L’histoire du Rwanda sur quatre générations par Gaël Faye, le crooner Dino selon Nick Tosches, ou l’Amérique pourrie de James Ellroy : cinq nouveaux titres s’ajoutent à cette sélection des incontournables poches de la rentrée.

James Ellroy publie « Les Enchanteurs ».

James Ellroy publie « Les Enchanteurs ». Photo Marion Ettlinger

Par Camille Cevaer avec le service Livres

Publié le 03 octobre 2025 à 11h01

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“Dino”, de Nick Tosches

Musique et mafia ont toujours intéressé Nick Tosches. Qu’il écrive des romans noirs ou des essais sur la country et le rock, on retrouve chez lui cette liaison provocante entre l’art et la pègre. Normal qu’on le surprenne en compagnie de Dean Martin : Dino, la voix de velours, le tombeur de starlettes, l’Italien de ces dames, le copain de Sinatra, a tout pour lui plaire par ses fréquentations mafieuses, son goût du jeu, son succès guimauve. Et Tosches se fait un plaisir de fouiller dans la vie de cet homme qui cultive une indifférence flegmatique. On découvre une star sans rugosité, qui ne s’intéresse à rien sinon aux spaghettis, aux vieux westerns et, bien sûr, à la chanson. À travers ce personnage fantomatique, Tosches a toute latitude pour reconstruire l’Amérique populaire des années 40 à 70. La Prohibition, quand Dino, enfant, donne un coup de main aux patrons de bistrots. Le triomphe des parrains qui prennent toujours la meilleure table lorsque « le petit » chante dans un club. Hollywood et ses Marilyn de bazar, Las Vegas et ses bandits manchots, New York et ses soirées smoking où l’on se shoote au Percodan… Dean est toujours là. Et le crooner permet à l’écrivain de rédiger les grandes pages d’une époque cruelle mais fascinante, sans perdre de vue son héros, si fade soit-il.
— C.F.

Éd. Rivages-Noir, 12,50€.

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“Dino”, de Nick Tosches

“Les Neurones enchantés”, de Pierre Boulez

Au fil de leur passionnant dialogue – avec le compositeur Philippe Manoury dans le rôle du troisième homme –, l’auteur de L’Homme neuronal et le créateur du Marteau sans maître orchestrent une réflexion poussée sur le sens de la musique, de l’oreille au cerveau : son rapport au temps et à l’espace ; la musique « cosa mentale » ; le lien entre cérébral et irrationnel ou entre art et science – à travers notamment la création de l’Ircam, dont Boulez prend la direction en 1977. Contre l’ambition affichée par l’éditeur de constituer une « neuroscience de l’art » – bref, les « synapses » et la « perception du beau » –, qui en fera peut-être fuir plus d’un, le dialogue s’avère le meilleur quand il ne s’enferme dans aucune certitude mais ouvre plutôt des pistes de réflexion, à partir des divergences de vue et de pratique entre les deux savants. Changeux propose ainsi une première définition de la musique tirée de l’Encyclopédie.
— J.C.

Éd. O.Jacob, 9,50€.

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“Les Neurones enchantés”, de Pierre Boulez

“La Paix ou la Guerre”, de Mikhaïl Chichkine

« Ça fait mal d’être russe. » Dès les premiers mots de sa nouvelle préface à l’ouvrage magistral qu’il a écrit en 2019, Mikhaïl Chichkine (dont la mère était ukrainienne), se place sous le signe de la langue et de la littérature : les crimes russes en Ukraine sont commis non seulement contre des êtres humains, « mais contre [sa] langue ». Le grand mensonge de l’ordre impérial, Chichkine le fait remonter aux invasions mongoles du XIIIe siècle, source d’un esclavage millénaire qui, affirmait Vassili Grossman, « a créé la mystique de l’âme russe ». Âme russe ? Non, soumission et peur, engendrées depuis toujours par un ordre social carcéral. Le pays ne parvient pas à s’envisager sans tsar, les manifestations de l’opposition sont d’une « insignifiance atterrante ». Mais Mikhaïl Chichkine ne doute pas de l’issue : « L’empire des tsars s’est dissous en quelques mois. L’Union soviétique s’est désintégrée en trois jours. La verticale poutinienne du pouvoir s’effondrera en quelques heures. » Et il invoque la leçon de Thomas Mann aux Allemands, le souhait qu’une guerre injuste conduise son pays à une défaite écrasante. Il attend l’heure de cette défaite qui permettrait « le retour de la Russie à ce qui est humain ».
— V.R.

Éd. Libretto, 10,70€.

