Depuis la fin du printemps, un collectif militant a initié une opposition à l’ambitieux projet de développement immobilier du Saint-Chamond Andrézieux-Bouthéon Basket (SCABB) jouxtant l’Arena. Il était – à nouveau – au conseil municipal de Saint-Chamond mardi ainsi qu’au conseil de Saint-Etienne Métropole hier. Il revenait en effet à l’intercommunalité, au titre de la mise en œuvre du Plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI) s’imposant à ses communes membres, de donner le feu vert pour faire passer les 3 ha visés en constructibles. Le collectif martèle, lui, que le caractère « social » des lieux, 8 ha au total consacrés à un centre de loisirs aéré, est verrouillé par une délibération de 2008. A ses yeux, elle est piétinée par la décision. La Ville ne partage pas la même analyse…
Côté ouest de l’Arena, projection architecturale du futur SCABB Valley. ©SCABB
L’annonce d’une montée en puissance sportive du SCABB était attendue. Le second point – construire 20 000 m2 dans le voisinage immédiat de l’Arena – infiniment moins. Pas du tout même : en avril dernier, David Despinasse, de la famille ligérienne détenant – entre autres – la chaîne de boucherie, et qui avait racheté le Saint-Chamond Basket un an plus tôt pour le fusionner (sections jeunes et associatives exceptées) avec le club d’Andrézieux (ABLS) déjà en sa possession afin de former le « SCABB », présentait le projet 2025-30 « L’Union sacrée ». En amont d’une cérémonie festive, Fabrice Flotte, son directeur général et Cyrille Chapot, son directeur sportif avaient rencontré la presse et brusquement sorti du panier ce vaste projet immobilier assuré par la SCI de David Despinasse, présenté comme le futur socle financier à ses ambitions sportives.
Entre 15 et 20 M€ d’investissement alors annoncés, 100 % privés donc, dans de futurs bâtiments autour de la salle créée par Saint-Etienne Métropole et ses partenaires publics (Région, Département, Etat et Ville de Saint-Chamond) il y a 4 ans afin de donner un écrin haut de gamme à l’équipe professionnelle couramiaude. Au programme du nouveau projet : un hôtel à l’est de l’Arena et, côté ouest, un centre de formation dont ses hébergements propres, mais aussi « un pôle loisirs et commercial ». Vis-à-vis des médias et du grand public, le SCABB avait donc bien caché son jeu. D’autant plus que l’affaire était déjà discutée depuis des mois avec la Ville de Saint-Chamond, l’Etat et même Saint-Etienne Métropole. Les terrains visés pour accueillir cet ensemble sont certes municipaux et donc à racheter à la première : 3 ha (ou au moins 2 ha, élément variable d’une discussion à l’autre) sur les 8 accueillant les activités et bâtiment d’un centre de loisirs sans hébergement dit du « Bujarret ». Terrains… non constructibles.
Quid de la « vocation sociale » pour 30 ans ?
Mais le projet arrive dans un contexte où la Métropole comme n’importe quelle intercommunalité doit appliquer et faire appliquer à ses communes membres un plan local d’urbanisme intercommunal (Plui et derrière chaque Plu communal) adapté aux exigences législatives nouvelles et restrictives du zéro artificialisation nette… Plui en cours d’élaboration espéré conclu en 2027 qui s’imposera aux communes, devant en référer à l’intercommunalité pour modifier en cours de route leurs Plu. C’est donc une partie à quatre – club, Ville, Sem et Etat – qui se jouait pour le passage en constructibles de ces terrains. Jusqu’à la fin du printemps dernier. Un 5e acteur est en effet entré en jeu à cette époque : le « Collectif pour la Sauvegarde de la Vocation Sociale de l’ensemble du Centre Aéré de Bujarret ». Pas une association, pas encore du moins, mais quelques personnes « ayant exercé des responsabilités dans le Comité interentreprises ex Creusot Loire (CIE) ».
Les bâtiments du projet SCABB Valley, sont projetés à l’ouest de la déjà existante Arena. A droite sur cette projection architecturale aérienne transmise par le SCABB
A l’apogée industrielle de Saint-Chamond, ce CIE en question était costaud, couvrant donc plusieurs entreprises majeures avec un centre social lié et d’ampleur du côté du Bujarret comptant ses salariés propres. Le déclin puis la disparition plus au moins totale de ces entreprises ont abouti à la reprise des derniers employés et des lieux par la Ville de Saint-Chamond pour un euro symbolique en juillet 2008 (« valeur du centre aéré à l’époque : 550 000 € », selon le collectif). En « échange », « la municipalité de Saint-Chamond s’engageait à préserver la vocation sociale de ce patrimoine pour une durée minimale de 30 ans ». Ce qu’indique effectivement une délibération du conseil municipal couramiaud datant du 7 juillet 2008. C’est ce que le collectif veut faire respecter, arguant aussi d’une fréquentation encore effective du centre (confié à alpha3a) par, en moyenne « 80 enfants », durant les vacances scolaires. Venu manifester et tenter de prendre la parole au conseil municipal de Saint-Chamond cet été – non sans quelques heurts – et à nouveau mardi, le collectif était à Métrotech hier pour interpeller les élus métropolitains réunis en assemblée.
