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Prix Nobel de la paix : ERR, cette initiative soudanaise bien plus favorite que Trump
PRIX NOBEL – Il a beau forcer, Donald Trump n’est pas en bonne position pour obtenir le Nobel de la paix. Alors que la saison des célèbres récompenses s’ouvre lundi 6 octobre, les experts jugent les chances du président américain quasi nulles et privilégient la mise en lumière de causes oubliées.
Pour le directeur de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), Karim Haggag, « le comité Nobel devrait mettre l’accent sur le travail effectué par les médiateurs locaux et les artisans de la paix sur le terrain. Ce sont des acteurs qui ont été oubliés dans de nombreux conflits oubliés du monde ». Il cite ainsi le Soudan, le Sahel ou la Corne de l’Afrique (Somalie, Éthiopie, Érythrée).
Et justement, même si la liste des candidats est confidentielle, les sites de bookmakers, consultés par Le Parisien, ont déjà leur favori : l’initiative soudanaise « Cellules d’intervention d’urgence » (ERR). Il s’agit de réseaux de bénévoles qui risquent leur vie pour nourrir et aider une population en proie à la guerre et à la famine.
Mobilisés sur la « pire crise humanitaire au monde »
Les ERR sont ainsi créditées de 28 % des votes sur Oddespedia et de 24 % sur Polymarket. En comparaison Donald Trump ne l’est que de 14 % sur Oddspedia, et seulement 4 % sur Kalshi et 3 % sur Polymarket.
Cette initiative soudanaise a déjà reçu le prix Rafto des droits humains le 17 septembre. Déjà l’un des pays les plus pauvres de la planète, le Soudan est ravagé depuis 2023 par une guerre meurtrière entre l’armée et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), les deux camps étant dirigés par des généraux qui se disputent le pouvoir.
Le conflit a fait des dizaines de milliers de morts, provoqué le déplacement ou la fuite à l’étranger de millions d’habitants et entraîné ce que l’ONU décrit comme la « pire crise humanitaire au monde » avec l’état de famine déclaré dans plusieurs zones et une épidémie de choléra qui touche particulièrement le Darfour.
« Maintenir la dignité humaine, là où règne la misère »
Dès les premiers jours des combats, un élan de solidarité s’est mis en place au sein d’une population privée d’État, d’infrastructures et de services de base pour gérer des cuisines communautaires, distribuer des colis alimentaires, organiser des évacuations et fournir une assistance médicale.
Héritier des comités de résistance qui ont participé à la révolution qui a mis fin au règne du dictateur Omar el-Béchir en 2019, le mouvement, baptisé Emergency Response Rooms (ERR) en anglais, regroupe des milliers de bénévoles.
Les ERR « sauvent des vies et maintiennent la dignité humaine, là où règnent misère et désespoir », avait souligné Ingrid Hoem Sjursen, la présidente du comité du prix Rafto. « Leurs initiatives innovantes d’entraide à travers la participation citoyenne contribuent au développement de la société civile et sont essentielles à la construction d’un avenir meilleur pour le Soudan », a-t-elle ajouté.
Dans un contexte de coupures de communication fréquentes et d’absence de journalistes sur le terrain, les ERR jouent également un rôle crucial dans la documentation des exactions contre les civils. Traités avec suspicion par les deux camps rivaux, certains volontaires ont été tués, violés, battus ou encore pillés, selon des témoignages recueillis par l’AFP.
Une « insulte à l’Amérique »
De son côté, Donald Trump affirme que ce serait « une insulte » faite aux États-Unis que de ne pas lui octroyer le Nobel de la paix, alors que Barack Obama l’a reçu en 2009. Mais sa ligne « L’Amérique d’abord » et son caractère clivant lui laissent peu d’espoir. « C’est totalement impensable » car il « est à bien des égards à l’opposé des idéaux que représente le prix Nobel », estime Øivind Stenersen, un historien spécialiste du sujet, interrogé par l’AFP.
« Le Nobel de la paix, c’est la défense de la coopération multilatérale, par exemple à travers l’ONU. (…) Or Trump représente une rupture avec ce principe car il suit sa propre voie, de manière unilatérale », ajoute-t-il. D’ailleurs, « Lla suspension du financement du Soudan par la nouvelle administration américaine a aggravé la situation humanitaire déjà précaire », a souligné Ingrid Hoem Sjurse.
Le président américain se targue d’avoir mis un terme à six ou sept guerres en autant de mois, un bilan que les experts considèrent comme très largement gonflé. « Le comité Nobel devrait évaluer s’il y a eu des exemples clairs de réussite dans cet effort de rétablissement de la paix », souligne le directeur de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), Karim Haggag, auprès de l’AFP.
338 individus et organisations en lice
Décerné le 10 octobre, le Nobel de la paix focalisera l’attention planétaire mais les coupes budgétaires du président américain dans la santé et la recherche aux États-Unis devraient alimenter les débats au moment de l’attribution des autres prix (médecine, physique, chimie, littérature et économie).
Parmi les autres favoris en compétition sur les sites de bookmakers, on retrouve également Ioulia Navalnaïa, la veuve de l’opposant russe Alexeï Navalny, mort en prison en février 2024, mais aussi l’UNRWA, organisation onusienne qui vient en aide depuis 1949 aux réfugiés palestiniens. Ceci malgré les accusations d’Israël à son encontre.
Des dizaines de milliers de personnes sont habilitées à proposer un nom pour le Nobel. Cette année, 338 individus et organisations sont en lice mais leur identité est tenue secrète. Le Nobel consiste en un diplôme, une médaille d’or et un chèque de 11 millions de couronnes suédoises (près d’un million d’euros).