RÉCIT – Le pianiste Julien Cohen a organisé un flashmob cet été dans le Ve arrondissement de la capitale devant des centaines de spectateurs. La vidéo cumule aujourd’hui plus de 550 millions de vues sur Internet.

Queen est intemporel. En juillet dernier, la place de la Contrescarpe, lieu prisé du Ve arrondissement parisien, a été enchantée par la douce et frénétique mélodie de Bohemian Rhapsody . Une trentaine de musiciens et de chanteurs se sont rassemblés dans le quartier latin pour y interpréter, à la surprise générale, ce titre culte composé et chanté par le fantastique Freddie Mercury dans les années 1970. Sur les réseaux sociaux, la vidéo, publiée début septembre, enregistre à ce jour plus de 555 millions de vues, faisant d’elle l’un des flashmob – un regroupement de gens (presque) spontané en public – les plus virales de tous les temps. « J’ai l’impression que le monde entier l’a vue, lance le pianiste Julien Cohen, 32 ans, à l’origine du projet. Jamais nous n’espérions rencontrer un tel succès. »

Bercé dès son plus jeune âge par le talent de violoniste de son oncle, mais aussi par le génie artistique de MozartBeethoven, Bach, Chopin et Brahms, le compositeur de musique classique est un habitué de ce genre de rassemblement. Depuis deux ans, le natif du Val-d’Oise partage sur ses comptes Instagram, Facebook, TikTok et Youtube des vidéos dans des gares, restaurants ou centres commerciaux où il joue quelques-uns des morceaux les plus célèbres du monde musical en public. « Avec Internet, on touche un public plus large, plus jeune et international, remarque-t-il. Le format a très vite rencontré un grand succès, car ça parle à tout le monde. Vous et moi nous baladons chaque jour dans des gares ou des supermarchés. »


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Gims l’a fait cette année en interprétant son single Ninao sur la place Vendôme aux côtés du pianiste Aurélien Froissart. Plusieurs centaines de chorégraphes ont donné vie à un quartier de Stockholm en 2009 en dansant sur le rythme du morceau Beat it de Michael Jackson. Même chose avec Beyoncé la même année à Londres. « C’est un format qui marche depuis des années et qui permet à des gens n’ayant pas l’habitude d’aller à des concerts de profiter d’un spectacle de quelques minutes en pleine promenade », explique Julien Cohen, dont le nombre d’abonnés dépasse aujourd’hui la barre des 25 millions sur les réseaux sociaux.

Entre 40 000 et 50 000 euros

À l’été 2024, le pianiste s’est associé à son frère violoniste pour réaliser son premier flashmob. Les deux hommes ont alors interprété le titre féerique Carol of the Bells, partition du compositeur ukrainien Mykola Dmytrovych Leontovych. « C’était encore très amateur, mais nous avons quand même cumulé plus d’une centaine de millions de vues », se rappelle-t-il. Comment faire mieux ? « Petit à petit, je rajoutais un ou deux musiciens pour créer un effet plus spectaculaire », explique Julien Cohen. Jusqu’à ce jour où le diplômé de l’université de Cambridge et de l’école de supérieure de musique et d’art dramatique de Hambourg a décidé de mettre en lumière sa passion pour la discographie de Queen.

Dès le collège, le compositeur s’amusait à reproduire les morceaux les plus populaires du groupe londonien. Parmi eux, le célèbre Bohemian Rhapsody. « À l’époque, je ne jouais que la partie au piano, mais je voulais pouvoir faire la chanson entière », confie-t-il. Le problème, c’est que ce projet nécessitait un investissement colossal, bien plus important que ses précédentes prestations devant la caméra. « C’est la plus grosse vidéo de ma vie, indique Julien Cohen. J’ai voulu réunir des dizaines d’artistes et j’ai dépensé beaucoup plus que ce qui était prévu. » Au total, la production, incluant la rémunération des musiciens et des solistes, mais aussi le prix du matériel, lui a coûté « entre 40 000 et 50 000 euros ». Un budget insoupçonnable, mais bien réel.