Feu vert à… un long chemin administratif
Il s’agissait de distribuer un tact de sensibilisation et d’argumentation que Saint-Etienne Métropole (SEM) avait, dit-il refusé d’envoyer à ses élus. Au menu, entre autres, de la séance effectivement : une délibération consistant, pour résumer, à donner le feu vert à la Ville de Saint-Chamond via une « procédure de révision allégée… » permettant, nous précise le maire Axel Dugua une modification du Plu communal sur ces 2 ou 3 hectares visés donc, sans avoir à ensuite effectuer un vote municipal. De quoi, non pas ouvrir immédiatement la voie aux pelleteuses, mais à un long, très long, processus administratif – enquête publique, consultation, aspects environnementaux, éventuelles contestations, etc. – coûtant 18 mois minimum perpendiculairement à l’accord même du permis de construire. Les travaux en eux-mêmes devraient durer un an minimum. Si le SCABB, ou plutôt la SCI de David Despinasse et la majorité municipale – du moins celle actuelle : il y a des élections en mars prochain, et soulignons que la liste d’union de la gauche n’est pas favorable à l’idée… – parviennent à faire sortir de terre le projet, ce ne sera sans doute pas avant 3 ans.
La partie que nous souhaitons faire passer de zone « N » (naturelle et forestière) à constructible, est occupée par des tennis et un terrain de football qui ne sont plus utilisés. C’est donc déjà artificialisé !
Axel Dugua, maire de Saint-Chamond
Pour le camp du favorable, il n’y a pas à tergiverser : l’attractivité de Saint-Chamond, les emplois créés, les revenus générés promis alors à rien d’autres que le seul développement du SCABB, l’implantation d’un hôtel (élément hors des fameux 8 ha) manquant de ce côté-là à la ville tout comme d’une offre conséquente de loisirs (qui reste d’ailleurs à définir), le tout porté par des deniers privés… : tout va dans le bon sens, jusqu’à inclure cet aspect social puisque profitant à la jeunesse. « La partie que nous souhaitons faire passer de zone « N » (naturelle et forestière) à constructible, ces 2 ha donc, est occupée par des tennis et un terrain de football qui ne sont plus utilisés. C’est donc déjà artificialisé ! Quant au 6 ha restant, ils passeront de zone UE (activités, Ndlr) à « naturel » donc, garantissant une non construction », remarque Axel Dugua, sollicité par If en amont de la séance de Métropole. Gilles Thizy, vice-président de Métropole à la stratégie foncière précisera d’ailleurs lors de cette dernière que la Ville de Saint-Chamond, à ce titre, avait commis une erreur de classement à l’époque sur les hectares visés par le projet de nos jours. Celui-ci présenté en bureau métropolitain (maires, vice-présidents et quelques autres conseillers stéphanois et saint-chamonais) il y a peu, ce dernier a déjà donné son accord à l’unanimité.
Pas d’impact sur l’objectif ZAIN de Métropole
Précision importante : les 3 ha – puisque la délibération métropolitaine d’accord de procédure accélérée modificative parle de 3 et non 2 ha sur les 8 actuellement affectés au centre aéré du Bujarret – passés donc hier au statut « d’artificialisables » sont compensés au mètre carré près par le passage de 3 ha saint-chamonais de terrains constructibles en terrains agricoles et donc désormais verrouillés pour ce seul usage. Pas de quoi donc, si nous avons bien saisi, impacter l’ardent sujet de la répartition des peu d’hectares constructibles restant à repartir entre les communes de la métropole dans le cadre de l’objectif zéro artificialisation nette en 2050. Reste que débat sur la vocation sociale et les possibles recours sur le projet seront désormais l’affaire de Saint-Chamond. Hier, quelle que soit leur couleur politique, quand ils en ont une, les maires ayant intervenu ont justifié leur non-opposition par principe de « non-interventionnisme » dans les affaires d’ordre purement communal.
