Il peut aussi bien jouer Bernard Tapie pour Netflix ou Don Juan à la Comédie Française qu’un voisin psychopathe chez Paul Verhoeven ou un comédien qui tente de monter Antigone en pleine guerre du Liban dans Le Quatrième Mur.
À 52 ans, il est devenu une figure majeure du théâtre et du cinéma français, aussi à l’aise dans la comédie que dans le drame, sur les planches que devant et derrière la caméra. Le grand écart lui va si bien.
Ce jeudi, pourtant, il était simplement Laurent Lafitte, dans le bar Le Versailles de l’hôtel Negresco à Nice qui accueillait notre rencontre lecteurs, organisée dans le cadre du 7e festival Cinéroman. Avec sa bienveillance, sa patience et son humour corrosif.
« Vous avez séché un cours pour venir parler avec moi ? En termes d’élévation, vous allez y perdre ! », lance-t-il à Ava, étudiante en philosophie.
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Il y avait aussi Annie-Martine, Véronique, Jacqueline, et trois Dominique (un gars, deux filles) pour le questionner, avec précision et intérêt.
Pendant près d’une heure, le comédien a parlé des rôles qu’il a habités, de ses projets, de son enfance « très joyeuse ». « J’aimais bien faire le show. Attirer l’attention. » Déjà, un certain sens de la comédie, amplifié par un intérêt pour les films qu’il voyait à la télévision.
« Mon père avait une fascination pour les acteurs américains des années 30, 40. Les Cary Grant, Humphrey Bogart, Clark Gable, James Stewart… Je pense qu’il a sûrement rêvé d’être acteur sans jamais oser le formuler. Mais il m’a transmis, ça. Et j’avais envie de prendre part à ces aventures que je voyais dans les films. C’était presque plus un désir d’aventure. Comme si les personnages existaient. Comme si les histoires existaient vraiment. J’avais peur de l’ennui très jeune. Le cinéma pouvait compenser ça »
Et le cinéma, tout comme le théâtre, le font de la plus belle des manières, en offrant une palette de personnages variés à Laurent Lafitte.
« Peut-être que le rôle qui me ressemble le plus, c’est Don Juan, [qu’il a d’ailleurs joué en juin 2023 à Nice]. Pas dans son côté compulsif dans la séduction, mais dans son côté cynique et cartésien, quoi. Et pour ne pas être complètement cynique, il a pas mal d’humour. »
« Ma version de Tapie »
Sa ressemblance avec Bernard Tapie avait aiguillé Tristan Séguéla, réalisateur dans son choix de casting pour la série Tapie, présentée en avant-première à Canneséries. Mais l’acteur n’a pas voulu faire un copier-coller pour ce rôle.
« Je suis né en 1973. J’ai grandi avec lui. Je l’avais tellement en tête. Je me suis dit qu’il y avait deux options. Soit je compile toutes les archives qui existent. J’enregistre sa voix. Je l’imite. Et je vais être obsédé par le mimétisme. Soit je fais ma version de Tapie, qui va être un mélange de tout ce que j’ai en tête de lui. C’est l’option qu’on a choisie avec le réalisateur », retrace celui qui a été deux fois maître des cérémonies au Festival de Cannes.
Laurent Lafitte s’apprête à incarner bientôt le personnage de Zaza dans La Cage aux folles programmé en décembre 2025 au Théâtre du Châtelet à Paris et mis en scène par Olivier Py.
« Ce qui est bien et effrayant à la fois, c’est que tout le monde connaît le rôle créé par Michel Serrault, d’Albin/Zaza Napoli. »
Bientôt dans un film du réalisateur de « Quatre mariages et un enterrement »
La pièce sera adaptée de la comédie musicale de Broadway créée en 1983, elle-même inspirée de l’œuvre écrite par Jean Poiret en 1973. Harvey Fierstein, l’auteur du livret, et le compositeur Jerry Herman en ont fait un objet bien plus politique que la version française, défendant la cause des personnes LGBT. « Ça a plus de sens en 2025 de monter la comédie musicale que de remonter la pièce. Politiquement, artistiquement, et puis aussi parce que Serrault est tellement génial, indépassable dans la pièce, qu’autant monter une version vraiment différente de cette même histoire. »
Autre projet en approche, en attendant qu’on lui offre « un rôle de grand romantique » qui manque peut-être à sa palette, The Bitter End, un film sur Wallis Simpson, mondaine américaine devenue duchesse de Windsor après son mariage avec l’ancien roi du Royaume-Uni Édouard VIII.
Dans cette réalisation de Mike Newell (Quatre mariages et un enterrement, Donnie Brasco), Laurent Lafitte campe le walker, l’homme de compagnie de la duchesse, qui passa ses dernières années à Paris. « J’ai aimé travailler avec Mike Newell. Il dirige à l’anglaise, en subtilité, en psychologie. Par exemple, il ne vous demandera jamais rien directement, mais dira ‘‘je ne sais pas s’il faut que cette scène soit jouée vite, mais en tout cas, je suis sûr qu’il ne faut pas qu’elle soit jouée lentement.’’ Je crois que c’est ainsi qu’il faut diriger les acteurs, en trouvant le moyen d’obtenir les choses sans les demander. »
Le cinéma, le théâtre… et « les crevettes »
Alors, théâtre ou ciné ? Difficile de trancher… Au fil de la conversation, l’un de nos intervieweurs/lecteurs a voulu savoir sur quel pied Laurent Lafitte préférait danser. Être devant la caméra ou brûler les planches ? Notre homme a choisi une manière assez imagée et gourmande pour illustrer son propos, sans se prononcer totalement.
« J’ai enfin une réponse à cette question, une réponse un peu bizarre. Vous avez les gens qui décortiquent une crevette et qui la mange. Puis vous avez ceux qui décortiquent toutes les crevettes, pour les manger toutes d’un coup ensuite. Il y a deux écoles. Pour moi, le cinéma, c’est une crevette l’une après l’autre et le théâtre, c’est toutes les crevettes décortiquées en même temps. »
Les temps forts de Cinéroman ce vendredi 3 octobre
– 15 h au Théâtre L’Artistique, table ronde avec tout le jury (Sandrine Kiberlain, Danièle Thompson, Justine Lévy, Alice Taglioni, Vassili Schneider, Sayyid El Alami, Pierre Deladonchamps) autour du thème Lire avant de voir ?
– 16 h 30 à L’Artistique, rencontre avec l’écrivain Philippe Besson et lecture de son roman Un garçon d’Italie par les comédiens Rod Paradot, Benoit Solès et Carla Muys.
– 18 h 30, projection de la nouvelle série Canal + Les Sentinelles au Pathé Gare du Sud.
– 19 h 30, avant-première de L’Âme idéale d’Alice Vial, avec Jonathan Cohen, Jean-Christophe Folly, Anne Benoit et Soufiane Guerrab.
– 20 h, avant-première de La Femme la plus riche du monde de Thierry Klifa, avec Isabelle Huppert, Laurent Lafitte, Marina Foïs et Raphaël Personnaz.
Programme complet et réservations sur festival-cineroman.com