Présenté ce mercredi 1er octobre en avant-première au cinéma Laetitia d’Ajaccio, le documentaire « Camera Obscura, La fabrique du nous » de Yolaine Lacolonge s’intéresse au regard de trois cinéastes insulaires qui mettent en scène la Corse contemporaine : Thierry de Peretti, Julien Colonna et Frédéric Farrucci. L’occasion d’interroger la puissance des images et le rôle du cinéma dans la société.

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« À son image » de Thierry de Peretti, « Le Royaume » de Julien Colonna, « Le Mohican » de Frédéric Farrucci. Ces trois films ont marqué l’année 2024 en Corse.

Tournés au même moment dans l’île, ils ont suscité l’intérêt de Yolaine Lacolonge, qui y a vu « un alignement de planètes » et a donc décidé de réaliser un documentaire autour de ces trois cinéastes qui portent chacun leur vision de la société insulaire.

L’occasion pour la réalisatrice de 56 ans, dont c’est le tout premier film, d’interroger plus largement sur le rôle du cinéma en « laissant la porte ouverte sur des débats ».

« Camera Obscura, La fabrique du nous » sera présenté ce mercredi 1er octobre à 20 heures 30 en avant-première au cinéma Laetitia d’Ajaccio dans le cadre du festival Passion Cinéma.

Produit par Mouvement, en coproduction avec Télé Paese et en partenariat avec France 3 Corse ViaStella, le documentaire sera également projeté ce dimanche 5 octobre à 15 heures au Spaziu Carlu-Rocchi de Biguglia à l’occasion d’Arte Mare. Et le 28 octobre, à Prunelli-di-Fiumorbo.

Le documentaire “Camera Obscura, La fabrique du nous” de Yolaine Lacolonge s’intéresse au regard de trois cinéastes insulaires qui mettent en scène la Corse contemporaine.

Le documentaire “Camera Obscura, La fabrique du nous” de Yolaine Lacolonge s’intéresse au regard de trois cinéastes insulaires qui mettent en scène la Corse contemporaine.

© DR

France 3 Corse ViaStella : Dans votre documentaire « Camera Obscura, La fabrique du nous », vous avez choisi de vous intéresser à trois réalisateurs insulaires : Thierry de Peretti (« À son image »), Julien Colonna (« Le Royaume ») et Frédéric Farrucci (« Le Mohican »). Tournages, thèmes, décors, les trois films présentent des similitudes. Est-ce cette proximité qui vous a conduit à réaliser ce documentaire ?

Yolaine Lacolonge : C’est vraiment la question de la temporalité. Quand j’ai réalisé que ces trois films allaient se tourner en même temps – ce qui n’était pas forcément prévu au départ -, j’ai eu l’intuition de me dire que c’était quand même inédit ce qu’il était en train de se passer : trois longs-métrages de trois cinéastes corses qui se tournent en même temps sur des décors voisins, avec des techniciens dont certains vont aller d’un tournage à un autre, des figurants qui vont aller d’un tournage à un autre… Donc c’est véritablement cet alignement des planètes un peu fou quand même pour une île de 350 000 habitants qui m’a interpellée. Quand on sait ce que cela représente de réaliser un long-métrage, c’est quand même une concordance assez incroyable. Cette temporalité-là a donc vraiment été le point de départ. C’est ce qui a suscité l’intuition, le désir de raconter ce moment-là…

Filmer des réalisateurs, cela représente une forme de mise en abyme, qu’avez-vous voulu montrer en utilisant ce procédé ?

L’intérêt c’était de me demander : « Que racontent ces cinéastes ? » Ils ont trois univers différents, mais ils parlent tous les trois de la Corse contemporaine. Et en plus, pour la première fois depuis Colomba, il y a des héroïnes. Ce qui est quand même assez nouveau.

Cela a-t-il constitué un point déterminant dans votre volonté de vous intéresser à ces films ?

Je me suis dit qu’il y avait quand même à la fois cette temporalité que j’évoquais et en plus, ces trois films ont des héroïnes, ce qui est quand même assez nouveau dans la représentation qu’on peut avoir de la Corse au cinéma. Car cette représentation est habituellement très masculine.

