Les grains blancs se gorgent des rayons de soleil de la fin septembre. « Pas mal, non ? Il est beau, sans pourriture. Même pas encore mûr. Il tiendra bien deux semaines encore », sourit Agnès Destrac-Irvine. Son protégé s’appelle Xynisteri. Ce cépage tardif s’épanouit sur une parcelle expérimentale de Villenave-d’Ornon. À 3 000 kilomètres de sa Chypre natale. C’est l’une des 52 variétés testées par l’Inrae, sur un sol de graves typique du Bordelais. « On ne peut pas leur parler, mais on essaye de les comprendre », résume la chercheuse.

Depuis 2009, l’unité écophysiologie et génomique fonctionnelle de la vigne (EGFV) de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) scrute l’adaptation de ces cépages exotiques. Ils viennent pour l’essentiel du pourtour méditerranéen (Portugal, Espagne, Italie, Grèce, etc.) ou des rives de la mer Noire (Géorgie, Bulgarie). Des climats plus ou moins bordelais. En plus chaud. « On étudie leur réponse à notre terroir dans un contexte de réchauffement climatique », explicite Agnès Destrac-Irvine.

Bouclier végétal

La plupart sont tardifs. Ils pourraient permettre de contrecarrer la précocité induite par la hausse rapide des températures. « Quand nous avons démarré l’expérimentation, on effeuillait encore la vigne. Aujourd’hui, les feuilles sont vues comme une protection contre le soleil », illustre Agnès Destrac-Irvine.

La parcelle Vitadapt est organisée en blocs. Les variétés disséminées dans différentes zones, de façon aléatoire, pour limiter les biais. Les ceps en bordure, plus exposés aux caprices du climat, ne sont pas inclus dans l’étude.

La parcelle Vitadapt est organisée en blocs. Les variétés disséminées dans différentes zones, de façon aléatoire, pour limiter les biais. Les ceps en bordure, plus exposés aux caprices du climat, ne sont pas inclus dans l’étude.

Thierry David / SO

À côté de Vitadapt, une autre parcelle expérimentale étudie les réseaux racinaires. Greffadapt rassemble 55 porte-greffes différents, greffés de cinq cépages typiquement français, soit 275 combinaisons. Les chercheurs étudient lesquels résistent le mieux à la chaleur ou plongent le plus profondément pour capter de l’eau.

À côté de Vitadapt, une autre parcelle expérimentale étudie les réseaux racinaires. Greffadapt rassemble 55 porte-greffes différents, greffés de cinq cépages typiquement français, soit 275 combinaisons. Les chercheurs étudient lesquels résistent le mieux à la chaleur ou plongent le plus profondément pour capter de l’eau.

Thierry David / SO

L’idée de la parcelle Vitadapt est née de la canicule de 2003. « Les vignerons ont été dépassés par les températures. Ils ont craint de ne pas pouvoir gérer », se souvient la chercheuse. Vingt-deux ans après, les étés caniculaires deviennent la norme, et « la diversité du matériel végétal » est communément admise comme une parade.

« Nous scrutons la façon dont le réchauffement influe sur les précurseurs d’arômes »

Le travail de l’Inrae prend la forme d’une base de données. Des scientifiques du monde entier viennent y piocher. Pour chaque cépage, elle comprend un suivi annuel et un panel d’informations. De la molécule au goût. « Notre approche se veut aussi œnologique, confirme Agnès Destrac-Irvine. Nous scrutons la façon dont le réchauffement influe sur les précurseurs d’arômes. »

Depuis 2020, ces recherches se traduisent dans le vignoble. L’organisme de défense et de gestion (ODG) Bordeaux supérieur teste six variétés d’intérêt à fin d’adaptation (Vifa). Choisies dans le catalogue de l’Inrae, elles peuvent représenter jusqu’à 10 % de l’assemblage, sans remettre en cause l’appellation d’origine contrôlée (AOC). L’lnstitut national de l’origine et de la qualité (Inao) dira dans dix ans s’ils peuvent entrer dans le cahier des charges.

« Notre rôle n’est pas de choisir à la place des viticulteurs, mais de leur montrer comment le matériel végétal peut les aider », explique Agnès Destrac-Irvine.

« Notre rôle n’est pas de choisir à la place des viticulteurs, mais de leur montrer comment le matériel végétal peut les aider », explique Agnès Destrac-Irvine.

Thierry DAVID / SO

Parmi eux, le marselan du Languedoc, l’arinarnoa basque, le Castets, « un cépage girondin un peu oublié », et le Touriga nacional, secret des portos les plus prestigieux. Côté blancs, l’aromatique alvarinho, cultivé au Portugal et en Galice, et le liliorila, le croisement d’un cépage gascon et du chardonnay, créé en 1956.

Le bordeaux reste du bordeaux

« L’expérience a pris, malgré le contexte difficile auquel font face les viticulteurs, salue Agnès Destrac-Irvine. D’autant que l’on ne sait pas précisément ce que cela donnera, mais la nécessité de s’adapter est admise. Le réchauffement va probablement plus vite que ce que nous redoutions. » Un pari sur l’avenir conforté par une thèse en œnologie soutenue en février, à l’Inrae. En bouche, le bordeaux reste du bordeaux.

« Le doctorant Marc Plantevin a démontré que jusqu’à 10 % de l’assemblage, on ne trouve aucune différence aromatique significative, résume Agnès Destrac-Irvine. Cinq cépages permettent même d’aller jusqu’à 30 %, sans incidence ou presque. » En revanche, ces raisins permettent de travailler d’autres paramètres. Le degré d’alcool, par exemple. L’étude a été menée sur une collection de 80 cépages rassemblée par Bernard Magrez à la Tour Carnet, en Médoc. Elle demande à être étendue à d’autres terroirs bordelais. Avec l’espoir que la « magie de la nature » fasse encore son œuvre.

Le merlot résiste
L’Inrae suit aussi des cépages traditionnels. Pour le merlot, environ 60 % du vignoble, les nouvelles sont bonnes. Le cépage a fait preuve d’une résilience inattendue lors des canicules 2022 et 2025, malgré sa précocité. « Il possède une capacité d’adaptation que l’on n’attendait pas, souligne Agnès Destrac-Irvine. Nos épigénéticiens se penchent sur sa plasticité génétique. » Quelque part dans son patrimoine, le merlot garde un héritage favorable. Les scientifiques sondent ce passé. « Il n’est arrivé dans le Bordelais qu’après la crise du phylloxéra [à la fin du XIXe siècle, NDLR]. Il est bien ici et semble vouloir s’adapter. Pour nous, c’est un résultat important. » Il devrait faire l’objet d’une publication scientifique.