissance transformatrice du feu, les Poubelles et les Reliquaires tendent le rebut vers le sublime. Son œuvre matérialise une proposition radicale : percevoir le réel des systèmes industriels et consuméristes. Il en fait son matériau et son espace poétique. Il ne copie pas une forme, ne l’imite pas.

Vue de l'exposition « Arman. Tout ce qui reste » à la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois à Paris, 2025. Photo : © Tadzio

Vue de l’exposition « Arman. Tout ce qui reste » à la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois à Paris, 2025. © D.R. ; Archives Arman et Courtesy Galerie GP & N Vallois. Photo : © Tadzio

Avec un lyrisme singulier, il fige la fonction d’un objet dans de splendides accumulations, en sécularisant son obsolescence. Ici ce sont des moulins à broyer le café suspendus au-dessus de cafetières en émail, un ensemble de crucifix et d’images de dévotion, des boîtes à sangles de cuir, des ventilateurs… Arman n’est pas seulement un membre du Nouveau Réalisme ni l’artiste de ces accumulations spectaculaires. Il est, avant tout, un sculpteur au sens le plus exigeant du terme, un créateur qui, comme les plus grands avant lui, s’est attaqué aux questions fondamentales de la sculpture : la masse, le volume, l’échelle, les courbes, la silhouette et l’harmonie.

Vue de l'exposition « Arman. Tout ce qui reste » à la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois à Paris, 2025. Photo : © Tadzio

Vue de l’exposition « Arman. Tout ce qui reste » à la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois à Paris, 2025. © D.R. ; Archives Arman et Courtesy Galerie GP & N Vallois. Photo : © Tadzio

Vertige de la collecte


« Je n’ai pas trouvé le principe de l’accumulation ; c’est lui qui m’a trouvé », disait Arman. La société nourrit son sentiment de sécurité par la préservation, elle-même cumulative. Ce vertige de l’archive, Arman l’énonce avec lucidité : « J’espère traduire les inquiétudes issues de la diminution des espaces et des surfaces, et de l’envahissement de nos sécrétions industrielles ».

Garbage New York (1969) d'Arman présenté dans l'exposition « Arman. Tout ce qui reste » à la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois à Paris, 2025. Photo : © Tadzio

Garbage New York (1969) d’Arman présenté dans l’exposition « Arman. Tout ce qui reste » à la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois à Paris, 2025. © D.R. ; Archives Arman et Courtesy Galerie GP & N Vallois. Photo : © Tadzio

Deux œuvres singulières suivent cette logique, de façon opposée. Dans le registre du rejeté, l’exposition présente Garbage New York (1969), pur ready-made : une poubelle en aluminium galvanisé, ramassée telle quelle. Et dans le registre du don, Le Tas des échanges (1965) vous permet de choisir un objet déposé dans la galerie si vous le remplacez par un objet apporté. À vous de jouer le jeu.

L'oeuvre Le Tas des échanges d'Arman réactivée à la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois dans le cadre de l'exposition « Arman. Tout ce qui reste », 2025. Photo : © Tadzio

L’œuvre Le Tas des échanges d’Arman réactivée à la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois dans le cadre de l’exposition « Arman. Tout ce qui reste », 2025. © D.R. ; Archives Arman et Courtesy Galerie GP & N Vallois. Photo : © Tadzio

« Arman. Tout ce qui reste »
Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois, 36 Rue de Seine, 75006 Paris
Jusqu’au 27 octobre 2025

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