Le rapport, basé sur les témoignages anonymes de 139 dirigeants de compagnies pétrolières et parapétrolières actives au pays de l’Oncle Sam, vient aussi battre en brèche les ambitions pro-hydrocarbures de Donald Trump, peu soucieux de la lutte contre le changement climatique. Le très scruté décompte de l’activité de forage de Baker Hughes chiffre à 549 le nombre d’appareils en activité fin septembre, en baisse par rapport à la même date l’année dernière (-6%), notamment dans le bassin Permien (-17%).


Rembobinons. En deux décennies, le riche bassin pétrolier de l’ouest du Texas a été le centre de «la révolution du schiste» des Etats-Unis. L’extraction de gaz et de pétrole non-conventionnels par fracturation hydraulique de roches à des kilomètres sous la surface, une méthode contestée, est en grande partie responsable du nouveau rôle de poids lourd des hydrocarbures du pays.


Depuis 2010, la production de pétrole brut y a presque triplé, jusqu’à atteindre 13,2 millions de barils de brut par jour (mbj) en 2024. Selon l’Agence d’information sur l’énergie des Etats-Unis, ce chiffre devrait atteindre un record de 13,4 mbj en 2025 avant de redescendre un peu, à 13,3 mbj en 2026. Cela n’inclut pas les condensats de gaz naturel (des hydrocarbures liquides légers extraits en même temps que le gaz), à l’origine de quelques 7 millions de barils quotidiens l’année dernière !


Coûts d’extraction en hausse


Mais la machine semble se gripper. A l’instar de Travis Stice, PDG du grand pétrolier indépendant Diamondback qui a sonné l’alerte en mai dans une lettre aux actionnaires très commentée, plusieurs industriels de premier plan du secteur s’attendent désormais à un «pic» du pétrole made in USA, en référence au moment où l’extraction a atteint son maximum et commencerait à décroître. D’autant que sans nouveaux investissement, la production des puits non conventionnels peut baisser de 35% en un an, a récemment chiffré l’Agence internationale de l’énergie. 


Il faut dire qu’après des années d’exubérance, les champion du schiste font attention. Plus question de lancer de nouveaux forages sans s’assurer qu’ils seront source d’importants retours à leurs actionnaires. C’est compliqué aujourd’hui, en raison des incertitudes économiques et de l’inflation des coûts d’extraction liés à la géologie (les quantités de saumures et de gaz associés à l’or noir augmentent, et les gisements les plus productifs se raréfient) et aux droits de douanes mis en place par Donald Trump, qui renchérissent par exemple les prix des tubes en acier. 


Mais c’est surtout le prix du pétrole qui inquiète ! La transition énergétique grignote la croissance de la demande d’or noir, alors qu’en parallèle les membres de l’Organisation étendue des pays producteurs de pétrole (Opep+) annulent progressivement leurs coupes volontaires de production. Résultat : le marché est en surproduction. Le baril américain (WTO) devrait encore chuter de 62 dollars le baril en septembre 2025 à moins de 50 dollars en moyenne en 2026, prévoit l’EIA. Or, les coûts d’extraction augmentent. Selon le fournisseur de données Enverus, l’investissement pour produire un baril d’or noir supplémentaire aux Etats-Unis passerait de 70 dollars aujourd’hui à 95 au milieu de la prochaine décennie…


Frénésie dans le gaz naturel liquéfié


Cela ne veut pas dire que le pétrole étatsunien est mort. Grâce à une myriade d’améliorations technologiques – dont des forages latéraux qui peuvent s’étendre sur plus de 6 kilomètres – certains actifs sont très compétitifs. «Tout dépend des acteurs, mais le cours d’équilibre est assez bas aux Etats-Unis : autour de 35 dollars par barils pour un puits existant et de 45 dollars pour un nouveau puits. Et la plupart des entreprises américaines parviennent à stabiliser la durée de vie de leurs réserves», tempère par exemple Angelina Valavina, directrice ressources naturelles chez Fitch Ratings.


Cas concret : le géant ExxonMobil prévoit d’augmenter drastiquement sa production de pétrole non conventionnel d’ici à 2030. Et dans les grands bassins d’extraction, de nombreux puits sont prêts à l’emploi et peuvent démarrer à la première embellie. Les ressources conventionnelles en ont elles aussi sous la pédale, comme l’a rappelé fin septembre la décision du supermajor BP d’investir 5 milliards de dollars dans une nouvelle plateforme offshore dans le golfe du Mexique.


«Il y a aussi une dichotomie avec le gaz naturel liquéfié (GNL), où l’ambiance est plutôt au triomphe avec déjà six décisions d’investissement cette année», souligne aussi Anne-Sophie Corbeau, experte du gaz au sein du Center on Global Energy Policy de l’université Columbia. Le gaz naturel devrait bénéficier de ce nouveau débouché, sur lequel s’est rué l’Europe pour limiter ses achats de gaz russe, ainsi que de la croissance rapide de la demande électrique due à l’installation de centres de données pour l’intelligence artificielle aux Etats-Unis. Au risque que ce nouveau rôle limite l’avantage comparatif qu’il offre aujourd’hui à l’industrie américaine ? 


«Pour l’instant, les gaziers attendent que les prix montent avant d’investir massivement pour que ce soit rentable», estime l’experte qui pointe que l’EIA prévoit un quasi doublement des cours du gaz américain entre 2024 et 2026. A cette date, les prix attendus (autour de 14 dollars du mégawattheure) resteront très raisonnables par rapport à ceux pratiqués en France. Mais un déclin plus important des prix du pétrole (limitant l’extraction d’or noir et la production de gaz associé) et un hiver très froid ne sont pas à exclure. «Là, les industriels et les producteurs d’électricité américains seront touchés, et nous ne sommes pas à l’abri d’une restriction des exportations protectionniste», pronostique Anne-Sophie Corbeau qui juge le risque de la dépendance aux Etats-Unis de Trump sous-estimé en Europe.