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“La Paix ou la Guerre”, de Mikhaïl Chichkine

“Jacaranda”, de Gaël Faye

Gaël Faye embrasse avec talent, dans Jacaranda, l’histoire du Rwanda sur quatre générations, de l’époque coloniale à nos jours – dans un pays aujourd’hui reconstruit, réunifié, mais où les plus jeunes doivent apprendre à vivre avec la mémoire traumatique des massacres de masse.— Na.C.

Éd. Le Livre de poche, 8,90€.

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“Jacaranda”, de Gaël Faye

“Les Enchanteurs”, de James Ellroy

Le romancier de Los Angeles retourne à tombeau ouvert vers ses obsessions et les nuits étouffantes d’une Amérique pourrie jusqu’à la moelle où pullulent les prédateurs de tout poil. Il se fout de l’air du temps et des débats du moment, son horloge interne s’est figée sur le cadran de ses premières années. Le mal est invincible, les pulsions toutes-puissantes et ses livres sont des rituels où il fait danser les ombres funestes du passé. Pour Les Enchanteurs, il entre pleins phares dans l’année 1962, celle de la mort de Marilyn Monroe. Il se joue des innombrables et prestigieux biographes et taille à la star de Brentwood un extravagant costume d’intrigante, droguée, trafiquante, effeuilleuse, actrice porno, égérie du « jeu de la baise », fricotant avec les cercles d’extrême gauche et, bien sûr, avec le président Kennedy et son frère Bobby. Ses romans ignorent toutes les limites. Peu importent le vrai et le faux, il croit dur comme fer à ses fantasmes et leur donne une intensité qui précipite le lecteur derrière un miroir sans tain où la comédie humaine est aussi grotesque qu’effrayante. Et l’innocence, toujours, massacrée.
— L.R.

Éd. Rivages-Noir, 12,50€.

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“Les Enchanteurs”, de James Ellroy

“Grand Seigneur”, de Nina Bouraoui

Elle a voulu nommer un de ses dix-huit romans Je suis mon père et se demande dans ce dernier si les filles peuvent réellement bien vivre sans le regard paternel… Une passion réciproque liait Nina à Rachid Bouraoui, dont elle observe ici avec détresse et sidération les douloureux derniers moments, au centre de soins palliatifs Jeanne-Garnier, à Paris, chambre 119. S’y éteint, le 7 juin 2022, le haut fonctionnaire algérien, gouverneur de la Banque centrale de son pays avant d’être licencié par l’État, quand se trame la décennie noire (1992-2002).— F.P.

Éd. Le livre de poche, 8,40€.

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“Grand Seigneur” , de Nina Bouraoui

“Un jour d’avril”, de Michael Cunningham

Sachant l’admiration que Michael Cunningham, l’auteur des Heures (The Hours, prix Pulitzer du roman 1999) – porté à l’écran en 2002 par Stephen Daldry, avec notamment Nicole Kidman et Meryl Streep – voue à Virginia Woolf, on peut s’étonner, voire s’amuser, de le voir renouer ici, à sa façon, avec l’indéfectible thème matrimonial. C’est en effet autour de l’érosion d’un mariage, celui qui unit Isabel et Dan, deux quadras new-yorkais, qu’est construit Un jour d’avril. Tandis qu’autour d’eux deux, le ballet des autres personnages, que dirige élégamment Michael Cunningham, élargit et renouvelle, de façon délicate, la notion de couple et celle de famille. — Na.C.

Éd. Points, 9,30€.

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“Un jour d’avril”, de Michael Cunningham,

“Les Trois Lumières”, de Claire Keegan

A l’arrivée imminente d’un nouveau bébé à la maison, des parents confient leur fille à son oncle et sa tante. D’abord déroutée, la petite trouve auprès de ce couple sans enfants un refuge et un réconfort. L’odeur d’une tarte, une promenade sur la plage, la chaleur de la cuisine, tout l’apaise et l’aide à grandir. Claire Keegan sait, en quelques mots poétiques et directs, peindre une Irlande rurale et la douceur infinie des sentiments.

Éd. Le livre de poche, 7,70€.

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« Les Trois Lumières », de Claire Keegan

“Histoire d’une domestication”, de Camila Sosa Villada

Ni autofiction ni pur roman : Camila, née Cristian, continue à se raconter par des doubles. Ici, elle prend le masque de « la comédienne », personnage central de cette « Thèse sur la domestication » (préférons le titre original) où elle a l’intelligence de rompre avec les marges pour s’engager sur un territoire littéraire nouveau. Trajectoire d’un fils devenu femme, d’une « prostituée joviale et frivole » transfigurée en « comédienne culte », et enfin d’une artiste aspirant à être mère trans, Camila Sosa Villada s’empare d’un thème original : l’apprivoisement d’un être construit sur l’aversion pour la norme. L’autrice de 42 ans sait surprendre son lecteur, et confirme son talent à forger des uppercuts littéraires.— Y.B.

