La photographie est l’un des symboles du progrès scientifique qui s’est peu à peu étendu à l’ensemble de la population depuis son invention. Fruit de procédés complexes ayant nécessité plusieurs années d’avancées techniques et technologiques, elle tient désormais dans des appareils proposant une qualité toujours plus élevée, ainsi que dans les téléphones portables qui nous accompagnent au quotidien.
Sait-on pourtant réellement à quand remonte son invention? Selon les documents historiques qui sont à notre disposition, son origine remonte à plus de 200 ans. Dès 1816, une lettre de l’ingénieur français Nicéphore Niépce évoque ses travaux sur la photosensibilité des matériaux et ses premières tentatives de capture de la lumière sur une surface.
Lire aussi :La photographie veut faire entendre ses droits à travers une exposition
Le village de Saint-Loup-de-Varennes, en Saône-et-Loire, porte une plaque commémorative avec l’inscription «Dans ce village, Nicéphore Niépce inventa la photographie en 1822». L’année correspond aux premières tentatives réussies de l’ingénieur de produire ses premiers clichés. Pourtant, c’est une autre de ses œuvres qui sert de point de départ à la photographie: le Point de vue du Gras. Prise en 1826 ou 1827 selon les sources, aucune date définitive n’ayant pu être établie, elle constitue la plus ancienne photographie connue, permanente et conservée à ce jour.
12 ans plus tard, le 19 août 1839, François Arago, savant et homme politique français, dévoile le processus de fabrication du daguerréotype, le premier procédé photographique pérenne connu, mis au point par Nicéphore Niépce, mais aussi et surtout Louis Daguerre, qui lui a donné son nom. À cette date, la photographie s’est ouverte au monde entier.
Le point de départ de la photographie vient donc de France. Mais comment l’art s’est-il développé au Luxembourg? Qui sont les architectes de ce développement? Et surtout, à quand remontent les premières photos connues au Grand-Duché?
Des traces d’histoire dès les années 1840, mais des photos presque introuvables
Un ouvrage documente l’histoire de la photographie au Luxembourg de manière particulièrement fournie. Intitulé Charles Bernhoeft: photographe de la Belle Époque (2014) et écrit en grande partie par Edmond Thill, accompagné de nombreux auteurs, celui-ci revient sur la vie et sur l’œuvre de l’un des portraitistes les plus emblématiques du pays, non sans recontextualiser l’arrivée de la photographie dans le pays. Nous reviendrons plus tard sur l’influence de Charles Bernhoeft dans l’histoire de la photographie luxembourgeoise.
L’ouvrage retrace l’histoire à partir de 1839, date à laquelle le premier Traité de Londres a été signé et qui a octroyé au Luxembourg les frontières qu’on lui connaît toujours en 2025. Les premières mentions de la présence de «daguerréotypistes» remontent à 1842: un certain Ludwig (ou Louis) Moses se serait installé dans la capitale entre 1842 et 1846 pour y développer son activité. Néanmoins, peu de traces de son passage sont visibles ou même documentées.
Selon l’ouvrage, l’un des tout premiers daguerréotypes connus au Luxembourg est daté de 1845 et appartient à un collectionneur privé. D’après la description jointe, il s’agirait d’un «portrait de face et à mi-genoux de Marie Justine Neyen-Petit assise devant un décor peint représentant des bâtiments de style classique au milieu d’un paysage».
Lire aussi :Jason Maia photographie les gens dans la rue et leur demande ce qui les rend heureux
Dans les années 1850, des «daguerréotypeurs passants» ont commencé à converger vers le Grand-Duché pour réaliser des portraits et des photographies de la ville. Ernest Oulif, fils de l’inventeur et photographe messin Étienne Casimir Oulif, est l’un d’entre eux. Il se serait rendu à l’hôtel de Luxembourg en 1851, selon une annonce passée dans un journal de l’époque.
Plusieurs autres daguerréotypeurs sont cités dans l’ouvrage: un certain «B. Moench», ayant publié une annonce en 1853, ou encore «L.-B. Béche» (ou Bèche, selon les archives). Leurs identités complètes ne sont pas connues. Si les traces du premier sont difficilement remontables, il est en revanche certain que sept à huit daguerréotypes du second sont encore conservés au Luxembourg. Ils représentent, pour une majorité d’entre eux, des membres de la famille Munchen, qui faisait partie de la grande bourgeoisie luxembourgeoise.
Si la plupart des daguerréotypes de L.-B. Béche appartiennent désormais à des collectionneurs privés, l’un d’entre eux, un «portrait d’homme» datant de 1856, est conservé au Centre national de l’audiovisuel (CNA) à Dudelange.
Pourquoi il est si difficile de retrouver des photos de l’époque
En plus du CNA, la photothèque de la Ville de Luxembourg est l’une des autres références en matière de conservation d’archives publiques du pays. La plus vieille photo conservée au sein de leurs locaux de la Cloche d’Or date «d’environ 1855, plus probablement de la fin des années 1850», selon Gaby Sonnabend, la responsable de la photothèque. L’auteur et la date exacte de la prise de cette photographie sont inconnus à ce jour. Elle représente une vue du quartier de Pulvermühl, dans la capitale.
