Sur TikTok, la vulgarisatrice des questions d’intelligence artificielle sur les réseaux sociaux, Ninon. ia, s’étonne: «L’Europe est en train de préparer l’une des pires attaques contre nos libertés numériques». A ses côtés, un autre créateur de contenu y va aussi de sa courte vidéo à propos de «l’une des lois sur la surveillance numérique les plus extrêmes de l’histoire de l’Union européenne». Les prises de paroles se multiplient sur ce projet de règlement européen visant à prévenir et combattre les abus sexuels sur les enfants, renommé «Chat Control» par ses détracteurs.

Depuis 2022, la Commission européenne travaille sur un projet de règlement sur la surveillance de nos échanges numériques pour lutter contre l’échange de contenus pédocriminels. Par exemple, seraient analysés les vidéos échangées sur Instagram, les photos partagées sur le groupe WhatsApp familial, ainsi que liens partagés par e-mails. Les dernières modifications du texte ne mentionnent plus les messages seulement composés de texte ainsi que les messages audios.

C’est une réalité, les contenus pédocriminels sont partagés et vendus sur les messageries chiffrées, comme l’avait raconté Le Temps à l’occasion d’une enquête sur Telegram et la messagerie suisse Teleguard, utilisées pour échanger ce type d’images.

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«C’est comme si le facteur lisait vos lettres juste avant de vous les livrer.»

Pour les experts en protection des données, ce projet de loi européen représenterait la fin du chiffrement de bout en bout, qui empêche normalement qu’on puisse lire les messages échangés entre plusieurs utilisateurs. Les questions relatives aux droits fondamentaux à la vie privée et à la protection des données sont aussi soulevées: «Interdire la possibilité d’utiliser des moyens de télécommunication de bout en bout, c’est tout simplement aller à l’encontre des droits-là», selon Noé Zufferey, post-doctorant en sécurité de l’information à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich. Toutefois, «la loi est sujette à interprétation et à modification, donc si un État ou un groupe d’États décide de renoncer à ce genre de droits, c’est techniquement faisable.»

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L’ancien eurodéputé Patrick Breyer, du Parti Pirate européen, incarne l’opposition à ce projet. Sur ses réseaux sociaux, il alerte sur l’affaiblissement du chiffrement de nos messages. Selon lui, «c’est comme si le facteur lisait vos lettres juste avant de vous les livrer.» L’eurodéputé-vidéaste chypriote Fidías Panayiótou, pondère également depuis TikTok: «L’analyse de vos messages sur les services chiffrés se fera seulement si l’utilisateur donne son accord». Avant de préciser que si l’utilisateur ne consent pas, il ne sera plus possible d’échanger des images, des vidéos ou des liens sur ces services.

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Et cela concerne aussi la Suisse. En plus d’avoir un impact direct sur les services de messageries chiffrées suisses comme Threema, les textes européens sur le numérique finissent par avoir un effet sur tous les utilisateurs suisses de messageries. Amenés à voter, les pays européens se positionnent et se divisent sur la question. Au moment d’écrire ces lignes, le site Fight Chat Control comptait sept états opposés, dont l’Autriche, les Pays-Bas et la Pologne. Huit pays étaient définis comme indécis, quand douze autres semblaient favorables, dont la France, l’Irlande ou le Danemark. C’est d’ailleurs sous la présidence du Danemark que le Conseil de l’Union européenne se penchera à nouveau sur la question, le 14 octobre prochain. Le texte devra ensuite passer devant le Parlement européen.