Éd. Points, 8,70€.

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“Histoire d’une domestication”, de Camila Sosa Villada

“Nul ennemi comme un frère”, de Frédéric Paulin

Si Frédéric Paulin se montre politique dans sa façon de prendre à bras-le-corps certains sujets sensibles, ici la guerre du Liban, on ressent chez lui une volonté de garder du recul, pour mieux raconter la complexité du réel. « J’écris aussi pour dire les choses ! rétorque-t-il. Sans donner des leçons, j’accepte d’être engagé. » Ce que Nul ennemi comme un frère décrit déjà avec précision, c’est combien il s’agit d’une histoire franco-libanaise, la politique hexagonale se délocalisant parfois au Proche-Orient, tandis que la voix de la France y est de moins en moins audible. « Parler de ce passé, c’est aussi éclairer le présent, qui ne vient pas de nulle part. » Y.L.-S.

Éd. Folio, 10,00€.

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Frédéric Paulin, le polar comme acte de mémoire

“Les Monuments de Paris”, de Violaine Huisman

C’est la mort proche d’un père ouvertement « adoré » qui a poussé Violaine Huisman à cette enquête familiale pleine de suspense, à ce roman-vérité où s’emboîtent vérités publiques et fantasmes intimes, et revivent en majesté des pages d’histoire politique et culturelle française trop ignorées. La romancière tisse à merveille l’officiel et le privé, le politique et ses coulisses, le destin de sa parentèle et celui d’un pays. C’est pour mieux le connaître que Violaine Huisman a fait le voyage jusqu’à Georges. Que savons-nous, que voulons-nous savoir de nos parents ? Quels fantômes d’eux préservons-nous ? À 45 ans, Violaine Huisman porte haut ceux de la mère et du père. Elle ne veut ni oublier, ni faire son deuil. Ils restent magnifiquement à ses côtés. « Je te guetterai toujours, chuchote-t-elle à la fin au défunt « papa adoré ». Ici et là-bas. » — F.P.

Éd. Folio, 9,50€.

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“Les Monuments de Paris”, de Violaine Huisman

“Traverser les forêts”, de Caroline Hinault

Cette forêt est un paradis éventré. La traverser expose à l’enchantement comme à la descente aux enfers. Elle existe vraiment, tenture de glace et de mousse, de racines et de ronces, de sang et d’os, « forêt primaire » tissée au fil de dix millénaires, déployée entre la Pologne et Biélorussie. Propulsée par une écriture luxuriante et escarpée, d’une beauté cinglante, Caroline Hinault s’enfonce dans l’épaisseur de cette réalité. Elle sonde l’insoutenable contradiction de ce parc national de 10 000 hectares, espace de sauvegarde écologique comme de persécution humanitaire, où la faune et la flore bénéficient d’une protection de haute lutte pendant que les migrants ont l’interdiction de s’y réfugier et se voient pourchassés parfois jusqu’à la mort — M.L.

Éd. Le Livre de poche, 8,40€.

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“Traverser les forêts” de Caroline Hinault 

“Chanter, swinguer, faire la bringue comme à Noël”, de Maya Angelou

Dans Chanter, swinguer, faire la bringue comme à Noël, l’effervescent troisième volet de son autobiographie, on assiste au moment précis où Marguerite devint Maya, au mitan des années 1950, au terme d’une audition qui allait la propulser sur scène, chanteuse de calypso dans un club de San Francisco. « Ma vie n’était qu’une collection d’épreuves », écrit, dans Chanter, swinguer, faire la bringue comme à Noël, celle qui deviendra, quelques décennies plus tard, l’une des incarnations les plus puissantes et révérées de l’émancipation. Dans le recueil Et pourtant je m’élève, elle écrivait : « Je suis un océan noir, bondissant et large, / Jaillissant et gonflant je porte la marée. / En laissant derrière moi des nuits de terreur et de peur / Je m’élève / Vers une aube merveilleusement claire / Je m’élève / Apportant les présents que mes ancêtres m’ont donnés, / Je suis le rêve et l’espérance de l’esclave. / Je m’élève / Je m’élève / Je m’élève. » — Na.C.

Éd. Le livre de poche, 9,40€.

