Si cette ouverture à la concurrence peut donc changer le quotidien des voyageurs, elle aiguise surtout l’appétit des opérateurs du secteur. Qu’il s’agisse de la RATP bien sûr (via sa filiale dédiée RATP Cap Ile-de-France) ou de compétiteurs étrangers, à l’image de la régie milanaise ATM. Mais ce sont surtout les poids lourds Transdev et Keolis qui fourbissent leurs armes. A la clé pour les heureux élus, des contrats longue durée compris entre six et sept ans. Et dont la valeur globale s’échelonne de 330 millions d’euros, dans le cas de la ligne express desservant Roissy (d’ores et déjà gagnée par Transdev), à… 2,3 milliards pour le futur vainqueur du lot Rive droite, au volume d’activité équivalent à celui d’une ville comme Rennes. Des factures qui sont réglées directement par IDFM et financées, en partie, par vos titres de transport.

La RATP pressentie pour les deux derniers lots parisiens

«L’intérêt de la mise en concurrence, c’est de redonner du pouvoir à la sphère publique. Nous avons intégré à chaque contrat une part variable, basée sur la qualité de service. Les pénalités peuvent aller jusqu’à 10%, et la révocation du contrat est même possible si ça se passe trop mal», prévient Grégoire de Lasteyrie, vice-président de la région en charge des Transports. Par ailleurs maire (LR) de Palaiseau (Essonne), il sait à quel point la gestion des 10 500 bus du réseau, dont un millier sont renouvelés chaque année pour tenir la trajectoire de décarbonation de la flotte, est complexe. D’ailleurs, il entend profiter à fond de la compétition entre opérateurs. «Nous les challengeons sur les moyens mobilisés : ponctualité, nombre de conducteurs, fréquence de passage…», se félicite l’élu.

Mais déloger la RATP n’est pas si facile. Et si les deux plus gros challengers, Transdev (filiale, depuis juillet, du groupe privé allemand Rethmann) et Keolis (filiale à 70% de SNCF), ont réussi à percer la défense de la régie, cette dernière résiste bien. Sur les 12 lots de la petite couronne et de Paris intra-muros déjà attribués (soit 19 000 agents, dont 15 000 conducteurs), la RATP en a gagné 6, pour un montant annuel avoisinant, selon nos calculs, 1,05 milliard d’euros. Un chiffre d’affaires qui pourrait encore gonfler de 500 millions d’euros annuels, si RATP Cap Ile-de-France devait empocher les fameux deux derniers lots. D’après une source proche du dossier, la régie resterait d’ailleurs favorite pour continuer à opérer ces lignes, malgré une ponctualité perturbée. Il faut dire que leurs dépôts de bus, situés en zone résidentielle, exigent une délicate gestion.

En attendant le vote d’IDFM le 17 octobre, qui devrait valider la victoire de la RATP sur les deux derniers lots parisiens, c’est un quasi match nul pour ses deux principaux compétiteurs : Keolis est ainsi reparti avec 242 millions d’euros par an (le lot «Seine Orly» au sud de la capitale, qui comprend la ligne T9 du tramway), tandis que Transdev s’est arrogé 221 millions d’euros par an (2 lots remportés, dont «Ourcq» avec des lignes débouchant dans le nord-est de Paris). Un invité surprise s’est même glissé dans ce match, en la personne de la régie milanaise ATM, qui peut compter sur 110 millions d’euros par an (lot «Croix du Sud»).

La question au sociale au coeur des préoccupations

Ironie de l’histoire, ce sont ces mêmes Italiens qui géreront les bus desservant le siège de Transdev à Issy-les-Moulineaux (92), dès l’été 2026. Pas de quoi perturber Pierre Talgorn, le directeur général adjoint France du groupe. «Historiquement, nous avions une forte implantation en grande couronne et après avoir renouvelé ces contrats en 2021, il a fallu nous réinventer, l’ouverture du marché étant un système très compétitif. Dans nos réponses à IDFM, le dialogue social est un marqueur fort», indique le stratège en chef de Transdev pour l’Ile-de-France. C’est en effet un point sensible, car le nouvel opérateur va accueillir un peu moins de 2 000 agents de la RATP d’ici au 1er mai 2026. «Juste après l’attribution, Thierry Mallet et Edouard Hénaut, respectivement PDG et DG France de Transdev, ont rendu visite aux équipes aux côtés de Jean Castex (PDG de la RATP, NDLR) aux centres bus pour un premier contact. Nous n’anticipons pas de refus de transfert dans la mesure où les conditions de travail et de rémunération seront dans la continuité», promet Pierre Talgorn. Seules l’organisation des plannings et l’attribution d’une partie des primes différeront.

Cette question sociale est au cœur des préoccupations. Car sans conducteurs en nombre suffisant, la qualité de service comme le plan de transport seront difficiles à tenir, faisant courir le risque de sanctions financières de la part d’IDFM. «Le pilotage de la transition, la ponctualité et l’offre sociale étaient prépondérants dans les appels d’offres, reconnaît à son tour Clément Michel, directeur général France de Keolis. Pour gagner, il faut se mettre dans la tête de l’autorité, mais aussi dans la peau des usagers.» Le dirigeant, qui a roulé sa bosse à l’étranger, pense même que l’arrivée de l’italien ATM est un message fort à l’adresse des candidats aux futurs appels d’offres pour les lignes de tramway, de métro et de train de banlieue, prévus au calendrier d’IDFM d’ici à 2030.

En attendant, nos champions mondiaux des réseaux de transports continuent de se livrer bataille à l’étranger. Les rouges de Transdev viennent même de marquer un sacré but contre les bleus de Keolis à Melbourne (Australie), en piquant à l’exploitant historique ce contrat de neuf ans, de plus de 4 milliards d’euros.

Keolis

70 000 salariés

7,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires mondial (dont la moitié en France)

1 lot obtenu en Ile-de-France (242 millions d’euros par an)

Transdev

105 000 salariés

10,05 milliards d’euros de chiffre d’affaires mondial (dont un tiers en France)

2 lots obtenus en Ile-de-France (221 millions d’euros par an)

La suite est réservée aux abonnés

Abonnez-vous à Capital
à partir de 1€ le premier mois

  • Accès à tous les articles réservés aux abonnés, sur le site et l’appli

  • Le magazine en version numérique

  • Navigation sans publicité

  • Sans engagement

Déjà abonné ?

Je me connecte