Par

Clémence Pays

Publié le

1 oct. 2025 à 10h27

Il y a des secrets qui sont bien gardés. Celui-ci est resté caché, bien au chaud dans une boîte pendant de nombreuses années, au fond d’un grenier. C’est en avril 2025 qu’un particulier a découvert ce trésor : un ensemble de manuscrits de Jean Jaurès, directement lié à un événement historique qui s’est déroulé dans la capitale de la Bretagne. Ce morceau d’histoire sera présenté au public jeudi 2 et vendredi 3 octobre 2025, avant de faire l’objet d’une vente aux enchères à Rennes samedi 4 et lundi 6 octobre.

« Je ne sais pas ce que c’est »

C’est un mercredi matin – créneau durant lequel Pierre-Guillaume Klein, commissaire-priseur, reçoit gratuitement qui le souhaite pour expertiser toutes sortes d’objets – qu’un habitant du secteur de Saint-Malo s’est rendu dans son bureau d’Ouest Enchères Publiques, à Rennes.

Il m’a montré une boîte en bois et m’a dit : « J’ai ça, je ne sais pas ce que c’est, mais il y a des papiers signés Jean Jaurès. »

Pierre-Guillaume Klein
Commissaire-priseur pour Ouest Enchères Publiques

En ouvrant cette grande boîte, le professionnel découvre « un fatras de papiers » allant de la grande feuille au petit bout de papier découpé.

Dessin légendé exécuté au crayon sur papier brun signé Couturier, dessinateur radical-socialiste, connu pour ses dessins incisifs et ses caricatures virulentes en particulier sur l'affaire Dreyfus.
Dessin légendé exécuté au crayon sur papier brun signé Couturier, dessinateur radical-socialiste, connu pour ses dessins incisifs et ses caricatures virulentes en particulier sur l’affaire Dreyfus. (©Clémence Pays/actu Rennes)Six mois de travail

Pierre-Guillaume Klein observe alors attentivement ces documents. « Ce sont des écrits, il fallait vérifier que ce ne soient pas des reproductions. Et là, c’est tout bon, cela vient bien de la main de l’auteur ! »

Commence alors un long travail pour « tout remettre en ordre ». Le commissaire-priseur fait donc appel à « un expert », Pascal Guillebaud, spécialisé dans les manuscrits.

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Des manuscrits signés de la main de Jean Jaurès ont été retrouvés dans une boîte en bois, chez un particulier.
Des manuscrits signés de la main de Jean Jaurès ont été retrouvés dans une boîte en bois, chez un particulier. (©Clémence Pays/actu Rennes)

« Il a fait un gros boulot avec un travail de recherche important pour tout réunir et déchiffrer » les textes. Lettres, textes, échanges avec des députés et des radicaux de gauche… « On se retrouve face à tout ça, c’est très étrange. » Et puis, il y a des annotations écrites en bleu. « L’expert nous a expliqué que ce sont des notes d’imprimeurs » sur des documents qui devaient sans doute être publiés dans un journal.

Tout cela représente « six mois de boulot. La vente aux enchères n’est que la partie émergée de l’iceberg », souligne Pierre-Guillaume Klein.

Un hommage à Zola et la défense de Dreyfus

L’intégralité de ces documents a été classée et regroupés en différents lots. « Il y en a quelques-uns qui ressortent », note le commissaire-priseur. C’est tout particulièrement le cas d’un « hommage posthume à Émile Zola ».

Autre découverte extraordinaire, « des documents relatifs à l’affaire Dreyfus » et en particulier le second procès du capitaine qui s’est déroulé à Rennes.

Jaurès prend la défense de Dreyfus. Il reprend tous les nouveaux faits de ce procès, point par point. On sent qu’il crie, qu’il accuse et dénonce une erreur judiciaire. C’est très lisible, il y a peu de ratures. C’est émouvant. On se retrouve dans la pensée d’un homme qui fait tout pour défendre Dreyfus.

Pierre-Guillaume Klein
Commissaire-priseur à Ouest Enchères Publiques

La version publiée de ce texte n’a pas été retrouvée. « On ne sait pas si ce texte est paru quelque part », explique Pierre-Guillaume Klein.