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“Chanter, swinguer, faire la bringue comme à Noël” de Maya Angelou

“Les Enfants de sainte Marguerite”, de Ante Tomic

Avec un grand doigté, Ante Tomić distille à merveille la saveur des joies tendres du quotidien et le chagrin des petites peines ordinaires. L’écrivain de 54 ans donne libre cours à son goût du grotesque et, avec un sens aigu de la bouffonnerie, s’amuse d’un vol de maillot de bain, d’une partie de cartes, d’une fanfare. Mais, imperceptiblement, il assemble ces saynètes en un profond conte d’été, faisant œuvre de moraliste derrière la désinvolture. Sans avoir l’air d’y toucher, l’auteur croate, rendu célèbre par Miracle à la combe aux Aspics, et qui publie simultanément en poche Qu’est-ce qu’un homme sans moustache ? (éd. Libretto), nous parle d’exil et de métissage, de désir et d’amour. Et finalement d’espoir. Qui, en croate, se dit nada. Soit le titre en langue originale de ce roman – on vous laisse découvrir comment il en est aussi l’aboutissement. Y.B.

Éd. Libretto, 9,20 €.

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“Les Enfants de sainte Marguerite” de Ante Tomic 

“Birnam Wood”, d’Eleanor Catton

Après avoir remporté le Booker Prize à 28 ans pour Les Luminaires (Buchet-Chastel, 2014), Eleanor Catton revient avec Birnam Wood, un éco-thriller aussi foisonnant que déstabilisant. On commence par y suivre un collectif de militants qui exploitent illégalement des terrains inoccupés pour faire du maraîchage. L’ambiance tourne au vinaigre quand le très politique Tony revient après des années d’absence et critique l’évolution du collectif, lequel s’est doucement éloigné de son identité antisystème pour rationaliser son organisation. Le thriller s’impose un peu plus à chaque page, tandis que le scandale industriel qui se trame dans l’ombre est sur le point d’exploser. Avec un élan narratif qui semble ne jamais faire de pause, l’autrice questionne, avec une ironie grinçante, la façon dont l’homme peut encore habiter la nature. Y.L.-S.

Éd. Libretto, 12,70 €.

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Birnam Wood, d’Eleanor Catton

“Reine”, de Pauline Guéna

Au cœur d’une chaude nuit d’été, dans la banlieue sud-est de Paris, un homme est abattu à la sortie d’un bar miteux. Le tireur est un tueur à gages qui vient d’agir par amour, avant de s’enfuir. Sur place, une jeune femme mutique est retrouvée par la police. Un journaliste novice coincé au service web d’une rédaction nationale s’intéresse à l’affaire, sans savoir que la couverture de ce fait divers va le transformer. C’est d’abord ce dernier personnage que Pauline Guéna nous amène à suivre. Son écriture poétique, vivante, permet au lecteur de se fondre dans l’existence des protagonistes de ce roman noir qui distille un suspense élégant. Il faut reconnaître que l’importance accordée à la subtilité des émotions fait parfois passer au second plan le souffle narratif dans cette histoire finalement assez ramassée. Mais le dénouement, simple et maîtrisé, achève de graver dans la mémoire un texte singulier.— Y.L.-S.

Éd. Folio, 8,50 €.

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“Reine”, de Pauline Guéna

“Emma Goldman”, de Vivian Gornick

Limpide est, effectivement, l’essai biographique que Gornick consacre à Emma Goldman (1869-1940), militante anarchiste avec laquelle elle partage des origines juives et russes. Mais là n’est pas la source de son intérêt pour l’éruptive et infatigable activiste dont elle cherche plutôt à cerner et « éclairer l’élan existentiel qui sous-tend sa politique radicale ». Les idées, pour Emma Goldman, ne valaient pas grand-chose si on se contentait de l’intelligence pour s’en saisir, alors qu’il fallait plutôt, disait-elle, les « sentir dans chacune de ses fibres comme une flamme, une fièvre dévorante, une passion élémentaire ». La foi d’Emma Goldman en l’idéal anarchiste « se logeait dans le système nerveux », résume Gornick, au seuil de ce récit prenant qui embrasse d’un geste net et enlevé l’existence tumultueuse de son sujet. Tout en l’éclairant de réflexions qui esquissent, derrière ce portrait en mouvement, un tableau de la vie politique de son temps.— Na.C.

Éd. Payot, 9,50 €.

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« Emma Goldman » , de Vivian Gornick

“Les Cantiques du corbeau”, de Bartabas

Parfois, il suffit d’une phrase, d’une image pour être entraîné comme malgré soi, et lentement envoûté par un livre. Ainsi en va-t-il du très court et fulgurant opus de Bartabas, patron du Théâtre équestre Zingaro : « Ma vie diurne sera toujours un long cortège funéraire », ou encore « j’obéirai au cantique de mon destin »… Après D’un cheval l’autre (2020), premier et singulier ouvrage, où il revisitait son parcours artistique et intime à travers chacun des chevaux qui tout au long de son existence l’avaient accompagné, voilà que le moine-écuyer réinvente, en vingt-deux chants oniriques, rien moins que les origines de l’humanité. L’effroi et la douceur tissent ces visionnaires et hallucinés Cantiques du corbeau, le rire et le martyre, le rêve et le mythe. Et, impérial et humble à la fois, Bartabas conclut simplement son voyage chamanique : « Nous sommes tous des bêtes tourmentées qui errent dans la nuit. ».— F.P.

