Le CumCum, casse discret ou pratique d’optimisation fiscale, a coûté des milliards d’euros sur les dividendes à l’Europe et particulièrement à la France. Et les chiffres, même s’ils sont contestés, donnent le tournis. Selon un calcul de l’université allemande de Mannheim réalisé en 2021, les finances publiques européennes auraient un manque à gagner depuis le début des années 2000 de 140 milliards d’euros, rapporte la cellule investigation de Radio France. La France, 33 milliards d’euros.

Derrière ce CumCum (du mot en latin cum qui signifie « avec ») se cache un montage fiscal de grande ampleur qui a permis à des actionnaires étrangers, avec la complicité de banques, d’échapper à la taxation des dividendes versés par des entreprises françaises. Ce dispositif, connu sous le nom de « CumCum », comprendre gagnant-gagnant, avait été dévoilé en 2018 par un consortium de médias internationaux.

Comment ça marche ? Normalement, lorsqu’une société française distribue des dividendes, une retenue à la source est prévue pour les bénéficiaires non-résidents (sauf convention fiscale contraire), détaille l’Observatoire de la justice sociale. Pour contourner cette retenue, des investisseurs étrangers ont pu transférer temporairement la propriété de leurs actions à un intermédiaire, généralement une banque française ou un établissement résidant sur le territoire, juste avant la date de « la distribution » des dividendes. La banque recevait alors le dividende sans retenue, puis reversait une part (après commission) à l’investisseur étranger, avant de lui restituer les titres. Ainsi, le fisc français collectait peu ou pas de retenue à la source sur ces dividendes. Soit, au final, une belle affaire pour les banques et les investisseurs qui jouent sur un flou fiscal.

Un préjudice pour la France de 33 milliards d’euros. Enfin presque, car les estimations des spécialistes divergent… Un calcul contesté même, notamment par la Fédération bancaire française. Dans un compte rendu de réunion de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire du 21 juillet 2025, que 20 Minutes a consulté, Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française, dénonce ce calcul. Elle souligne, à coups de précisions, que « ce calcul, qui a sa source dans une étude du professeur Spengel de l’université de Mannheim, comporte de nombreuses approximations, conduisant à une forte surestimation des paramètres de calcul », et le rendant ainsi « infondé et largement surestimé ».

Le CumCum, une si bonne affaire ?

Les choses bougent. Déjà en septembre dernier, le Crédit agricole est devenu la première banque française à reconnaître officiellement sa participation au mécanisme. Cette dernière a accepté une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) avec le Parquet national financier, et s’est engagée à verser 88,2 millions d’euros pour solder les poursuites. Une démarche qui rompt un silence entretenu dans le secteur bancaire. En France, des enquêtes ont en 2023 également été lancées, avec des perquisitions menées dans au moins cinq grandes banques (BNP Paribas, Société générale, Natixis, HSBC France, Exane) dans le cadre d’investigations pour fraude fiscale aggravée.

Ce vendredi, on apprend que « treize banques font à présent l’objet de procédures fiscales », selon la cellule investigation de Radio France. Interrogés par l’AFP. Ses services de Bercy n’ont pas fait de commentaire.

CumCum, c’est fini ?

La justice et l’administration fiscale françaises s’activent depuis plusieurs années pour recouvrer une partie de ces sommes, mais les obstacles sont nombreux (complexité des montages, juridiction internationale, prescription, etc.). Face à la gravité des constats, le Parlement français a inséré un dispositif anti‑fraude dans la loi de finances pour 2025, visant à interdire les montages jugés abusifs de « CumCum ». L’administration fiscale a réagi en considérant que la retenue à la source s’appliquait au « bénéficiaire effectif » du dividende, emboîtant le pas à de nombreux pays européens qui se sont appuyés sur cette notion de bénéficiaire effectif pour mettre fin, avec succès, aux pratiques frauduleuses d’arbitrages de dividendes. Ce nouveau cadre légal entrera en application à partir du 1er janvier 2026.

Pourtant, ce dispositif fait déjà l’objet de critiques et accusations d’affaiblissement. En avril 2025, le ministère de l’Économie a publié un bulletin officiel des finances publiques – impôts (BOFIP) interprétant la loi d’une façon qui serait favorable aux banques, en créant une exception pour les opérations sur marchés réglementés si l’établissement prétend ne pas connaître l’identité du bénéficiaire effectif. Des sénateurs et experts dénoncent même une « brèche » qui pourrait réduire l’efficacité du texte, explique l’AFP.

Plusieurs obstacles compliquent la lutte effective contre le « CumCum », détaille le site spécialisé Actu-juridique : de nombreux montages remontent à plus de 10 ou 15 ans, ce qui limite l’action judiciaire. Les montages recourent à des produits complexes (prêts de titres, produits dérivés) et utilisent des interconnexions internationales. Certaines opérations mobilisent des entités situées dans des États étrangers, rendant difficile la coopération transfrontalière ou l’accès aux informations clés. Enfin, et non des moindres, le lobby bancaire tenterait d’influencer le législateur afin de limiter la portée de la réforme.