Plusieurs raisons peuvent expliquer la difficulté de retracer avec précision l’histoire des photos les plus anciennes dans les archives. «Lorsque la photothèque a été créée en 1984, pour transférer un fonds photographique des anciennes archives municipales, il y avait déjà une base de 30.000 photos de différents photographes et de différentes époques. Puis les collections ont grandi pour atteindre plus de sept millions de photos à ce jour», explique Gaby Sonnabend. «Seule la moitié a été digitalisée et la base de données n’est pas encore utilisable pour des recherches plus approfondies», poursuit-elle.
Lire aussi :Des trésors photographiques du Luxembourg vendus aux enchères
Autre écueil rencontré par la photothèque: le manque d’accès aux informations sur les collections privées. «Il est tout à fait possible que des photos plus anciennes soient détenues par des collectionneurs privés dont nous n’avons pas connaissance», ajoute Gaby Sonnabend. La photothèque a agrandi son fonds par des dons au fil des années, ce qui signifie que certains collectionneurs ont conservé des clichés que l’établissement n’a pas encore pu connaître.
Selon Gaby Sonnabend, «des photographes venus d’autres pays ont également pu passer par le Luxembourg, et il y a donc deux cas de figure: soit les plus vieilles photos du Luxembourg ne sont pas issues de photographes luxembourgeois, soit on n’a pas retrouvé leur trace au Luxembourg».
Les étapes et les acteurs qui ont contribué au développement de la photographie
La photographie au Luxembourg s’est développée grâce à plusieurs acteurs clairement identifiés. Par exemple, Anton Mehlbreuer a été le premier à ouvrir un atelier de photographie dans la capitale en 1856. Avec la concurrence de L.-B. Béche et de B. Moench, la photographie commerciale s’est développée dans le pays.
Ensuite, Dominique Kuhn est, à ce jour, «le seul photographe luxembourgeois dont nous ayons des preuves tangibles qu’il est l’auteur de vues stéréoscopiques», c’est-à-dire par superposition de «deux photographies légèrement dissemblables prises de deux points distants de 10 ou 20 cm», mais dont le relief «ne peut apparaître sans le complément indispensable d’une visionneuse binoculaire».
Lire aussi :Photographe, il a immortalisé la pauvreté au Luxembourg
Nicolas Maroldt, qui a ouvert son premier atelier à Diekirch en 1867, est devenu le premier photographe à obtenir le titre de «Photographe de la Cour de Sa Majesté le Roi des Pays-Bas Grand-Duc de Luxembourg et de LL. AA. Le Prince et la Princesse Charles d’Arenberg» de la part de Guillaume III le 31 juillet 1883.
L’un de ses successeurs n’est autre que l’homme qui donne son nom à l’ouvrage que nous utilisons principalement pour nos explications, à savoir Charles Bernhoeft. En plus d’avoir été photographe de la Cour, il était un inventeur de renom dans le secteur de la photographie. Il a notamment «fait breveter des appareils de son invention qui permettent de réaliser des portraits photographiques grâce à une source de lumière artificielle au magnésium». Il a lancé la revue illustrée Das Luxemburger Land in Wort und Bild, où les Luxembourgeois pouvaient découvrir leur territoire national à travers des photographies de paysages et d’hommes et femmes de pouvoir et d’influence.
En 1894, le Cercle luxembourgeois d’amateurs photographes a été fondé. Alors que, jusqu’ici, la photographie était plutôt l’affaire de professionnels, elle s’est destinée à de plus en plus de pratiquants amateurs.
Les deux cas à part qu’il est impossible de ne pas mentionner
Nous avons volontairement laissé à part deux noms, qui font pourtant partie des Luxembourgeois les plus célèbres, tous domaines confondus, et qui ont contribué au développement technique de la photographie: Gabriel Lippmann et Edward Steichen. Bien que nés au Luxembourg, c’est dans un autre pays qu’ils ont exercé leur carrière et effectué leur découverte: la France pour le premier, les États-Unis pour le second.
Lire aussi :Arthur Thill, doyen des photojournalistes luxembourgeois, est décédé
Gabriel Lippmann, né Jonas Ferdinand Gabriel Lippmann à Bonnevoie en 1845, a quitté le Luxembourg avec sa famille alors qu’il avait 3 ans. Il a effectué ses études à Paris. Dans les années qui ont suivi, sa découverte d’une méthode de reproduction des couleurs lui a valu d’être récompensé du prix Nobel de physique en 1908.
Quant à Edward Steichen, né Édouard Jean Steichen à Bivange en 1879, il n’a passé qu’environ un an au Luxembourg, avant d’émigrer aux États-Unis avec sa famille. Pour résumer, Edward Steichen a été photographe, directeur de rédaction de plusieurs magazines et conservateur du Museum of Modern Art de New York durant 15 ans. L’exposition majeure The Family of Man, inaugurée au MoMA en 1955, alors qu’Edward Steichen était en poste, est considérée comme la plus grande exposition photographique de tous les temps.