Par

Thomas Rideau

Publié le

5 oct. 2025 à 14h18

Que va devenir le foyer Moïse ? Le sujet a marqué la vie locale rouennaise ces derniers mois avec une opposition – plus ou moins frontale – entre les résidents et la mairie de Rouen (Seine-Maritime). Jeudi 3 octobre 2025, une délibération devait être votée au conseil municipal pour acter la destruction des lieux avant de disparaître. Où en sommes-nous un an après ?

« Une autre façon d’habiter »

Quand on demande aux différents acteurs, c’est peu de dire que le son de cloche est différent. Pour rappel, le foyer Moïse est un immeuble, dans les quartiers ouest de Rouen, qui borde la rue du même nom. Rouen Habitat en est propriétaire et la gestion est assurée par l’association Coallia, depuis septembre 2021.

Si le bâtiment en lui-même est une œuvre d’art, d’après l’architecte Stany Cambot, c’est surtout ce qui se passe à l’intérieur qui mérite le coup d’œil et le fait qu’il ne soit pas démoli, assurent l’association Échelles Inconnues et les résidents rencontrés par 76actu.

Des travailleurs migrants venus du Sénégal et de Mauritanie vivent entre les murs du 14, rue Moïse depuis 1969. Et au fil des années, les habitants ont plié les murs pour que le foyer s’adapte à leurs usages. Salle de vie commune, place du village au deuxième étage, cuisine commune… « Une autre façon d’habiter », résume Stany Cambot, le fondateur du groupe d’architectes et artistes Échelle Inconnue, qui a pris fait et cause pour la conservation du foyer. Lui, veut mettre en avant « l’innovation sociale » liée à « l’histoire de l’immigration qui a reconstruit Rouen ».

La préfecture atteint le signal de la ville pour entamer la destruction

Stany Cambot prend ses yeux d’architecte pour montrer son amour des lieux : « musicalité », « ensoleillement », « espace excédentaire »… « Dès le début, Robert Génermont [l’architecte] a pensé ce lieu comme un foyer au sens premier du terme. »

Une église contre une mosquée

Dès le départ, une mosquée est prévue dans les plans, et c’est même le président de la Mauritanie qui est venue l’inaugurer dès 69. Et pour l’anecdote, la construction de cette mosquée est en réalité l’objet d’« un échange », car, dans le même temps, une première église sera construite à Nouakchott, la capitale de la Mauritanie (où il n’y avait pas d’église).

Le problème, c’est que le lieu est en perdition. Plus qu’une quarantaine de personnes vivent entre les murs de l’établissement la semaine et surtout le foyer est dans un état déplorable. Voire insalubre. Échelle Inconnue et les résidents se sont remontés les manches et organisent régulièrement des « gestes » pour entretenir les lieux. Un immense ménage, une officialisation d’associations en préfecture, la pose de plaque… D’autant plus que, dans le même temps, les architectes d’Échelle Inconnue planchent sur un grand projet de réhabilitation.

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On en est où ?

« Ils ont voulu aller très vite », pense Stany Cambot en faisant référence aux élus de la Ville de Rouen et à la délibération finalement retirée au dernier moment en octobre 2024. Une réunion avec les résidents et le maire, Nicolas Mayer-Rossignol a eu lieu pour mettre à plat le sujet. Démolition ou réhabilitation ? L’élu n’a pas voulu trancher et à demander, selon Valentin Rasse Lambrecq, conseiller délégué, à la préfecture de statuer. « On est toujours dans l’attente du retour de la préfecture », note-t-il d’ailleurs.

« Les logements sont indignes. On ne peut pas laisser des personnes vivre dedans », confie tout de même le conseil municipal délégué qui évoque un « sac de nœuds réglementaires » mais assure qu’il y a eu des discussions avec les résidents. Alors ? destruction ou réhabilitation ? Pas de réponse.

Les services de la préfecture vont, d’abord, dans le même sens que la municipalité et constatent que « le bâtiment est très vétuste. Il présente des problèmes d’hygiène et de sécurité liés à la dégradation des matériaux et des équipements, à de nombreuses difficultés techniques et aux conditions d’occupation. Il comporte des matériaux amiantés. »

Une démolition estimée à 7,8 M€

Et pour la préfecture, on ne parle que de l’option démolition. Et on rappelle que des sommes d’argent importantes ont déjà été engagées dans le projet : « En 2024, l’État a délégué à la Métropole Rouen Normandie une enveloppe de crédits du Fonds national des aides à la pierre à hauteur de 1 727 250 €, représentant 22 % du prix de revient prévisionnel TTC de l’opération de démolition/reconstruction (7 775 831 €). »

Mais renvoi la balle à la collectivité en précisant que « les services de l’État restent à ce stade dans l’attente de la décision du conseil municipal de Rouen autorisant la démolition de ces logements, pour que la procédure puisse aller jusqu’à son terme ». Et la préfecture insiste : « L’engagement d’une procédure visant à déclarer le bâtiment insalubre relève en premier lieu du service communal d’hygiène et de santé, à qui il revient d’établir un constat d’insalubrité et de le transmettre au préfet qui peut alors prendre un arrêté préfectoral. »

Contamination aux Légionelles

D’autant plus qu’un nouveau problème touche la résidence. Celle-ci est concernée par une contamination par les légionelles. Une bactérie qui peut déclencher des maladies au niveau des poumons. La préfecture appelle à ce que des mesures soient prises. « En avril 2025, l’ARS a alerté le président de Rouen Habitat et maire de Rouen du fait de la situation de contamination qui perdure et de problématiques d’hygiène et de sécurité constatées. » Peut-être un nouvel argument en faveur d’une démolition ?

Mais pour Stany Cambot, cela montre surtout que la résidence est délaissée. « L’insalubrité du foyer Moïse est organisée », tacle-t-il. « Pas d’entretien », des couloirs entiers condamnés, une partie de la cuisine fermée… « On est dans un révisionnisme de la part des élus de Rouen », qui délaissent « un lieu de rayonnement de la communauté sénégalaise et mauritanienne » et un centre important « de l’histoire de Rouen ». Avant d’appeler à accepter des « manières d’habiter différentes ». Récemment interrogé à ce sujet, le maire de Rouen estime en substance que le gestionnaire de l’immeuble doit « mieux faire » et rappel qu’il est en attente d’une décision juridique pour définitivement pencher vers une destruction ou une réhabilitation.

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