Alors, c’est qui le plus fort ? © Adobe Stock
En matière de douleur, les clichés ont la vie dure. Les femmes, parce qu’elles donnent naissance et vivent régulièrement des douleurs liées aux cycles menstruels, seraient naturellement mieux armées face à la douleur. Une croyance populaire qui alimente un imaginaire collectif… mais qui ne résiste pas toujours aux faits scientifiques.
Une étude récente, publiée en août dans la National Library of Medicine, montre au contraire que la réponse physiologique à la douleur varie en fonction du sexe, et que les femmes ne sont pas nécessairement « plus résistantes ».
L’expérience : la main plongée dans l’eau glacée
Les chercheurs de l’Université McGill (Canada) ont recruté 18 participants, hommes et femmes âgés de 20 à 33 ans, soumis à un test bien connu en recherche : plonger une main dans de l’eau glacée pendant six minutes.
Les résultats sont parlants :
- La douleur, la fréquence cardiaque et la tension artérielle augmentent chez tous les volontaires, sans distinction de sexe.
- Mais l’activité musculaire sympathique (AMS) (un marqueur du système nerveux qui gère le stress et la douleur chronique) a davantage augmenté chez les femmes que chez les hommes.
- Autrement dit, le corps des femmes semble réagir différemment : leur douleur est plus fortement corrélée à l’activité nerveuse sympathique, alors que chez les hommes, elle est liée à la fréquence cardiaque.
Ces observations suggèrent que les systèmes nerveux masculin et féminin ne traitent pas la douleur de la même manière.
Alors, qui est le plus résistant à la douleur ? Pourquoi est-ce important ?
Le Pr Jeffrey Mogil, spécialiste de la douleur à McGill, l’explique dans The Washington Post : « La question de savoir qui est le plus sensible ou le plus tolérant à la douleur a déjà été étudiée des centaines de fois. La croyance selon laquelle les hommes souffrent plus est une sorte de zombie qui refuse de mourir. »
La différence ne se joue pas seulement au niveau du ressenti subjectif, mais aussi dans la biologie même du système nerveux. La chercheuse Karen Davis (Krembil Brain Institute, Toronto) montre depuis plus de dix ans que certaines zones du cerveau, comme le cortex cingulaire antérieur sous-génital (sgACC), fonctionnent différemment chez les hommes et les femmes atteints de douleurs chroniques. Ces différences de connectivité pourraient expliquer pourquoi certaines maladies douloureuses, comme la spondylarthrite ankylosante, sont vécues plus durement par les femmes.
Ce que disent les études françaises
Les données françaises confirment que la douleur est un problème de santé publique majeur. Selon l’Inserm, près de 12 millions de personnes souffrent de douleurs chroniques en France, dont une majorité de femmes (Inserm, 2021).
Quelques chiffres clés :
Les chercheurs français soulignent aussi le rôle des hormones sexuelles. Les œstrogènes peuvent augmenter la sensibilité à la douleur, tandis que la testostérone semble avoir un effet protecteur.
Des différences… mais pas de hiérarchie
Au fond, la question n’est peut-être pas de savoir « qui souffre plus » mais comment chacun souffre. Les différences biologiques et hormonales façonnent des réponses distinctes à la douleur. Les femmes ne sont pas plus « fortes » ni les hommes plus « fragiles » : ils n’utilisent tout simplement pas les mêmes circuits nerveux et immunitaires.
Pour le Pr Sean Mackey (Université de Stanford), la conclusion est claire : « Les différences entre hommes et femmes ne sont pas seulement quantitatives mais qualitatives : ce sont des schémas de câblage totalement différents. »
Vers une médecine de la douleur plus personnalisée
Ces résultats ouvrent une piste essentielle : adapter la prise en charge en fonction du sexe. En France, la Haute Autorité de Santé (HAS) insiste sur l’importance d’une évaluation personnalisée de la douleur, qui ne se limite pas à une simple échelle numérique, mais intègre le contexte biologique, psychologique et social.
À l’avenir, mieux comprendre ces différences pourrait permettre de proposer des traitements antidouleur plus ciblés, d’éviter les biais de diagnostic (par exemple, la douleur des femmes a longtemps été sous-estimée en médecine), et d’améliorer la qualité de vie de millions de patients.
À SAVOIR
Une méta-analyse publiée en 2022 dans Pain a montré que les femmes rapportent plus souvent des douleurs après une chirurgie que les hommes, alors que ces derniers reçoivent généralement des doses plus élevées d’antalgiques.
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