CRITIQUE – Le Musée de Picardie consacre une rétrospective d’ampleur à ce décorateur de plusieurs édifices parisiens, tel le magnifique restaurant Le Train bleu, gare de Lyon.

Fameux pour ses grands formats du XIXe siècle, le musée d’Amiens conserve notamment Les Voix du Tocsin, allégorie monumentale (près de 5 × 5 m !) du sentiment national. On y voit, dans la fumée de Strasbourg bombardée par les Prussiens en 1870, un peuple de hardis génies faisant battre à toute volée la plus énorme des cloches de la cathédrale martyre. Ces personnages tout en musculature et tourbillonnant conservent la leçon de Michel-Ange. Leur auteur, Albert Maignan (1845-1908), est également celui de nombre de peintures et de décors caractéristiques du style dominant à la Belle Époque. Un vrai stakhanoviste que ce multirécompensé, médaille d’or à l’Exposition universelle de 1889 (celle du centenaire de la Révolution et pour laquelle la tour Eiffel a été construite).

L’institution picarde, qui conserve le fonds d’atelier de Maignan ainsi que sa riche collection archéologique et médiévale lui consacre cette saison une rétrospective d’ampleur, toute à sa mesure. Elle court dans des espaces rouges du salon, jaune ou rose du premier, mais aussi au rez-de-chaussée ainsi qu’au sous-sol. Toutes les facettes de cette carrière prolifique, qui est allée de succès en succès, sont donc évoquées. Soit 395 œuvres présentées (les travaux préalables comme les peintures définitives). Parmi elles, 270 sortent des réserves, ce qui signifie qu’on découvre beaucoup.


Passer la publicité

Ayant pratiqué fort efficacement les circuits officiels de la commande publique, Maignan a laissé un peu partout ses couleurs pimpantes. À Paris, le restaurant Le Train bleu de la gare de Lyon lui doit l’allégorie de La Bourgogne et du vin au plafond. Et, sur un mur, la vue du théâtre d’Orange avec, dans les gradins, parmi le public, lui-même, son épouse et aussi Sarah Bernhardt, Réjane, Edmond Rostand…

Le meilleur de sa peinture d’histoire

Au foyer de l’Opéra-Comique il a mêlé également divers personnages d’opérettes sur le mur du fond, tandis que des figures volantes, allégorie de la « ronde de notes », peuplent le plafond : un ciel ouvert rappelant la grande tradition baroque. Dans la capitale, Maignan a encore conçu des tapisseries pour le tribunal de commerce et d’autres pour le Sénat, œuvré pour le Salon des Lettres de l’Hôtel de ville ou dessiné des vitraux pour Notre-Dame-de-Consolation (8e). Comme ce monument a été érigé sur les cendres du Bazar de la Charité en mémoire des victimes de ce drame, Maignan y a figuré les âmes des victimes rejoignant le paradis. Simultanément, à Saint-Philippe-du-Roule, il alignait les saints.

Pierre Stépanoff, directeur du musée et commissaire avec la spécialiste Véronique Alemany a également tenu à accrocher le meilleur de sa peinture d’histoire. Son Départ de la flotte normande pour la conquête de l’Angleterre est d’une érudition impeccable et vaut la peine qu’on s’y attarde même si l’effet général est celui du péplum. Son Napoléon et Marie Louise traversant la grande galerie du Louvre le jour de leur mariage le 2 avril 1810 ou son Saint Louis consolant un Lépreux ont le charme des films en costumes de Sacha Guitry.

Derrière ce chantre des grandes heures ayant fait la France, sous ce peintre qualifié péjorativement de pompier, se discerne aussi, de manière sous-jacente, un sage méditant sur l’inconstance du pouvoir ou sur ces exercices difficiles que sont la justice et la compassion (voir son Hommage à Clovis II, portrait d’un enfant avachi sur un trône trop grand pour lui). Maignan ne se prive pas de morale. Peintes en 1895, La Muse verte prévient des ravages de l’absinthe et La Fortune passe, qui a pour décor le palais Brongniard, ancien siège de la Bourse, dénonce la spéculation financière.

Modernité et autodérision

Il y a plus encore : de Maignan on voit différents projets de publications, des affiches et jusqu’à d’autres cartons pour des projets non aboutis. Ainsi, son cycle prévu pour la cathédrale d’Orléans. Il conte la vie de Jeanne d’Arc. En ce qui concerne les portraits il laisse quelques élégantes dans leur pergola fleurie ou observant des mouettes sur la Riviera. Ici, le peintre flirte avec le langage impressionniste. Son Hélène à la Fontaine et discutant avec un paon (collection particulière) est franchement belle. Alternent encore paysans, ouvriers au labeur ou industriels, personnages des décors de la chambre de commerce de Saint-Étienne.


Passer la publicité

Les paysages suivent, croquis ou pochades rapidement brossées durant les voyages dans les régions de France ou d’Italie. Ils se trouvent accrochés à touche-touche avec succès. Leur masse impressionne et séduit. Maignan a aussi comme cela capté l’Andalousie, la Hollande ou encore le tout nouveau canal de Suez. Bien sûr, on le trouve régulièrement copiant les maîtres, celui de la chapelle Sixtine en tête. C’est bien la base pour un académique. Comme de multiplier les études de nus.

Plus originales sont ses natures mortes, études de fleurs ou de fonds marins avec algues, anémones, rougets et méduses. En somme cet art quoique désuet ne manque pas d’intérêt. Il contient une certaine dose de modernité et n’est pas exempt, malgré son emphase, d’autodérision. Maignan se qualifiait d’ailleurs de « vieux jeu original ». Il s’était bien cerné.

Jusqu’au 4 janvier au Musée de Picardie à Amiens (80). Puis au Musée de Tessé, Le Mans, du 11 avril au 27 septembre 2026. Catalogue Invenit, 400 p., 39 €.