Des griffes de l’ours s’envole une armada de drones Shahed (ou Geran). Sans nul doute en direction de l’Europe. The Guardian Weekly a fait le choix de consacrer la couverture de son édition du 3 octobre à la nouvelle menace que fait peser la Russie sur ses voisins européens, alors que les vols de drones suspects dans les espaces aériens de pays membres de l’Otan se multiplient. Après la Pologne, la Roumanie et le Danemark, c’est au tour de l’Allemagne et de la Belgique d’en signaler.

L’Estonie. L’Estonie. Courrier international

Pour illustrer cette menace, l’édition hebdomadaire du grand quotidien londonien a dépêché un de ses reporters à Narva, en Estonie, “sur la ligne de front de la guerre hybride russe contre l’Europe”. Quelques jours plus tôt, trois Mig russes étaient entrés dans l’espace aérien du pays Balte avant d’être escortés par des chasseurs italiens jusqu’à l’enclave de Kaliningrad. “L’incursion russe dans l’espace aérien estonien et son implication présumée dans les survols de drones constituent certes un test pour l’Otan mais, ici, elles représentent aussi quelque chose de plus.”

À savoir un test pour l’unité du pays, qui abrite toujours de vastes communautés russophones. C’est le cas à Narva, qui est plus proche de Saint-Pétersbourg que de Tallinn et où “98 % des 53 000 habitants sont d’abord russophones”. Or les Estoniens se rendront aux urnes, le 19 octobre, pour des élections municipales. À Narva, séparée par une rivière de 100 mètres de large de la Russie, les divisions au sein de la population sont profondes, constate le journaliste du Guardian. Et attisées par “les provocations russes”, comme le déplore Egert Belitsev, à la tête des gardes-frontières estoniens.

Dirigeables, migrants, brouillage GPS

Parmi elles, liste le Guardian, “des dirigeables de surveillance surgissent dans le ciel, des demandeurs d’asile suivis par des gardes-frontières russes équipés de caméras ont été dirigés sur le pont [qui sépare les deux pays] (puis repoussés par les gardes estoniens), les signaux GPS ont été brouillés, les bouées dans la rivière délimitant la frontière ont été retirées”.

“C’est pour semer la pagaille, pour voir comment nous réagissons”, estime Egert Belitsev.

“Jusqu’où sommes-nous prêts à aller ? Que sommes-nous capables de faire ?”

Chaque réaction des autorités estoniennes est présentée par les propagandistes du Kremlin comme étant militariste, belliqueuse et une atteinte aux droits des russophones de Narva, reprend le Guardian. Le ministre de l’Intérieur Igor Taro explique que, depuis l’invasion de l’Ukraine, son gouvernement s’échine à faire barrage à l’influence russe dans le pays.

Une loi a été adoptée pour fermer les écoles russophones d’ici à 2030. Quelque 400 monuments soviétiques ont été déboulonnés. Une loi visant à séparer l’Église orthodoxe russe d’Estonie du patriarcat de Moscou a été adoptée en avril. Fin septembre, un habitant de Narva a été condamné pour espionnage au profit du FSB.

Le gouvernement estonien a tiré les leçons de l’expérience ukrainienne, où des militants politiques ont servi de fer de lance dans les républiques séparatistes de Donetsk et de Louhansk, souligne Igor Taro. “C’est ce que nous essayons d’éviter ici. Ils essaient de faire pareil. Ils préparent le terrain, dans la guerre de l’information et dans tous les domaines, mais nous prenons les mesures nécessaires pour les en empêcher.”