Par

Emma Derome

Publié le

3 oct. 2025 à 19h44

La Russie cherche « l’escalade » : c’est ce qu’assure le président ukrainien Volodymyr Zelensky après les multiples survols de drones repérés au-dessus de plusieurs aéroports européens, dont ceux de Copenhague, d’Oslo ou encore de Munich jeudi 2 octobre. Ces engins n’ont pas pu être interceptés, et on ignore donc leur provenance. Mais les pays de l’Union européenne soupçonnent bien la Russie d’être derrière tout ça.

Mais pour quoi faire ? Nous avons demandé à deux experts de la stratégie militaire, à savoir l’ancien général de l’armée de terre Vincent Desportes, ex-conseiller au secrétariat général de la Défense nationale et professeur en stratégie militaire à Sciences Po et à HEC, et à Yves Boyer, ex-directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique et professeur à l’Ecole polytechnique, à Saint-Cyr ou à l’ENA.

Ça sert à quoi, d’envoyer des drones au-dessus du sol européen ?

Selon l’ancien général, « on peut poser la question de pourquoi, mais on peut aussi se poser la question de qui. Ou plutôt, de qui d’autre que Poutine et ses proxys (des tiers alliés ou sous ordre, NDLR) a un intérêt à s’amuser avec des drones au-dessus de zones sensibles en Europe ? »

Les deux experts s’accordent sur le fait qu’il ne s’agit probablement pas de missions de reconnaissance, ou de collecte d’informations sur les zones survolées. Ces mystérieux drones se sont pourtant aventurés au-dessus de nombreuses zones danoises (plusieurs aéroports civils, notamment celui de la capitale Copenhague et deux bases militaires aériennes importantes) quelques jours avant un important sommet européen, qui avait justement pour but de renforcer la défense de l’UE contre la menace russe.

Toutes ces informations, Vladimir Poutine les a déjà par son réseau de satellites. Il sait bien comment fonctionnent les aéroports. Il connaît parfaitement nos bases militaires.

Vincent Desportes,
Ex-général de l’armée de terre

« Les Russes n’ont pas besoin d’envoyer des drones, surtout au-dessus d’un aéroport civil, ça n’a pas tellement de sens », militairement parlant, ajoute Yves Boyer.

Est-ce une provocation, ou une déstabilisation, de la part de Vladimir Poutine ?

Non, pour l’ex-militaire, il s’agit d’une manœuvre d’intimidation et/ou de déstabilisation des Européens. « Ça pourrait être de l’intimidation parce que la Russie nous dit : ‘Ne pensez pas que vous êtes invulnérables. On peut envoyer des engins au-dessus des zones tout à fait importantes pour vous, et vous êtes incapables de les détruire.’ Ce qui peut signifier, en particulier : ‘Si vous continuez à soutenir Kiev, on est capables de vous faire mal’. Et effectivement, il y a un énorme trou dans la raquette. »

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Mais il pourrait également s’agir d’une manœuvre de déstabilisation, qui viserait à amener de la division chez les Européens, au même titre que dans l’affaire des têtes de cochon plantées devant des mosquées françaises et allemandes, dans laquelle le ministère de l’Intérieur soupçonne une ingérence étrangère venue d’Europe de l’Est, comme dans celles des étoiles de David taguées à Paris, ou des mains rouges sur le mémorial de la Shoah.

Ce qui intéresse Poutine, c’est de nous embêter. Ces drones, ce sont comme des piqûres de moustiques qui nous déstabiliseraient. On regarde partout, mais on ne sait pas vraiment où ils sont, et ça nous agace.

Vincent Desportes,
Ex-général de l’armée de terre

Sait-on de quel type de drone il s’agit ?

De son côté, le professeur Yves Boyer se montre très prudent face à cette hypothèse. « Tout ça est bien mystérieux. Tant qu’on n’a pas identifié clairement ces drones, on peut continuer à accuser la Russie, mais on n’a pas de preuve objective. »

Si ces drones ont effectivement été repérés, aucun ne semble avoir pu être suivi. On ne connaît pas leur taille, leur type. « Ça peut être une grosse machine de 2 mètres, comme ça peut être de petites choses qui tiennent sur un bureau… Il y a des drones d’attaque, il y a des drones de surveillance, il y a des drones de leurre, comme ceux qui ont atterri en Pologne », liste l’expert.