Éd. Folio, 7,00 €.

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« Les Cantiques du corbeau », de Bartabas

“La Cité de la victoire”, de Salman Rushdie

La Cité de la victoire, l’épopée historique de Pampa Kampana, une jeune femme dotée de pouvoirs magiques qui fit naître au XIVe siècle une cité utopique. Le quotidien The Washington Post remarque, des parallèles entre les menaces dont est victime la jeune Pampa et « les propres combats de l’auteur contre la haine sectaire et l’ignorance ». « Certaines coïncidences, poursuit The Washington Post, sont presque trop difficiles à supporter. » Tout en évoquant la richesse de sa prose et de ses références historiques, le Los Angeles Times écrit, pour sa part, que ce quinzième ouvrage « nous rappelle comment l’écriture de Salman Rushdie a changé le monde ».

Éd. Babel, 10,90 €.

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« La Cité de la victoire », de Salman Rushdie

“Intermezzo”, de Sally Rooney

À chaque nouvel opus de Sally Rooney, un schéma relationnel observé à la loupe : après le ménage à quatre (Conversations entre amis), le jeune couple amoureux (Normal people), le tandem d’amies de longue date (Où es-tu, monde admirable), l’écrivaine irlandaise se penche, dans ce quatrième roman, sur l’attachement fraternel, qu’elle entreprend de disséquer au prisme des liens qui unissent – et désunissent – deux jeunes hommes confrontés à la disparition récente de leur père. Intermezzo est le roman d’une féministe de 33 ans lucide mais pas désespérée, dont l’astucieuse mécanique et la redoutable finesse d’observation emportent davantage l’adhésion que certaines affèteries stylistiques.— E.G.

Éd. Folio, 10,00 €.

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“Intermezzo”, de Sally Rooney

“Archipels”, d’Hélène Gaudy

« Il n’est pas plus facile de décrire mon propre père que des explorateurs suédois du XIXᵉ siècle », confesse Hélène Gaudy au terme de ce livre magnifique. Elle évoque là un précédent ouvrage, Un monde sans rivage (2019), dans lequel elle pistait les destins des téméraires aventuriers scandinaves. Il y a une filiation entre les deux livres : rechercher le passé au moyen des traces que les hommes ont laissées derrière eux. Tâche ardue, cette fois, tant son père brouille les pistes. Si les paysages traversés peuvent définir un itinéraire personnel, alors celui de son père serait une île, repérable mais isolée et secrète.— G.H.

Éd. Points, 9,30 €.

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“Archipels” d’Hélène Gaudy

“Fabriquer une femme”, de Marie Darrieussecq

Balzac, aussi, aimait de livre en livre ressusciter certains personnages. Non que Marie Darrieussecq, 55 ans, ait son ambition d’écrire une Comédie humaine, juste, peut-être, de densifier quelques-unes de ses héroïnes sœurs sous de nouvelles complexités. Ainsi se retrouve-t-on à Clèves, la bourgade de son enfance réinventée, au Pays basque. Ainsi redécouvre-t-on deux amies adolescentes, Rose, la jeune bourgeoise sérieuse, et Solange, la dévergondée aux parents divorcés et paumés. De ses drôles de paragraphes informels et pourtant sculptés, de son écriture sonore et visuelle, si magiquement enracinée dans l’endroit, l’époque qu’elle décrit, Marie Darrieussecq dit admirablement la France urbaine et néorurale des années mitterrandiennes, les désarrois et extravagances d’une génération aux lendemains qui ne chanteront plus, au « progrès » défunt.— F.P.

Éd. Folio, 9,50 €.