Comment interprétez-vous ce choix des réalisateurs ?

Moi je n’interprète pas, je donne à voir. Ce n’est pas mon rôle d’interpréter. Mon rôle, c’était de donner la parole à ces cinéastes, de manière un peu plus approfondie que ce qui peut être fait lors de la promotion, afin qu’ils présentent chacun leur film. L’idée était de leur donner la parole, de leur permettre de parler de leur travail, de les questionner justement sur ce choix, et en même temps de raconter, de tenter de capturer ces moments de tournage, ces moments où les films sont sortis, pour voir ce que cela raconte de la Corse et comment tout cela est perçu à la fois par les gens qui ont participé à ces films et par le public.

Donner à réfléchir sur ce que peut être le cinéma.

Vous avez voulu donner la parole à ces trois réalisateurs qui tous ont fait le choix de filmer la Corse contemporaine, qu’est-ce qui vous a marqué dans le regard qu’ils portent sur l’île ?

Il faut voir le film, je pense que c’est le film qui raconte ça, ce n’est pas moi… L’intérêt, c’est le film. Mais il n’est pas là pour apporter des réponses. En tout cas, mon objectif c’était de réaliser un documentaire qui capture ces moments-là pour permettre d’ouvrir ensuite des discussions, des débats, des réflexions… Je ne suis ni critique de cinéma, ni ethnologue, ni sociologue, ni historienne du cinéma. Avec ma petite caméra, j’ai essayé de donner la parole, de capturer des moments et de poser des choses dans ce film pour ensuite laisser la porte ouverte à des débats.

Et quels types de débats justement, selon vous, cela peut ou doit ouvrir ?

Ils sont nombreux. Que raconte-t-on de la Corse ? Qu’est-ce que le cinéma ? Est-il est là pour représenter la société ou non ? Doit-il avoir juste son rôle, c’est-à-dire celui d’une fiction, d’un désir de cinéaste ? Ce sont à la fois des questionnements sur le cinéma et sur la Corse. Mais ma volonté n’était pas non plus de faire une historiographie du cinéma en Corse. Parce qu’à ce moment-là, il y a plein d’autres cinéastes : Éric Fraticelli qui fait de la comédie, Pascal Tagnati du film d’auteur, Caroline Poggi qui a la Corse est en elle, même si l’île n’est pas réellement présente dans son cinéma… Bref, il y a de nombreuses autres propositions, et cela aurait été un travail différent. Là, c’est juste un moment capturé de cette temporalité-là.

C’est une petite fenêtre, un espace sur un temps donné qui, je l’espère, va donner à réfléchir sur ce que peut être le cinéma

Si l’on s’intéresse au rôle du cinéma dans la société, ces trois films traitent chacun à leur manière de la question du crime organisé en Corse, et certains membres des collectifs antimafia avaient alerté sur un risque de glorification de la violence. Qu’en pensez-vous ?

Je ne vais pas déflorer mon film puisque cette question-là y est abordée. Les réponses sont à trouver dans ces portes que j’essaie d’ouvrir pour susciter la discussion. Mais, encore une fois, je ne suis ni sociologue, ni ethnologue. Ce que je pense, c’est que le cinéma, c’est le cinéma. Le cinéma, c’est un désir de cinéaste, c’est un désir d’artiste, c’est son point de vue et on doit le respecter. C’est peut-être la réponse la plus simple que je pourrais apporter.

« Camera Obscura, La fabrique du nous » est votre premier film. Cette expérience vous a-t-elle donné envie de vous diriger vers d’autres projets ?

Oui je travaille sur d’autres projets, mais c’est en effet un premier film donc j’aborde tout cela avec beaucoup d’humilité. Je suis une « vieille jeune réalisatrice », puisque j’ai 56 ans, je ne suis pas toute jeune et c’est un grand rêve que je réalise. Je mesure la chance d’avoir pu le faire et je remercie ces trois cinéastes qui m’ont permis de le réaliser. C’est une petite fenêtre, un espace sur un temps donné qui, peut-être, je l’espère en tout cas, va donner à réfléchir sur ce que peut être le cinéma, ce qu’il peut apporter ou pas.