Les différentes occupations du futur bâtiment. Projection transmise par le SCABB
Celui de Saint-Jean-Bonnefonds, Marc Chavanne, s’interrogeant cependant sur les critères permettant d’obtenir ou non une modification accélérée des Plu, lui-même étant bloqué par le contexte du Plui, dans le flou plutôt, sur sa capacité à dire « oui » à un projet commercial plus modeste – 400 m2 – mais capital à son échelle… La délibération métropolitaine a en tout cas été votée par l’assemblée, moins 24 abstentions. Le collectif, lui, n’en démord pas et déploie ses arguments, estimant que la vocation sociale est piétinée. « On parle de projet en faveur de la jeunesse mais c’est un centre de formation pour quelques possibles futurs joueurs donc un projet élitiste à ce niveau. Des parcelles déjà artificialisées ? Non, ils sont en friche : ce n’est pas un « stade » qu’on transforme », tient à nous préciser un de ses membres. « La municipalité ne peut pas vendre, même partiellement, le centre aéré municipal pour une opération immobilière qui n’a en réalité rien de sociale. D’ailleurs, cela ne sera pas le club de basket SCABB qui construira les équipements mais une société immobilière du groupe Despinasse, donc des intérêts privés », argue le tract distribué aux élus métropolitains.
Un recours juridique ? « On n’en est pas encore là… »
Plus loin : « Le secteur de la Chabure (quartier résidentiel et agricole à l’entrée ouest de Saint-Chamond, NDLR) est déjà bien urbanisé et le Centre aéré reste (et doit rester) une zone verte au milieu des multiples maisons qui ont « poussée ». Classer le centre aéré, même partiellement en constructible, créerait un précédent où ne manqueraient pas de s’engouffrer des propriétaires de terrains proches dont la modification du Plu a été refusé jusqu’à présent. Aujourd’hui, pour minimiser, il est dit que l’extension immobilière sur le centre aéré ne serait que de « seulement » 2 ha (ou plutôt 3 donc, Ndlr), mais cela serait la porte ouverte à d’autres opérations et extensions immobilières pouvant s’accomplir sur la totalité de l’espace couvert par le centre aéré municipal. Les enfants, les familles, les diverses associations de notre ville ont besoin de cet équipement et leurs intérêts élémentaires et vitaux doivent primer sur les appétits de promoteurs quels qu’ils soient, même quand ils veulent se donner le qualificatif de social. Au lieu de réduire les possibilités du Centre aéré municipal, au contraire, il faudrait le développer, le redynamiser, donc garder toute sa surface actuelle. Il y a de la demande non satisfaite sur notre commune. »
Des membres du collectif hier, à Métrotech, venus tenter de convaincre, sinon informer, les élus métropolitains de leur position. ©If Saint-Etienne /XA
Rencontré en amont du conseil, le coordonnateur du collectif, l’inoxydable André Moulin, par ailleurs militant et régulièrement candidat de LO, ex adjoint du maire PS Philippe Kizirian de 2008 à 2014, ne croit pas à la plus-value d’attractivité pour Saint-Chamond et à l’apport réel économique du projet : « On pourrait remarquer que David Despinasse ferait mieux de payer plus décemment ses employés mais il a évidemment le droit de faire ce qu’il veut de son fric. En revanche, la collectivité, elle n’a pas le droit de revenir sur ce caractère social. » « Retour » réel ou non sur cet aspect, les avocats de la Ville ne partagent pas la même analyse, nous indique Axel Dugua, en cas d’attaque au Tribunal administratif. Le collectif y songe-t-il ? Ce n’est bien sûr pas à exclure mais « on n’en est pas encore là… » Précisons qu’il n’y a pas besoin d’adopter un statut associatif pour cela.
« Laissons les élus traiter les dossiers »
Nous avons, de notre côté, posé la question à un avocat spécialisé en droit public dont nous conservons l’anonymat à propos de la valeur opposable que pourrait représenter la fameuse délibération de 2008. « Pour en arriver à une analyse exhaustive, il manque encore l’acte de vente à la commune ; l’éventuel acte de vente / promesse de vente / compris vers la SCI de Monsieur Despinasse. » Mais là aussi, nous n’en sommes pas à ce « stade », pas même à celui de la promesse de vente. Toutefois, ajoute cet avocat, « par ailleurs, il apparaît à mon sens évident que, même en présence d’une servitude opposable, cela ne poserait pas de difficulté sur le plan de l’urbanisme, tout permis étant délivré sous réserve des droits des tiers. Ce ne serait donc pas sur le terrain de l’urbanisme que les opposants pourraient aller avec cet argumentaire (à condition bien sûr que le terrain passe constructible). Le recours envisageable serait une action devant le juge civil (Tribunal judiciaire de Saint Etienne) pour faire respecter la servitude tendant au maintien d’une activité sociale sur le terrain. »
Et la présidence du SCABB, qu’a-t-elle à dire de tout ce fatras, potentiellement futur panier de crabes ? Contacté, son service presse nous indique qu’elle ne souhaite pas répondre à notre sollicitation : « Laissons les élus traiter les dossiers. » C’est fait.