Environ 3 700 diplômés des grandes écoles d’ingénieurs françaises ont quitté l’Hexagone à la fin de leurs études pour commencer leur carrière à l’étranger, d’après le « Baromètre sur l’expatriation et la fuite des cerveaux », publié ce mercredi par la Fédération Syntec en partenariat avec l’institut Ipsos, portant sur 2023. Soit près d’un sur dix (9 %), sur les quelque 41 000 ingénieurs ayant décroché leur diplôme cette année-là.

Cette proportion est plus faible que dix ans en arrière (11,4 % en 2013). Une comparaison qui s’avère toutefois trompeuse. Car les classes étaient moins remplies à cette époque, si bien qu’en volume, le nombre absolu d’ingénieurs expatriés a progressé de +23 % (3 350 départs estimés en 2013). Sur ces dix ans, ce sont ainsi quasiment 40 000 ingénieurs qui sont partis après leurs études, selon ce baromètre qui concerne des écoles toutes membres de l’association CGE, qui regroupe des structures d’ingénieurs mais aussi de management et de haut enseignement, et toutes reconnues par l’État.

Près d’un milliard pour les finances publiques

Les jeunes ingénieurs ne sont pas les seuls à s’expatrier une fois leur cursus terminé. Quelque 4 000 diplômés des écoles de management membres de la CGE ont aussi mis les voiles en 2023 (14,8 %). Au total, parmi les 78 000 diplômés de ces grandes écoles (ingénieurs, management et haut enseignement), environ 9 000 ont quitté l’Hexagone avec leur diplôme en poche en 2023, soit plus d’un sur dix (11,4 %).

« Cette hémorragie lente et continue des talents hautement qualifiés traduit une érosion silencieuse, mais durable du potentiel scientifique, technologique et économique de la France », considère la Fédération Syntec. Elle va même jusqu’à alerter sur le « risque structurel pour l’innovation et la compétitivité » que pourrait entraîner cette expatriation croissante.

À l’échelle de l’ensemble des écoles et formations, cette fuite est estimée entre 13 000 et 14 500 personnes chaque année. Elle représenterait un coût pour les dépenses publiques, chiffré entre 870 et 960 millions d’euros par an dans le baromètre, en raison des dépenses consenties par l’État pour la formation supérieure de ces jeunes.

Envie d’ailleurs

Le phénomène ne semble pas près de se calmer. Près de six jeunes actifs ou diplômés d’un bac +5 envisagent une expatriation dans les trois prochaines années, dont 21 % sérieusement. Point positif : la majorité d’entre eux (61 %) visent un départ temporaire, pour cinq ans maximum.

Si les jeunes « talents » français prennent le large, ce n’est pas par « envie de fuir quelque chose », peut-on lire dans le baromètre. « En majorité, ce n’est pas leur regard sur la France ni sur leur travail ou le travail en général qui explique ce souhait ou ce projet d’expatriation. La France est d’ailleurs reconnue pour l’équilibre pro-perso et la couverture sociale malgré des niveaux de rémunération en deçà de nombreux pays comparables », est-il écrit.

Les raisons touchent plus au personnel qu’au professionnel. Pour quatre aspirants sur dix, l’expatriation est ainsi motivée par la découverte d’une nouvelle culture, la rencontre avec de nouvelles personnes et la possibilité d’améliorer ses conditions de vie. Trois sur dix évoquent aussi l’envie de « vivre une expérience » en dehors des frontières françaises.

Ce sont le Canada et la Suisse qui attirent le plus les candidats français à l’expatriation (respectivement 29 % et 22 % des répondants). Deux pays dont une partie de la population est francophone, ce qui n’est pas un hasard. Le « top 5 » est complété par les États-Unis (17 %), l’Allemagne (16 %) et l’Espagne (12 %).

Changements nécessaires

Suite à ce constat, la Fédération Syntec « appelle à une action rapide et coordonnée pour conjurer ce risque de détalentisation ». « L’enjeu n’est pas seulement d’attirer les talents, mais surtout de créer les conditions permettant de les retenir et de faciliter leur retour », appuie-t-elle. Selon elle, il faut ainsi agir en « urgence » sur les « prélèvements fiscaux et sociaux qui pèsent sur les profils les plus qualifiés ».

Interrogés, les principaux concernés indiquent à une très grande majorité (86 %) que la revalorisation de leurs rémunérations est la mesure prioritaire pour les convaincre de rester. Un critère toutefois presque autant cité que des mesures pour faciliter l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle (85 %), des perspectives d’évolution de carrière plus attractives (85 % également), l’amélioration des conditions de travail (84 %) et la flexibilité des horaires (83 %). Vaste chantier.