Le 3 octobre 1990, la réunification des deux Allemagnes fut un puissant symbole de la fin de la Guerre froide. Mikhaïl Gorbatchev, qui dirigeait encore la chancelante Union soviétique, avait levé tout obstacle à un tel dessein, par lequel fut créée la première puissance économique du continent avec ses 80 millions d’habitants. Trente-cinq ans plus tard, dramatique revirement. L’Allemagne se réarme pour prévenir une possible attaque de la Russie de Vladimir Poutine. Ce tournant illustre la forte dégradation de la situation sécuritaire de l’Europe, avec une guerre en Ukraine que Moscou n’est pas près d’arrêter et des incursions répétées de drones russes dans plusieurs pays de l’OTAN.

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Cet anniversaire intervient à un moment de vérité pour Berlin. Le pays a mené une petite révolution en rangeant au placard sa légendaire austérité budgétaire pour remettre à flot la Bundeswehr et les infrastructures obsolètes du pays. Elle tente de réinventer son économie.

La coalition gouvernementale du chancelier chrétien-démocrate formée de la CDU et du SPD peine toutefois à dissimuler ses divergences internes. Elle a néanmoins pour priorité de moderniser une Allemagne qui s’est trop longtemps reposée sur ses lauriers. Elle veut mener au pas de charge une digitalisation massive du pays. Friedrich Merz entend réduire de 16 milliards d’euros les dépenses et de 8% les effectifs de l’administration allemande d’ici à 2029. L’exercice sera très douloureux. Le climat social en Allemagne n’est pas bon et la popularité du gouvernement est déjà en berne. La hausse massive des dépenses pour la défense et les infrastructures risque de provoquer des remous. Les assurances sociales, en grande difficulté, auraient besoin d’une profonde réforme, mais celle-ci ne semble pas être à l’ordre du jour. Or le mécontentement se renforce et le meilleur indicateur pour le mesurer porte un nom: AfD, ou Alternative pour l’Allemagne.

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Le parti d’extrême droite est en embuscade. Il révèle aussi, même si l’AfD avance également ses pions dans la partie occidentale du pays, l’imperfection de la réunification allemande. L’exode démographique des années 1990 se fait encore fortement sentir en ex-RDA, où les autorités font tout pour faire revenir les exilés de la réunification. A l’est, l’AfD est, selon les derniers sondages, largement en tête partout.

Or il faut être clair: l’Allemagne dont l’Europe a besoin aujourd’hui n’est pas celle de l’AfD. C’est celle qui, à Genève, s’investit dans le multilatéralisme et qui, le jour de l’unité, passe l’Ode à la joie (l’hymne de l’UE) peu après l’hymne national allemand pour exprimer le sentiment de fraternité humaine partagé par Schiller et Beethoven.