Courez-y vite ! Vous n’avez plus que quelques semaines pour aller voir l’exposition « Sage comme une image ? ». Et il serait fort dommage de la manquer. L’enfance, ça parle à tout le monde et les œuvres exposées méritent qu’on se déplace.
« Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne », écrivait Victor Hugo, résumant ainsi l’idéal républicain né avec la Révolution française. C’est à cette époque charnière – de 1790 à 1850 – que nous invite l’exposition « Sage comme une image », présentée à la galerie du musée des Beaux-Arts de Bordeaux, en partenariat avec le musée du Louvre et le musée de Tessé, du Mans. Conçue par Côme Fabre et Stéphanie Deschamps-Tan, tous deux conservateurs au Louvre, elle aborde un sujet en apparence familier à travers un prisme peu souvent exploré et sur une période politique très mouvementée. « C’est vraiment une expo beaux-arts, même si elle repose sur un substrat historique et sociologique », explique Stéphanie Deschamps-Tan.
« Portrait de Ferdinand Philippe d’Orléans, duc de Chartres, au collège royal Henri-IV ». Le duc d’Orléans revendique son droit de donner une instruction libre et libérale à ses enfants. Il obtient même que son fils participe aux récréations, au grand dam du roi qui craint les mauvaises manières et les gros mots qui s’y échangent
Reproduction Horace Vernet
Rarement réunis au sein d’une même exposition, tableaux, sculptures et premières photographies représentent plusieurs figures de l’enfant. En famille ou orphelins, fils de roi ou de bourgeois, ils sont souvent malmenés par l’histoire. Enfin, « l’exposition représente un enfant qui n’est plus un adulte en miniature mais un être en devenir », ajoute la conservatrice. C’est aussi en cela qu’elle est novatrice.
Des femmes peintres
Elle affiche des œuvres d’artistes connus (Eugène Delacroix, Camille Corot, Jean Auguste Dominique Ingres et Théodore Géricault, à qui l’on doit le tableau de la fille du peintre Horace Vernet vers 1818, représenté sur l’affiche de l’exposition). Et aussi d’autres peintres « provinciaux » moins connus, souvent éloignés des cénacles parisiens. Elle met aussi l’accent sur des femmes peintres. « J’y tenais », ponctue Stéphanie Deschamps-Tan. On vous recommande Jeanne-Élisabeth Chaudet.
L’expo affiche des œuvres d’artistes connus comme ce tableau d’Eugène Delacroix : « Portrait de Lucile Virginie de Jenny Le Guillou »
Reproduction Eugène Delacroix
L’exposition a aussi ça de bon qu’on peut la visiter selon l’humeur ou l’envie sans respecter forcément le parcours suggéré. Si vous optez pour l’ordre chronologique, la première partie, consacrée à la Révolution française, est de forte inspiration rousseauiste. L’enfant, lorsqu’il ne court pas, nu et aérien, dans la nature, est souvent sacrifié pour des raisons politiques. Qu’il soit pris en otage par les changements de régime, les idéaux révolutionnaires, orphelins ou à la rue. Exemple de cette enfance miséreuse : les fameux petits Savoyards, un type enfantin souvent représenté par les peintres de l’époque. Ces gamins étaient envoyés de Savoie dans les grandes villes par leurs parents pour gagner de l’argent. À la rue, ils attirent l’attention des artistes, qui trouvent là un modèle facile et pas cher.
« Louis XVII enchaîné », le deuxième fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Emprisonné avec sa famille à la tour du Temple, il est reconnu titulaire de la couronne suite au décès de son père en 1793 et meurt, seul, en captivité à l’âge de 10 ans
Achille Joseph Etienne Valois
Les fameux petits Savoyards, un type enfantin souvent représenté par les peintres de l’époque
Galerie des Beaux-Arts / F. Deval
C’est aussi le temps où les portraits de famille ont le vent en poupe. Les portraits peints sont réservés à la noblesse et à la haute bourgeoisie. À ceux qui ont les moyens. Mais, au début du XIXe siècle, et avec l’apparition des premiers daguerréotypes (1), le portrait familial se démocratise. En particulier chez les petits-bourgeois.