Queen – Bohemian Rhapsody  (1975)

Un dispositif XXL

Le compositeur voulait un rendu parfait. Les internautes sont très observateurs et très critiques. Il lui fallait donc s’entourer des meilleurs artistes. « Le plus important était d’avoir le bon chanteur capable de reprendre le grain de voix si particulier de Freddie Mercury », insiste-t-il. Julien Cohen a donc fait appel au Britannique Mickey Callisto, mis en lumière dans l’émission Britain’s Got Talent. « Je l’ai vu interpréter une chanson de Queen, se souvient-il. J’étais à côté de mon équipe, je leur ai dit “arrêtez tout, regardez, c’est dingue ce que fait ce gars”. » Puis, il fallait convenir du lieu idéal. À Paris, l’art de rue pose souvent ses pieds dans le quartier escarpé et sinueux de Montmartre. Le pianiste a d’abord opté pour la Place Jean-Marais dans le XVIIIe. N’ayant pas l’autorisation de la Mission cinéma pour s’y produire, il a jeté son révolu sur la place de la Contrescarpe, où jeunes et moins jeunes ont l’habitude d’aller boire un verre en terrasse. Ce quartier bénéficiait d’un avantage : sa forme circulaire.

Nous sommes allés frapper chez les habitants pour qu’ils nous prêtent leur fenêtre

Julien Cohen


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Cette disposition a donné l’idée à Julien Cohen de poster des musiciens aux fenêtres des bâtiments qui entourent le centre de la rue Mouffetard. Ils devaient être près d’une vingtaine à occuper ces emplacements pour y entonner des airs d’opéra. « Nous sommes allés frapper chez les habitants pour qu’ils nous prêtent leur fenêtre, raconte-t-il. C’était l’étape la plus délicate. Une femme âgée m’a ouvert sa porte. Nous avons parlé une dizaine de minutes, mais elle ne pouvait pas m’aider. Elle m’a conseillé de coller un petit mot dans le couloir de l’immeuble pour alerter les voisins. Elle m’a rappelé le lendemain. Sa voisine avait accepté et elle aussi. C’est ça l’esprit du flashmob. » Ce démarchage a duré deux semaines. Pendant ce temps-là, il lui fallait aussi réfléchir à la partie technique.

Pour cet événement, le pianiste voulait « monter en gamme ». Pas question de filmer avec un simple téléphone comme à son habitude. Là, de vraies caméras ont été utilisées. Certaines étaient disposées aux fenêtres, d’autres dissimulées sur la place. Un véritable jeu de cache-cache pour garder l’effet de surprise. Julien Cohen et ses équipes voulaient aussi créer quelque chose de grandiose. Ils ont imaginé « une arrivée triomphale » sur un carrosse pour le chanteur britannique, dans l’esprit de « Freddy Mercury qui mettait souvent des capes royales ». Un carrosse traîné par deux humains et non par le cheval initialement commandé, qui s’est blessé seulement cinq minutes avant le début du tournage. Les aléas du direct !

Le spectacle de rue réinventé

Cette immense mobilisation a suscité un engouement exceptionnel de la part du public sur place. « La plupart des gens ont aimé et ont dansé, se réjouit Julien Cohen. C’est venu à eux. Ils ne s’y attendaient pas. Ça dure cinq minutes, ils profitent et ils passent à autre chose. » Selon lui, le flashmob a réinventé le spectacle de rue. « Les quartiers de Paris sont magnifiques et nous y ajoutons du charme avec nos spectacles », argumente-t-il. Même si le pianiste comptait déjà plus d’une vingtaine de millions d’abonnés et plus d’un milliard de vues sur ses réseaux avant le Bohemian Rhapsody, il assure qu’il reste son contenu « le plus viral ». « Nous avons eu 100 millions de vues en un jour, je pense que c’est une première sur Instagram », remarque-t-il.

Après ce succès, la question de la suite s’impose. Julien Cohen confie avoir reçu de nombreuses propositions pour réaliser d’autres flashmobs dans des villes ou des grands événements. « J’examine, je réfléchis, mais pour l’instant je veux juste continuer à faire la même chose dans ma philosophie », explique-t-il. Et quid d’un disque ? Ce sera probablement la prochaine étape pour le pianiste qui rêve de composer un mix inspiré des musiques de ses artistes préférés.

Des centaines de personnes se sont rassemblées sur la place de la Contrescarpe, à Paris, en juillet dernier, pour assister au flashmob de Julien Cohen.
Julien Cohen