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“Fabriquer une femme” de Marie Darrieussecq 

“Copeaux de bois”, d’Anouk Lejczyk

Anouk Lejczyk est devenue bûcheronne pour un temps limité, en vue d’écrire un livre que voici, car écrire est son métier premier. Pas de féerie cosmique, pas de dolorisme de l’extrême, juste un compte rendu fidèle de ce quotidien de novice, une mise à plat des mots entendus, des performances exigées, des méthodes de formation, des moqueries de circonstances. Mais avant de mettre à plat, il faut couper. Alors Anouk Lejczyk découpe, hache, tronçonne son texte, avec des retours à la ligne instinctifs, en plein milieu des phrases, traitées comme des branches qu’elle écarte, qu’elle élague. L’aventurière forestière nous plonge dans un monde pétri de doutes, tiraillé entre un sentiment d’urgence et d’éternité, sommé de s’adapter aux changements, tout en gardant un lien avec les gestes les plus anciens. Les discours restent en surface, et soudain la banalité se fendille sous l’effet d’une peur sourde, contemporaine, généralisée. Les vieux réflexes ont la vie dure, l’écologie se vit comme une honte d’en être arrivé là. Mais il faut tenir, garder du souffle et de la confiance pour avancer. Ce livre en est empli, et déroule dans sa phrase finale une proposition d’avenir qui ne se refuse pas : « faire entrer la lumière. ». — M.L.

Éd. J’ai lu, 8,20 €.

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« Copeaux de bois », d’Anouk Lejczyk

“Les Trois Lumières”, de Claire Keegan

Al’arrivée imminente d’un nouveau bébé à la maison, des parents confient leur fille à son oncle et sa tante. D’abord déroutée, la petite trouve auprès de ce couple sans enfants un refuge et un réconfort. L’odeur d’une tarte, une promenade sur la plage, la chaleur de la cuisine, tout l’apaise et l’aide à grandir. Claire Keegan sait, en quelques mots poétiques et directs, peindre une Irlande rurale et la douceur infinie des sentiments.

Éd. Le Livre de Poche, 7,70 €.

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« Les Trois Lumières », de Claire Keegan

“Le Royaume enchanté”, de Russell Banks

De 3 000 hectares de terres marécageuses acquis en Floride, le groupe d’une quinzaine d’adeptes, à force de foi inflexible et de travail acharné, a fait un éden prospère, couvert de vergers et de pâturages, baptisé La Nouvelle-Béthanie. Un paradis profondément réactionnaire, dont Le Royaume enchanté, par la voix de Harley Mann, nous raconte l’acmé et la chute — à laquelle, adolescent, Harley Mann fut étroitement mêlé, lorsque son amour interdit pour la jeune Sadie fit imploser la communauté. À travers lui, à travers ceux qui l’entourent Russell Banks incarne puissamment les fausses promesses du dogmatisme, de la radicalité et de l’utopie. Celles non moins délétères de l’individualisme matérialiste — et la dimension explosive de leur rencontre. Sur les ruines de l’illusoire paradis de La Nouvelle-Béthanie, quelques décennies plus tard, l’empire Disney a pris pied et bâti, à son tour, un autre pseudo-Royaume enchanté, une usine à rêves, symbole du capitalisme du divertissement. Tel est le sens, désenchanté, de l’Histoire, semble nous confier Banks. — Na.C.

Éd. Babel, 10,90 €.

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“Le Royaume enchanté”, de Russell Banks

“Assemblage”, de Natasha Brown

Elle n’a pas ménagé ses efforts, elle a mis toute son énergie, et même davantage, à « ce dépassement sans fin » d’elle-même. « Je suis tout ce qu’on m’a dit de devenir. Ça ne suffit pas », constate pourtant la narratrice d’Assemblage. Jeune Britannique noire, issue d’une famille modeste, elle a excellé à l’école et à l’université et gravite désormais dans l’univers glacé et suffisant de la finance. Son petit ami blanc est un héritier, rejeton d’une famille de la haute bourgeoisie anglaise. Comme une créature au corps élastique, elle s’est coulée dans les codes culturels et les mœurs d’un monde au seuil duquel elle demeure. À travers le monologue de sa narratrice, Assemblage ne fait entendre nulle plainte. Une colère plutôt, froide et nette, même si elle est mêlée de lassitude, d’angoisse sourde, de crâne renoncement. Une tonalité inconfortable, rugueuse, dérangeante, qui tout ensemble porte et irrigue une narration morcelée au fil de laquelle la jeune femme déroule les faits – les gestes, les symboles, et surtout les mots, révélateurs, à l’insu de ceux qui les prononcent, des hiérarchies avérées et non dites, du rejet racial et social, du mépris de genre – et les dissèque avec une intelligence critique implacable. Ne s’épargnant pas elle-même tandis qu’elle examine, l’âme intranquille, son acquiescement à ce système qu’elle est sur le point de résilier. « Née ici, de parents nés ici, jamais vécu ailleurs – pourtant jamais d’ici », résume-t-elle sans pathos, au fil de ce (premier) roman d’une éclatante maîtrise, à teneur hautement politique, mais non moins incarné et remuant. — Na.C.

Éd. Le livre de poche, 7,90 €.

