Ellen Pompeo amplifie le complexe de sauveur de Kristine, puis la transforme en victime narcissique.
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Dans le rôle d’une mère adoptive indigne, la star de Grey’s Anatomy embrasse une partition inédite plus sombre, égoïste et cruelle sur Disney+. Rencontre.
« Un nouveau personnage est une expérience fantastique. Je cherchais un défi de taille à relever sur le plan créatif. Kristine a constitué une rupture et m’a fait chercher des émotions plus sombres, plus égoïstes, plus cruelles », sourit Ellen Pompeo, drapée dans un costume gris dans sa chambre parisienne de l’hôtel Bristol.
Visage depuis 2005 de Grey’s Anatomy, la comédienne de 55 ans, qui incarne le médecin opiniâtre Meredith Grey, n’avait plus endossé d’autre rôle depuis le lancement de la série médicale. Avec la minisérie Good American Family, sur Disney+, l’actrice donne vie à un des faits divers les plus médiatisés et édifiants de ces dernières années aux États-Unis : le cas de Natalia Grace.
Mère adoptive
Atteinte de nanisme, cette fillette ukrainienne de 7 ans a été soupçonnée par le couple du Midwest qui s’en occupait d’être adulte et de mentir sur son âge. Ce qui les a poussés à l’abandonner dans un appartement vide. Ellen Pompeo campe Kristine Barnett, cette mère adoptive persuadée que l’enfant qu’elle a accueillie dans son foyer cherche à lui nuire. Face à l’avalanche de témoignages contradictoires sur l’affaire, la série alterne les points de vue entre Kristine, son mari et Natalia. Pour rester sur cette corde raide entre accusée et accusatrice, les scénaristes Katie Robbins et Sarah Sutherland ont épluché les dépositions, les examens médicaux, les documentaires, les articles.
Cette double partition a convaincu Ellen Pompeo, qui amplifie le complexe de sauveur de Kristine, puis la transforme en victime narcissique. « Pour se lancer dans ce projet, qui nous encourage à moins être dans le jugement et à élargir nos horizons de valeurs, il fallait que le suspense aille de pair avec de la prévenance. Quand on relit les témoignages, nos convictions changent selon l’interlocuteur. C’est fascinant et très actuel de voir comment deux personnes ont une lecture radicalement différente du même événement », souligne la comédienne.
« Kristine a un compte à régler avec son enfance, avec sa mère. Cette série rappelle que la parentalité est aussi une question d’ego, malheureusement. », décrypte celle qui a dévoré le recueil d’essais d’Andrew Solomon Far From the Tree sur des familles d’enfants autistes, sourds, trisomiques. « Comment réagir face à l’inattendu ? Le plus dur est de renoncer aux attentes que l’on a à l’égard de nos enfants quand ils ne s’y conforment pas. L’inaction est aussi nocive que le surinvestissement. »
Prise de poids et recours à des répétiteurs
Consciente qu’elle n’avait pas façonné de personnage depuis Meredith Grey, Ellen Pompeo s’est entourée de répétiteurs pour trouver les maniérismes, les gestes et l’accent du Midwest. « Kristine est ce type de chrétien qui pense que la foi est la réponse à tous les problèmes. » La native de Boston a aussi pris du poids. En tant que productrice, elle a veillé à ce que les plateaux soient irréprochables en matière de diversité et de cordialité. Certains scénaristes et techniciens, comme les acteurs jouant les garçons de Kristine, sont ainsi neurodivergents.
Le point commun entre Good American Family et Grey’s Anatomy ? Le recours à la voix off. Ellen Pompeo a mené les enregistrements de front dans la même cabine. Si la longévité de Grey’s Anatomy lui a imposé des sacrifices – « des journées de travail de dix heures sur dix mois, ce n’est pas sain » -, la création de Shonda Rhimes lui a aussi apporté de la stabilité et un siège au premier plan des transformations de l’industrie.
« Les plateformes ont rendu les œuvres accessibles mondialement et ont entraîné une diminution du nombre d’épisodes. C’est un meilleur équilibre de vie, mais cela a rétréci les salles d’écriture, les opportunités pour les acteurs de genre spécialisés dans les petits rôles marquants. Nous ne sommes pas compensés à la hauteur de ce que nous rapportons alors que nous n’avons jamais été aussi regardés », déplore celle qui ne lâche pas la barre de Grey’s Anatomy. Quitter un rôle aussi lucratif « n’aurait aucun sens, ni émotionnellement ni financièrement ».