Il y a trois ans, il arrivait à peine à dépasser les 3 % d’intentions de vote. Depuis, sondage après sondage, il monte. Le dernier en date, mené par YouGov et publié le 26 septembre dernier, accorde à son parti Reform UK 311 sièges à la Chambre des communes en cas d’élection prochaine. Pour obtenir une majorité, il ne lui en faudrait que 15 de plus. Un autre sondage, réalisé par le think tank More in Common auprès de quelque 20 000 personnes, assurait tout récemment qu’il pourrait être élu Premier ministre avec 373 députés si les élections avaient lieu prochainement. Pourtant, pour l’instant, Nigel Farage ne compte que cinq députés de son parti au Parlement.

Ce score hypothétique (les élections générales ne se tiendront pas avant 2029) est historique, quand on connaît le bipartisme qui a toujours régi la vie politique britannique, traditionnellement divisée entre les travaillistes et les conservateurs. Pour Luke Tryl, directeur du laboratoire d’idées et d’action More in Common, qui s’est confié auTimes, « Nigel Farage a complètement bouleversé la carte politique britannique ». Et d’ajouter : « De seulement cinq sièges lors des dernières élections, notre sondage suggère que, lors des élections de demain, son parti obtiendrait une majorité proche de 100 sièges. Dans le même temps, le Parti travailliste passerait d’une majorité à trois chiffres à un niveau historiquement bas, inférieur à 100 sièges, et les conservateurs perdraient leur importance politique. »

En cause : une focalisation sur certaines thématiques, comme les « échecs perçus en matière d’immigration » ou le coût de la vie, qui ont compromis le début de mandat du Parti travailliste. D’après un autre sondage, réalisé par More in Common, 33 % des Britanniques citent l’incapacité à stopper les bateaux de migrants comme le principal échec du gouvernement actuel, suivie par son inaptitude à régler le coût de la vie (29 %).

Populiste d’extrême droite

Car Nigel Farage a trouvé en ce qu’il considère être comme « le fléau de l’immigration » la racine de tous les maux. Persuadé que l’Angleterre est victime d’une « invasion » par celles et ceux qui traversent la Manche sur des bateaux pneumatiques, il assurait encore le 26 août, lors d’un discours, que le pays n’était « pas loin de troubles civils majeurs ». Au Daily Telegraph, il martèle : « Il n’existe qu’une seule façon d’empêcher les personnes d’entrer illégalement au Royaume-Uni, c’est de les détenir et de les expulser. » S’il était élu Premier ministre, il expulserait « entre 500 000 et 600 000 » demandeurs d’asile grâce à des mesures drastiques.

En conférence de presse, l’homme politique a étalé ses pistes pour y parvenir : construction de centres de détention d’une capacité de 24 000 captifs (qui y resteraient de manière permanente et irréversible jusqu’à leur expulsion), utilisation de 2 milliards de livres (environ 2,3 milliards d’euros) d’argent public pour encourager certains pays à accepter de récupérer leurs ressortissants…

Il prévoit également de sortir de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) pour s’affranchir du droit international, mais aussi de « désappliquer » la convention relative aux réfugiés, la convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, la convention des Nations unies contre la torture et le pacte international des Nations unies relatif aux droits civils et politiques.

Ce n’est pas tout : Nigel Farage mise également sur une loi spéciale, l’Illegal Migration Mass Deportation Act, qui pérenniserait ses politiques en matière d’immigration au-delà de son (éventuel) mandat – en créant purement et simplement l’obligation, pour tout ministre de l’Intérieur à venir, de renvoyer les migrants clandestins, et ce, quelles que soient ses convictions politiques.

Pas assez radical pour Musk

Des discours qui infusent dans la société britannique : tout l’été, la vague anti-immigration, lancée après qu’un demandeur d’asile a été inculpé pour des agressions sexuelles, a déferlé sur Londres et sur l’Angleterre. « Keep Britain white. Keep Scotland white », « Stop the boats », « Enough is enough »… Aux slogans univoques se sont ajoutés les drapeaux anglais et la croix de saint Georges.

L’été dernier, le pays s’était aussi embrasé au cours d’émeutes racistes. Le tout, poussé par Reform UK, et d’autres partis, comme Homeland, Patriotic Alternative ou encore le British National Party. Mais aussi par le gouvernement travailliste actuel, qui, pour contrer la montée de l’extrême droite, joue sur son terrain et réprime de plus en plus durement l’immigration – ce jeudi 2 octobre, Keir Starmer a annoncé un plan pour mettre fin à un mécanisme permettant aux membres des familles de réfugiés déjà installés dans le pays de les rejoindre.

Pourtant, l’homme, souvent présenté comme le « Trump britannique », n’est pas suffisamment radical aux yeux d’un certain Elon Musk. Sur X, le patron de Tesla tweetait le 26 août que « Farage est un faible qui ne fera rien ». L’entrepreneur parie plutôt sur Advance UK, émanation de Reform UK, soutenu par le militant d’extrême droite Tommy Robinson.

Allées et venues en politique

En captant et en amplifiant ces discours, Nigel Farage mise sur la Middle Britain, cette classe moyenne – et souvent propriétaire – des petites villes britanniques, modérée à conservatrice, attachée à l’ordre et à la stabilité. Un électorat qui le suit dans ses discours alarmistes anti-immigration, mais aussi sur le ralentissement de la croissance et également sur la réduction de la liberté d’expression et la prétendue montée de la censure.

Un électorat qui n’a pas toujours été fidèle à ce fumeur invétéré de 61 ans : Nigel Farage a, pendant de nombreuses années, entretenu une relation amour-haine avec la politique, qu’il a quittée un nombre incalculable de fois avant, toujours, d’y revenir. Celui qui a survécu à un accident d’avion est parvenu à tenir bon à quelque six dirigeants conservateurs. Ancien des services financiers de la City, où il fut courtier en commodités au London Metal Exchange, de passage par la banque américaine Drexel Burnham Lambert, puis par Crédit Lyonnais Rouse.

Membre du Parti conservateur, il le quitte en 1992 en raison du soutien de celui-ci au traité de Maastricht sur l’Union européenne. L’année suivante, en 1993, il cofonde le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (Ukip), formation europhobe et anti-immigration. Sous cette bannière, il est élu au Parlement européen en 1999, 2004, 2009 et 2014. En 2006, il devient président de l’Ukip avec 44 % des voix, sur la promesse d’en faire un véritable parti d’opposition traitant également des sujets nationaux. Il quitte le groupe en 2009, puis le réintègre en 2010. En 2016, il quitte de nouveau l’Ukip pour fonder le Parti du Brexit, puis, finalement, Reform UK.

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En 2015, les fonds spéculatifs commencent à s’intéresser au personnage et à le financer. Un document interne de l’Ukip le reconnaît alors : « La clé de notre succès financier, c’est l’industrie des hedge funds. » Le parti populiste parvient même à dépenser davantage que l’opposition travailliste lors des élections européennes, qu’elle avait remportées.

Bien qu’allant à l’encontre des valeurs de l’Ukip, qui se positionnait contre la City, ces financements des hedge funds étaient bien utiles à la formation. À l’inverse, les fonds spéculatifs, ce faisant, pariaient sur un détachement progressif de l’Union européenne, responsable à leurs yeux d’une trop forte réglementation les empêchant de spéculer sans limites.

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