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« Assemblage », de Natasha Brown

“Croix de cendre”, d’Antoine Sénanque

Un prieur, un sacristain, deux moines, un inquisiteur et des oblats… Nous sommes au XIVᵉ siècle, ravagé par l’épidémie de peste de 1348. Mais si ce roman d’Antoine Sénanque est une histoire religieuse, s’il fait la part belle aux dimensions symboliques, aux doutes qui sans cesse tenaillent les âmes des protagonistes, il est aussi un formidable roman d’aventures où les corps et le spirituel se conjuguent et où les enjeux politiques prennent parfois le dessus sur toute autre considération. Merveilleusement écrit, le roman d’Antoine Sénanque prend peu à peu les rythmes d’un polar médiéval dont le suspense se savoure des laudes jusqu’aux vêpres. — G.H.

Éd. Le livre de poche, 9,70 €.

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“Croix de cendre”, d’Antoine Sénanque

“On n’est plus des gens normaux”, de Justin Morin

À l’été 2017, un automobiliste a foncé sur la terrasse d’une pizzeria de Seine-et-Marne, tuant Angela, 13 ans, et faisant des dizaines de blessés. Quelques années plus tard, Justin Morin couvre le procès comme journaliste. Lui qui, pour son travail, voit défiler les faits divers, est touché différemment, peut-être parce qu’il vient de devenir père. Il est marqué par la solidarité entre les victimes, mais aussi par la solitude de la sœur du criminel, appelée à la barre. Le projet d’écriture naîtra de la volonté de raconter, d’abord, le difficile statut de victime. Ce récit est poignant car le journaliste se fait subtilement écrivain et trouve le ton juste, entre le recueil soigné de la parole et l’étude ciselée d’émotions complexes. Mais l’autre déclencheur d’On n’est plus des gens normaux vient de l’interrogation face à la loyauté de la sœur envers son frère coupable. C’est un chemin de crête, sur lequel le primo-romancier évolue avec sensibilité, sans doute aidé par son passage dans un master de création littéraire. Sous sa plume, la fiction assumée apparaît comme le moyen le plus honnête de traiter ce qui n’a pu être transmis. Y.L.-S.

Éd. Folio, 8,00 €.

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“On n’est plus des gens normaux”, de Justin Morin 

“Le Vent léger”, de Jean-François Beauchemin

Un chevreuil au fond du jardin, le chant des oiseaux, tout l’émerveille. Peu connu en France, le Québécois Jean-François Beauchemin nous enchante avec ses livres. Personne ne déplorera l’accélération réparatrice qui se fait sentir aujourd’hui, alors que sont proposés au public français « Le vent léger » au titre aussi délicat que leur contenu, qui sonde le chagrin, mêlé d’irréductible allégresse, de six enfants bientôt endeuillés par la perte de leur mère. — M.L.

Éd. Folio, 8,00 €.

À lire aussi :

Jean-François Beauchemin : « J’écris pour une seule raison : célébrer la joie d’être vivant »

“Le Mode avion”, de Laurent Nunez

Étienne Choulier, « homme de science » ? Considérant sa statue à Fontan, petit village des Alpes-Maritimes, le narrateur, dubitatif, mène l’enquête. Le fameux Choulier était, dans les années 1930, un homme discret, que ses collègues jugeaient « saugrenu », et aussi, accessoirement, le plus jeune agrégé de grammaire de France. Il désarçonnait ses interlocuteurs en déclarant : « C’est incurable hélas. J’ai une très grave maladie, horrible de nos jours : je vois le langage… » À la cantine de la Sorbonne, il fit la connaissance de Stefán Meinhof, autre universitaire, qui lui dit : « Idem pour moi. » Voir le langage devint alors leur obsession commune. Emménageant dans un vieux mas à Fontan, les deux hommes s’immergent dans l’étude, pour « déterrer un trésor philologique », une théorie inédite. Dans son carnet, Choulier note ses interrogations : « Pourquoi « tout attaché » s’écrit-il séparément, alors que « séparément » s’écrit tout attaché ? » Il croit avoir enfin construit son théorème quand Meinhof est sûr, lui aussi, de tenir sa théorie. Les années passent… Qu’adviendra-t-il des deux compères ? Le Mode avion, petit livre d’aventure intellectuelle, facétieux, savoureusement drôle et érudit, est un beau clin d’œil à Bouvard et Pécuchet, les deux « cloportes » de Gustave Flaubert. — G.H.

Éd. Rivages-Poche, 8,70 €.

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« Le Mode avion », de Laurent Nunez

“Le Banquet des Empouses”, d’Olga Tokarczuk

Pour qui accepte l’invitation (foncez !), Olga Tokarczuk vous embarquera dans un livre-monde de sous-bois humides et de sommets mélancoliques, de sinistres secrets et de liqueurs de champignons hallucinogènes, de douches glacées et de symphonies de toux, de meurtres rituels et de créatures étranges aux visages de mousse. — W.Z.