« Les Russes sont ce qu’ils sont, mais ils ont une forme de rationalité, et l’intérêt des Russes d’envoyer de tels engins, il est nul. » Lorsqu’on mentionne le survol de l’aéroport de Munich, l’analyste pense davantage à l’œuvre d’un « farfelu ». « Mais je peux me tromper. »

Un drone qui ferait, admettons, un mètre d’envergure, ça ne fait pas beaucoup de bruit. Ca monte, ça descend, ça fait des zigzags, c’est extrêmement mobile, c’est comme une mouche. Si vous essayez d’attraper une mouche avec votre main, vous aurez beaucoup de difficultés.

Yves Boyer,
professeur en stratégie militaire

Y a-t-il une psychose, ou de vraies raisons de s’inquiéter ?

Ces incursions ont en tout cas fait réagir les 27 et attisé les tensions avec la Russie. « Les drones qui violent l’espace aérien européen peuvent être détruits. Point final », a déclaré le président français Emmanuel Macron ce jeudi, tandis qu’il venait de faire arraisonner un pétrolier de la flotte fantôme russe au large des côtes françaises. Bruxelles a également proposé de mettre en œuvre un « mur » antidrones face aux différentes violations de l’espace aérien européen.

« Il n’est pas impossible que chacun ne voie des drones partout, comme dans l’affaire des soucoupes volantes de 1960 », nuance Vincent Desportes. « C’est le jeu de Poutine. ‘J’en fais un peu, ils en envoient 10 fois plus.’ Ça marche bien. Ça provoque une certaine psychose, mais ça peut faire partie d’une stratégie de la peur qui fonctionne. »

Pour autant, cette probable psychose à l’origine du réveil européen est salutaire, selon l’ancien gradé, car il faudrait que les Européens tiennent davantage tête à la Russie.

Il y a une menace avérée que tous les pays européens, que tous les services secrets, connaissent. Ce qui ne veut pas dire que Poutine va attaquer l’Europe. Mais il y a évidemment des raisons d’avoir compris depuis longtemps que si Poutine n’était pas arrêté, il poursuivrait son agression. Pas forcément frontalement, mais un peu par ici, un peu par là. Malgré tout cela, on est incapables de se mettre d’accord, incapables d’avoir une véritable stratégie vis-à-vis de Poutine. 

Vincent Desportes
Professeur en stratégie militaire

Pour le moment, malgré les déclarations des pays européens comme la France, aucun accord n’a été trouvé entre les 27 pays membres à Copenhague.

Ces drones auraient-ils dû être abattus ?

Les deux experts s’accordent pour dire qu’abattre un drone au-dessus d’une ville ou d’un aéroport, ce n’est pas une option raisonnable, étant donné les dégâts potentiels au sol. « On ne va pas envoyer des missiles contre ces drones, ça n’a aucun sens. Mais effectivement, ça interrompt la circulation aérienne, parce qu’il y a un véritable risque de collision avec les avions », indique Yves Boyer, pour qui les risques sont avant tout sécuritaires pour les personnes, et économiques pour les compagnies aériennes.

On n’a pas vraiment de moyens d’interception, ceux que l’on a, ils sont de nature électronique. Ils peuvent être utilisés lors d’importants sommets internationaux, comme au G7 par exemple, mais si vous les utilisez au-dessus d’un aéroport, vous risquez de perturber les communications entre les tours de contrôle, les avions, etc.

Vincent Desportes

L’espace aérien européen va en tout cas continuer d’être scruté, et en particulier à la frontière russe. De son côté, le président roumain Nicusor Dan, dont le pays a été, lui aussi survolé par des drones (militaires) russes, a averti jeudi que ses forces abattront le prochain qui violera son espace aérien. Ce qui pourrait être considéré comme un acte de guerre par la Russie.

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