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Scunthorpe, dernier bastion en danger de la sidérurgie britannique

Tristan de Bourbon- Scunthorpe

Publié aujourd’hui à 09h04Travailleurs dans l’atelier de laminage à chaud des rails et sections du site de British Steel à Scunthorpe, Angleterre, le 17 avril 2025.

L’avenir de l’usine sidérurgique de Scunthorpe inquiète ses ouvriers et les habitants du village.

AFP

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  • Le gouvernement britannique souhaiterait prendre le contrôle de l’aciérie British Steel à Scunthorpe, dans le nord-est de l’Angleterre.
  • L’entreprise chinoise Jingye a refusé une aide de 540 millions de francs.
  • Le site représente le dernier haut-fourneau produisant de l’acier primaire au Royaume-Uni.
  • L’usine emploie 2700 personnes et soutient l’économie de toute la région.

Sa journée de travail achevée, Graham se dirige d’un pas lent vers sa voiture. Sa combinaison orange sur les épaules et son casque noirci à la main, il sourit. «Oui, l’ambiance est indéniablement meilleure que vendredi dernier, lorsque le propriétaire chinois Jingye a rejeté l’aide financière du gouvernement pour poursuivre l’activité du haut-fourneau», explique ce soudeur de 40 ans, salarié depuis sept ans par British Steel. «Personne n’en menait large. Mais la décision du gouvernement d’intervenir et de probablement nationaliser British Steel nous redonne de l’espoir. Maintenant, il va falloir qu’il investisse pour relancer l’entreprise, après plusieurs années pendant lesquelles les Chinois ont réduit la voilure.»

Village de campagne, Scunthorpe s’est développée à la suite de la découverte de minerai de fer lors de la révolution industrielle du milieu du XIXe siècle. Avec la Première Guerre mondiale, elle est même devenue l’une des principales villes industrielles du pays. Dans la zone piétonne du centre-ville, l’intrication de la ville et de la sidérurgie est rappelée par une statue en acier d’un couple d’ouvriers, dédiée «aux métallurgistes passés et présents et à leurs familles venues de Scunthrope et des environs, qui ont contribué à l’effort de la Seconde Guerre mondiale, à l’économie britannique et à l’établissement de cette ville».

Secteur de la sidérurgie en berne

Mais l’époque florissante de la sidérurgie britannique a pris fin. Autrefois leader mondial du secteur, le Royaume-Uni n’a produit en 2023 que 0,3% de l’acier mondial. Le site de Scunthorpe du groupe British Steel demeure le dernier haut-fourneau du pays, la seule aciérie capable de produire de l’acier dit «primaire», c’est-à-dire pur et de qualité optimale. En septembre dernier, le gouvernement avait en effet laissé le groupe indien Tata transformer ses deux hauts-fourneaux de Port Talbot, au Pays de Galles, en fours électriques, qui ne peuvent que recycler de l’acier déjà existant. 

Lorsque le Chinois Jingye a laissé entendre, il y a deux semaines, qu’il souhaitait faire de même à Scunthorpe après avoir refusé une aide de 540 millions de francs des autorités pour poursuivre l’activité des hauts-fourneaux, le gouvernement travailliste a tapé du poing sur la table. Le Royaume-Uni serait devenu le seul pays du G7 sans haut-fourneau, perdant par là même son autonomie en matière de production d’acier de grande qualité.

Une situation à ses yeux inconcevable alors que, comme l’a souligné le député Clive Betts, président adjoint du comité parlementaire sur les comptes publics, «des préoccupations géopolitiques internationales majeures se font jour» depuis quelques mois avec le bouleversement stratégique entamé par le président américain Donald Trump et les inquiétudes croissantes concernant la fiabilité politique de la Chine.

Vendredi soir, le gouvernement a donc sommé les députés et membres de la Chambre des lords de revenir le lendemain d’urgence à Westminster, alors que le Parlement était suspendu, pour adopter une loi destinée à lui permettre de prendre en main British Steel. Une première un samedi depuis le lancement de la guerre des Malouines en 1982. Concrètement, la nouvelle législation autorise le gouvernement à forcer les entreprises sidérurgiques à garder leurs sites ouverts et à poursuivre en justice les dirigeants qui s’y opposeraient. Dimanche, le ministre aux Entreprises Jonathan Reynolds a indiqué que le gouvernement avait «pris le contrôle du site, mes fonctionnaires sont sur place en ce moment même pour nous donner une chance» de poursuivre son activité. 

Possible nationalisation saluée

Même si le Royaume-Uni a montré depuis quarante-cinq ans son aversion des nationalisations, le 5 avril le premier ministre travailliste Keir Starmer s’était dit «prêt à faire tout ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts nationaux» du pays. Pour Tony, qui travaille sur les hauts-fourneaux, l’espoir est revenu avec cette très probable entrée de British Steel dans le giron de l’État. «Je travaille ici depuis trente ans, j’y ai débuté en tant qu’apprenti», dit-il avec fierté. «Ce travail apporte une vraie sécurité financière à ma famille. Et cela ne concerne pas que les 2700 employés du site de Scunthorpe. Des milliers d’habitants de la région possèdent un travail lié à l’activité de l’usine.» 

Cet ouvrier n’est pourtant pas aveugle. L’époque bénie de la sidérurgie britannique a pris fin depuis longtemps, notamment avec la concurrence acharnée de la Chine. Et les taxes douanières de 25% imposées au début du mois par les États-Unis sur les importations d’acier se révèlent être une nouvelle étape difficile. «Je sais par expérience que nous n’allons pas dans la bonne direction», poursuit-il, le visage sali. «Chaque nouvelle annonce, comme celle de cet égoïste de Trump ou du groupe chinois Jingye, nous rapproche de la fin. Mais il faut protéger Scunthrope. La ville a bien assez souffert ces dernières décennies, et sa situation est déjà assez compliquée comme cela pour qu’elle ne subisse pas un nouveau coup dur.» 

Scunthorpe porte les stigmates des villes pauvres britanniques. Les façades vides balafrent le centre-ville, pourtant déjà quasi uniquement occupé par des magasins d’associations caritatives, des prêteurs sur gages et des chaînes discount. La plupart des murs des habitations, toutes de briques rouges, sont maculés d’une couche noire provenant aussi bien de la fumée produite par l’aciérie voisine, la circulation constante des poids lourds et l’ancienne utilisation quotidienne du charbon.

«Évidemment que ces fumées ne sont pas bonnes pour notre santé, mais il faut bien que les gens d’ici travaillent», raconte la retraitée Pamela en regardant la fumée cotonneuse entourer les hauts-fourneaux. «D’ailleurs, vous aurez du mal à trouver quelqu’un ici qui n’ait pas un membre de sa famille qui travaille à l’aciérie ou dans un emploi qui en dépend. Mon grand-père travaillait dans la mine de minerai de fer, mon père à l’aciérie et mon mari, vitrier, était souvent employé là-bas. British Steel est dans notre sang.»

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