C’est l’heure de la sortie des classes à Sonia-Delaunay. Des femmes voilées côtoient des hipsters en RTT. Des nounous échangent les derniers potins sur les voisins. Le monde semble s’être donné rendez-vous dans ce petit coin de Beauregard. Pas un hasard. À sa création, en 1993, le nouveau quartier doit répondre à des objectifs de mixité sociale. Le cahier des charges ? 30 % des logements doivent être en locatif social, le reste se partageant entre marché libre et accession aidée.

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L’idée ? Éviter de concentrer les ménages les plus modestes dans les grands ensembles comme Maurepas ou le Blosne. Et offrir des possibilités aux classes moyennes de se loger sans qu’elles n’aient à s’exiler à des kilomètres de leur ville quand leur situation familiale et leurs revenus évoluent. Ces objectifs s’inscrivent dans un contexte de métropolisation, avec 5 000 nouveaux habitants par an, séduits par les grands projets : ligne à grande vitesse, ligne B du métro, quartier d’affaires EuroRennes, centre des congrès au couvent des Jacobins…

Moitié logement social, moitié logement classique

La conséquence ? Cette métropolisation a rimé avec gentrification. Même si les prix de l’immobilier baissent enfin, les tarifs ont progressé de plus de 45 % à Rennes pour les appartements entre 2015 et 2025 et de 55 % pour les maisons, selon le site de Meilleursagents. Entre 2004 et 2017, la part des revenus intermédiaires a, elle, plongé de 2,7 %. En 2017, les classes moyennes ne représentaient plus que 52 % de la population rennaise, contre 75 % sur l’ensemble de l’aire urbaine. De l’autre côté de l’échiquier social, le nombre de bas revenus a augmenté de 1,7 %. En 2017, Rennes était la commune ayant la plus grosse proportion de population pauvre de son aire d’attraction.

Face à cette situation, les nouveaux quartiers ont été, dès le départ, présentés comme des solutions à la paupérisation et à la gentrification. C’est que leur poids dans la démographie rennaise n’est pas anodin : 40 000 habitants, à terme, pour une population globale de 230 000 âmes, dont 35 000 dans les quartiers prioritaires. En mesure-t-on les conséquences aujourd’hui ? Sur le plan immobilier, le tarif moyen au mètre carré des appartements est légèrement inférieur dans les nouveaux quartiers par rapport à la moyenne rennaise. Mais cet indicateur ne suffit pas à rendre compte de leur réalité sociologique, constituée pour moitié par du locatif social et de l’accession aidée.

Or, selon Henri-Noël Ruiz, conseiller municipal d’opposition et ancien directeur de l’agence d’urbanisme de Rennes, Audiar, la situation des bénéficiaires de logements sociaux se dégradent d’année en année : « 30 à 40 % de ces ménages sont en grande difficulté financière et la logique de concentration de la pauvreté s’accentue. » La conséquence ? L’ascenseur résidentiel est grippé. Et il y a moins de mobilité dans le parc social.

Plus de pauvres… et plus de riches

Sur le terrain, à Beauregard, le plus ancien des nouveaux quartiers, Yannick Grimault, président de l’association 3 Regards Léo Lagrange, constate déjà une « paupérisation ». Certains îlots, très denses et entièrement dévolus au logement social, peuvent également donner cette impression. « La mixité, ce n’est pas forcément mettre des gens côte à côte dans le même immeuble, nuance un cadre de l’urbanisme à la Ville. C’est aussi créer des capacités à interagir dans la vie de quartier et à son échelle. » Notamment par le biais de la vie associative. « On a plein de gens venus d’horizons et d’origines différentes », abonde Yannick Grimault.

À l’inverse, Solène Gaudin identifie une gentrification dans les logements sur le marché libre. « Beaucoup de logements qui étaient habités par des classes moyennes basses ont été rachetés plus cher par des classes moyennes supérieures », constate la géographe spécialisée en aménagement urbain à Rennes 2. Plus de riches mais aussi plus de pauvres ? Les nouveaux quartiers souffriraient-ils, eux aussi, de ce mal rennais ?

Une chose est sûre, la Ville a mis en place de nouveaux mécanismes pour endiguer cette fracture sociale. « On produit 1 700 nouveaux logements par an à Rennes, dont 900 en ZAC », affirme Marc Hervé. Et l’adjoint à l’urbanisme de mettre en avant l’interventionnisme de la collectivité pour empêcher l’envolée des prix et garantir la mixité sociale. D’une part avec le loyer unique dans les logements sociaux. D’autre part avec la généralisation du bail réel solidaire (BRS) sur le foncier appartenant à la collectivité. Il permet à l’acquéreur, sous condition de revenus, de ne payer que les murs du logement, sans s‘ acquitter du foncier. Soit une ristourne moyenne de 30 % par rapport au prix du marché.