Éd. Le livre de poche, 9,40 €.

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“Le Banquet des Empouses” d’Olga Tokarczuk : les sorcières s’invitent au bal des misogynes

“Cabane”, d’Abel Quentin

Avocat pénaliste quand il n’écrit pas, Abel Quentin, 38 ans, n’est guère politiquement correct. Voilà pourtant qu’il s’attaque vertueusement, dans Cabane, son troisième et copieux roman, aux dérives mortifères de notre culture de la croissance. Plus sombre et tragique que d’ordinaire, Abel Quentin suit jusqu’à aujourd’hui le destin des très écolos Dundee devenus éleveurs de porcs, du cynique Quérillot reconverti dans l’industrie pétrolière, de l’idéaliste Gudsonn devenu apôtre de la décroissance. Une fresque brillante qui caracole dans les milieux, les lieux, les plus divers. Surgi au milieu du récit et vite fasciné par Gudsonn, le narrateur, journaliste un rien paumé du très discret mensuel Zones, est le seul personnage farce de cette randonnée au royaume des illusions perdues de la modernité. — F.P.

Éd. J’ai lu, 9,50 €.

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“Cabane”, fresque sarcastique et climatique d’Abel Quentin

“Les Derniers Indiens”, de Marie-Hélène Lafon

Dans ses nouvelles (Liturgie, Organes) comme dans ses précédents romans (Le Soir du chien, Sur la photo), toujours elle élimine le superflu, décrit l’âpreté du quotidien, les jours décolorés, la terre qui colle aux chaussures et finit par épaissir les âmes comme les semelles. Avec des phrases courtes, avares d’adjectifs, elle dit la solitude, les silences, mais aussi les rituels : les naissances et les enterrements, le linge plié et déplié, la sexualité interdite. Les Derniers Indiens est une histoire d’attente et de mort, un livre sur l’orgueil qui vous empêche de traverser la route et vous laisse un jour, seul derrière la vitre de la cuisine, à surveiller ceux d’en face pour tenter de comprendre la recette du bonheur.

Éd. Le livre de poche, 7,90 €.

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Les Derniers Indiens

“Le Rêve du jaguar”, de Miguel Bonnefoy

D’emblée, le narrateur prévient : ce bébé abandonné sur un trottoir est voué à un destin exceptionnel. D’ailleurs, cette rue finira par porter son nom. Puis il déploie un décor foisonnant où se mêlent l’histoire mouvementée du Venezuela et l’odyssée d’Antonio. Ces péripéties sont-elles réelles ou leur transmission au fil du temps les a-t-elle transformées en légende ? L’épopée court sur quatre générations et s’étire comme le long chant d’une fable qui fredonne, module, vocalise au rythme de l’histoire familiale. Gorgé de couleurs et d’images, le récit rebondit, cavale à la poursuite de l’aventure, régulièrement rattrapé par les soubresauts d’un pays où les révolutions se produisent avec la régularité d’un métronome. E.D.

Éd. Rivages-Poche, 9,50 €.

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“Le Rêve du jaguar”, de Miguel Bonnefoy, prix Femina, après le grand prix du roman de l’Académie française

“Frapper l’épopée”, d’Alice Zeniter

Après avoir étudié puis travaillé en métropole plusieurs années, Tass est de retour à Nouméa. En Nouvelle-Calédonie, où elle est née et a grandi, et où l’attend un poste de prof de français. Parallèlement au récit du retour de Tass, Alice Zeniter installe, au cœur de l’intrigue de Frapper l’épopée, un autre pôle de l’action : un mystérieux groupuscule d’activistes indépendantistes kanaks dont les actions subversives s’inscrivent dans une énigmatique démarche politique qu’ils qualifient d’« empathie violente ». L’ambitieuse et talentueuse autrice tirera bientôt d’autres fils, tandis que son brillant roman s’ouvre vers le passé. Se penchant sur le rôle de colonie pénitentiaire qu’assigna à la Nouvelle-Calédonie, au milieu du XIXᵉ siècle, le nouveau pouvoir colonial français. Et, parmi les déportés, zoomant sur les Algériens qui furent amenés sur le Caillou et durent apprendre à y vivre – parmi eux, Areski, l’aïeul de Tass. Construction romanesque virtuose, Frapper l’épopée est tout ensemble un grand roman politique et sensible, poétique et incarné. — Na.C.

Éd. J’ai lu, 9,20 €.

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“Frapper l’épopée”, d’Alice Zeniter

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