Le procès Dreyfus à Rennes

En septembre 1894, une lettre adressée à l’attaché militaire allemand en poste à l’ambassade d’Allemagne est découverte par l’État français. Celle-ci laisse entendre qu’un officier français livre des renseignements à l’Allemagne. Le capitaine Alfred Dreyfus est soupçonné d’être l’auteur de cette lettre. À l’issu du procès, il est déclaré coupable et condamné à la déportation perpétuelle, à la destitution de son grade et à la dégradation.

Le 9 juin 1899, Alfred Dreyfus quitte l’île du Diable et est transféré à la prison militaire de Rennes en prévision d’un nouveau procès après qu’une supercherie visant à le faire accuser a été découverte.

Le Conseil de guerre se réunit du 7 août au 9 septembre 1899, dans la salle des fêtes du lycée de Rennes (actuel lycée Émile-Zola). À l’issue de ce conseil, le capitaine Dreyfus est déclaré coupable de haute trahison avec circonstances atténuantes et est condamné à dix ans de réclusion.

Des manuscrits jamais passés en vente

Fait surprenant dans cette découverte : le propriétaire des manuscrits ne sait pas d’où ils viennent, ni comment ils se sont retrouvés chez lui. Par conséquent, ces écrits « ne sont jamais passés en vente », note le commissaire-priseur.

Lors de la vente aux enchères, ils seront divisés en une trentaine de lots allant de 80 à 2 000 euros pour la mise à prix, de ces documents rédigés milieu 1800 et début 1900.

Le texte intitulé
Le texte intitulé Fait nouveau revient sur les nouvelles preuves apportées dans l’affaire Dreyfus lors du second procès du capitaine. (©Clémence Pays/actu Rennes)

Une valeur pécuniaire fixée en fonction de divers critères : « À qui Jaurès a écrit ? Sur quoi ? » Tous ces critères s’ajoutent et font grimper la valeur des lots. Le plus cher est donc celui intitulé Fait nouveau sur l’affaire Dreyfus et comprend 25 feuillets.

Le gouvernement comprendra qu’il est de son honneur et de sa force de chercher et de dire le vrai.

Jean Jaurès
Extrait du manuscrit Fait nouveau – lot 335 de la vente aux enchères Quintessence II

Pour Pierre-Guillaume Klein, les manuscrits présentés sont « un ensemble complet. Complet par l’orientation politique, par le discours. Complet parce qu’il balaye une certaine période la vie de Jaurès et permet de cerner l’homme. »

Une vente sur deux jours

La vente des manuscrits de Jean Jaurès fait partie d’une vente aux enchères nommée Quitessence II, qui comprend plus de 300 lots, « qui vont de 20 euros à 30 000 euros ».

« C’est une vente pour toutes les bourses, tous les goûts et toutes les époques », se réjouit Pierre-Guillaume Klein. Tableaux, mobilier, vaisselle, décoration, ouvrages littéraires… Ce sont « plein d’objets divers et variés qui seront mis en lumière ».

Comment expliquer que tous ces objets se retrouvent réunis pour ce même événement ? « C’est l’intérêt historique et esthétique » qui est étudié pour créer une vente réunissant des objets « de valeur », non au sens financier mais au sens de leur intérêt.

La vente Quintessence II comprend également de nombreux objets d'arts de la table comme ces assiettes créées par Mathurin Méheut.
La vente Quintessence II comprend également de nombreux objets d’arts de la table comme ces assiettes créées par Mathurin Méheut. (©Clémence Pays/actu Rennes)

Pour que ce tout soit cohérent, la vente a été divisée en plusieurs temps. Samedi, à 14h, seront présentés le mobilier, les objets d’art et décoration, ainsi que les sculptures et tableaux.

Lundi 6 octobre, à 11h, les enchères porteront sur les arts de la table et l’argenterie. À 14h, ce sera au tour des manuscrits – dont ceux de Jean Jaurès –, des livres et calendriers.

Infos pratiques :
Vente aux enchères publiques Quintessence II, samedi 4 octobre à 14h et lundi 6 octobre à 11h et 14h, à la salle des ventes de Rennes, 137bis rue de Lorient, Vezin-le-Coquet.
Expositions publiques, jeudi 2 et vendredi 3 octobre, de 10h à 17h ; samedi 4 et lundi 6 octobre, de 10h à 11h.

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