Sundar Pichai (Google), Satya Nadella (Microsoft), Shantanu Narayen (Adobe) sont tous nés en Inde… Et ils sont nombreux à avoir quitté le sous-continent pour faire carrière dans les multinationales de la tech américaine. La Silicon Valley leur doit tant. Fin septembre, Donald Trump a fait grimper le prix du ticket d’entrée : le visa de travail H-1B coûte désormais 100 000 dollars. Une somme démesurée, 20 à 50 fois plus élevée que son montant initial qui variait selon la taille de l’entreprise. C’est le prix à payer désormais pour espérer poursuivre le rêve américain.

Mis en place au début des années 1990, ce visa permettait à environ 400 000 étrangers de venir travailler aux Etats-Unis pour une période de trois ans renouvelable. La condition : être sponsorisé par un employeur aux Etats-Unis et être hautement qualifié dans un secteur de pointe comme l’ingénierie, l’informatique, la médecine, les mathématiques… ou encore le mannequinat.

Plus encore que la réforme, la méthode interroge. Le revirement a été annoncé en grande pompe, à la veille du week-end du 20 septembre. Date de mise en œuvre du décret : le dimanche 21, soit moins de 48 heures plus tard ! Immédiatement, un vent de panique s’est emparé des états-majors de la Silicon Valley, les responsables d’entreprises technologiques intimant à leurs employés de ne quitter le territoire des Etats-Unis sous aucun prétexte. Karoline Leavitt, porte-parole du gouvernement américain a ensuite apporté quelques clarifications : « Il s’agit de frais à payer une seule fois qui ne s’appliquent qu’à la demande de visa, a-t-elle détaillé, ceux qui sont déjà titulaires de visas H-1B et se trouvent actuellement hors du pays ne devront pas payer 100 000 dollars pour rentrer. » Tirés d’affaire ? Pas si sûr…

Les travailleurs indiens sont les premiers touchés par l'annonce de Donald Trump.

Les travailleurs indiens sont les premiers touchés par l’annonce de Donald Trump.

© / Mathias Penguilly / L’Express

Cela fait un moment que certains élus ont le visa H-1B dans le viseur. Donald Trump, lui, a régulièrement changé d’avis à son endroit. Lors de sa première présidence, son administration avait déjà réduit le nombre de permis accordés. En décembre dernier, à quelques jours de sa deuxième investiture, il a d’abord promis de ne pas y toucher. Il faut dire que la plupart des champions économiques américains sont des défenseurs véhéments du visa, à commencer par le milliardaire Elon Musk, ancien allié du président.

En augmentant le prix d’entrée, il espère réduire la manne de travailleurs immigrés et encourager les multinationales de la tech à embaucher des talents locaux. « L’idée générale, c’est que ces grandes entreprises de la tech ou d’autres secteurs ne formeront plus de travailleurs étrangers, a défendu Howard Lutnick, secrétaire au Commerce des Etats-Unis, si vous voulez former quelqu’un, vous allez former un jeune diplômé d’une des grandes universités de notre pays, former des Américains, et arrêter de faire venir des gens pour prendre nos emplois. »

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En 2024, 71 % des bénéficiaires du visa H-1B étaient originaires d’Inde. Difficile de ne pas voir un ciblage direct des travailleurs indiens dans la manœuvre du président Trump. D’autant que les Indo-Américains ont pris une place déterminante dans l’écosystème économique des Etats-Unis. Ils sont surreprésentés parmi les PDG du classement Fortune 500 et dirigent deux des 15 premières entreprises de ce classement. Les 13 autres sont tous des hommes, nés en Amérique.

De nombreuses entreprises américaines sont actuellement dirigées par un PDG d'origine indienne.

De nombreuses entreprises américaines sont actuellement dirigées par un PDG d’origine indienne.

© / Mathias Penguilly / L’Express

Par ailleurs, certains ont marqué leur entreprise de leur empreinte, à l’image d’Indra Nooyi, ancienne dirigeante de PepsiCo et une des premières femmes à la tête d’un titan de l’économie américaine ou encore d’Ajay Banga, ancien PDG de Mastercard qui préside la Banque mondiale à présent. Les Indo-Américains sont également très présents dans la sphère politique : l’ancienne vice-présidente Kamala Harris a des origines indiennes, tout comme Nikki Haley et Vivek Ramaswamy, candidats malheureux à la primaire républicaine en 2024. Ce dernier a rejoint l’administration Trump tandis que Kash Patel, fils d’immigrés indiens, a pris les rênes du FBI. Enfin, six Indo-Américains ont été récemment été élus à la Chambre des représentants. Tous des démocrates.

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Le plus médiatique d’entre eux, Ro Khanna est élu dans la Silicon Valley et s’est lui-même régulièrement opposé au visa H-1B. Son tort selon lui ? Permettre l’embauche de talents étrangers à moindres frais. Pas question de s’aligner sur le programme trumpiste pour autant : en 2018, il s’était par exemple opposé à la restriction du nombre de permis accordés, dénonçant une « rhétorique anti-immigrés. »

Pour ceux qui souhaiteraient suivre les traces de ces nouveaux pionniers, il faudra convaincre des entreprises de débourser la somme aussi symbolique que titanesque fixée par Donald Trump. Dans les débats économiques qui l’opposent régulièrement aux grands conglomérats californiens, le président a tranché. Et donne à voir une certaine idée de l’Amérique.