Daguerréotypes posthumes
Sur ces clichés, des gamins fixent l’objectif. Fixité encore pour ces troublants daguerréotypes posthumes qui immortalisent des enfants sur leur lit de mort. La faute à la forte mortalité infantile de l’époque.
« Curieusement, les photos ont quelque chose de figé alors que les portraits peints racontent souvent une histoire. On y devine davantage la psychologie des personnages », commente Stéphanie Deschamps-Tan. Elle donne en exemple la confrontation, sur un même plan, de l’œuvre peinte « Portrait d’un père de famille avec ses enfants » (anonyme, vers 1805) et de la photographie, elle aussi anonyme, « Homme assis avec un petit garçon à la collerette en dentelle » (anonyme, entre 1842 et 1855).
Au début du XIXe siècle, et avec l’apparition des premiers daguerréotypes, le portrait familial se démocratise
D’un côté, un tableau riche en histoires et suppositions. Le père est entouré de ses quatre enfants. Un solide patriarche qui veille sur sa progéniture. Mais où est la mère ? Serait-elle la peintre du tableau ? Est-elle morte ou divorcée (2) ? La différence d’âge des membres de la fratrie peut le laisser supposer.
Versus peinture : « Portrait d’un père de famille avec ses enfants » (anonyme, vers 1805)
Reproduction Jacques-Louis David
Versus photo : « Homme assis avec un petit garçon à la collerette en dentelle »,
entre 1842-1855, anonyme, daguerréotype sur cuivre argenté
Bibliothèque nationale de France
De l’autre, une photo en gros plan, frontale. Un père et son fils, d’une troublante ressemblance, posent, l’un assis à côté de l’autre, le regard impressionné par l’objectif. Les photos, si elles ne racontent pas d’histoires, valent aussi pour leur valeur documentaire et donnent à voir la petite bourgeoisie de l’époque
Victor Hugo et son fils
Parmi les photos d’artistes avec leur progéniture, ne manquez pas le « Portrait de Victor Hugo avec son fils François-Victor » d’Auguste de Châtillon. Grand format vertical, cadrage serré, il représente l’écrivain avec son fils, le quatrième de ses cinq enfants, qui fut, avec sa fille Léopoldine, l’un de ses préférés. Le père le tient fermement par le bras et l’épaule. On sent, dans ce geste d’autorité paternelle, un sentiment de fierté. Plus tard, François-Victor partagera les opinions politiques et les goûts littéraires de son père.
« Portrait de Victor Hugo avec son fils François-Victor »
Reproduction Auguste de Châtillon, 1836
Voilà pour notre sélection. Vous ferez la vôtre. L’exposition, sans être interminable, regorge de pépites et traverse une période fascinante où révolutionnaires, monarchistes et républicains se sont affrontés, entraînant souvent dans leur course des enfants qui n’avaient rien demandé.
(1) Technique photographique sans négatif sur une surface d’argent polie comme un miroir et exposée à la lumière.
(2) Le divorce est rendu possible depuis le vote de la loi du 20 septembre 1792.
Pratique
« Sage comme une image ? L’enfance dans l’œil des artistes 1790-1850 ». Jusqu’au 3 novembre, à la galerie du musée des Beaux-Arts de Bordeaux, place du Colonel Raynal. Tous les jours de 11 à 18 heures, sauf les mardis et certains jours fériés. De 4,50 à 8 euros.
Le musée des Beaux-Arts, toujours sur le thème de l’enfance, présente aussi une cinquantaine d’œuvres issues de ses collections, du XVIIe au XXe siècle. Des récits d’enfance sont à écouter gratuitement sur votre smartphone depuis le site Web du musée ou depuis l’audioguide.