Après deux premières saisons, aussi remarquées que controversées, consacrées à Jeffrey Dahmer et aux frères Menendez, la série d’anthologie Monstre, de Ryan Murphy et Ian Brennan, mise en ligne vendredi sur Netflix, aborde le cas Ed Gein.
Si son nom évoque moins de choses en France que celui d’un Charles Manson ou d’un Ted Bundy, celui qui fut surnommé « Le boucher de Plainfield », a marqué les annales de l’histoire criminelle des Etats-Unis. Il a tué deux femmes, est soupçonné d’avoir assassiné sept autres personnes – dont son frère –, et a profané plus d’une douzaine de sépultures. Entre 1944 et 1957, année de son arrestation, Ed Gein, a ainsi ramené dans sa ferme du Wisconsin treize cadavres de femmes, qu’il a mutilés, utilisant les peaux pour confectionner divers objets (abats-jours, chaises…) ainsi qu’une seconde peau, littérallement, qu’il n’hésitait pas à revêtir.
Ed Gein a influencé « Psychose » et « Massacre à la tronçonneuse »
Ed Gein a aussi inspiré Alfred Hitchcok pour Psychose, Tobe Hooper pour Massacre à la tronçonneuse et Jonathan Demme pour Le Silence des agneaux. Des criminels états-uniens, à commencer par Richard Speck, ont aussi revendiqué leur admiration envers lui, interprétant à leur manière ses crimes et motivations.
Dans le huitième et dernier épisode de la série Netflix, il est suggéré à Ed Gein, incarné par Charlie Hunnam (Queer as folk, Sons of anarchy…), d’écrire lui-même ses Mémoires, pour retracer son existence que beaucoup ont instrumentalisée, réécrite, transformée… « Assez de gens ont raconté mon histoire. Ils semblent la connaître mieux que moi », répond-il. Un reproche qui pourrait être adressé au scénariste Ian Brennan lui-même qui, pour Monster, s’octroie de grandes libertés et impose une vision toute personnelle du tueur.
La réflexion du Ed Gein de fiction désamorce également une partie des critiques qui pourraient être faites à la série. Certains aspects de cette interprétation libre nuisent au résultat final, à commencer par le traitement du personnage d’Adelina (Suzanna Son). Dans la réalité, celle qui fut la petite amie d’Ed Gein, a affirmé n’avoir pas eu connaissance de l’ampleur de ses agissements. Dans la fiction de Netflix, elle est présentée comme mue par une fascination macabre, une quête de reconnaissance publique et quasiment comme une complice silencieuse.
Les instincts voyeuristes du public
L’intérêt de la série réside surtout dans la manière dont elle traite de l’impact des crimes d’Ed Gein dans la psyché états-unienne, soulignant à quel point, plus de quarante ans après sa mort, il continue de hanter l’inconscient du pays. Les quatre premiers épisodes osent des allers et retours audacieux avec les tournages de Psychose et de Massacre à la tronçonneuse.
La série prend à ces moments-là une dimension meta en montrant dans quelle mesure l’industrie du cinéma (et, par extension, des séries), s’arrange avec la vérité des faits, se les approprie pour raconter, généralement, tout autre chose, et, in fine, utilise les horreurs survenues pour flatter les instincts voyeuristes de spectateurs avides de sensationnalisme. « Ils ne peuvent détourner les yeux », lance ainsi face caméra le Ed Gein de Netflix, brisant le quatrième mur pour confronter le public et l’interroger indirectement sur ce qui l’a poussé à appuyer sur « lecture ».
Monstre : L’histoire d’Ed Gein s’écarte donc du strict récit biographique pour évoquer la fascination universelle pour les « true crimes ». La série expose aussi une galerie de personnages de mères au niveau de toxicité variable : castratrice, désinvestie, mal aimante… Un propos qui peut faire tiquer par sa dimension simpliste relevant davantage de la psychologie de comptoir que du traité sociologique.
Ed Gein n’était pas trans
Autre élément sensible : la question du travestissement et de la transidentité qui parcourent l’ensemble des épisodes. Ed Gein, qui avait l’habitude de revêtir des sous-vêtements féminins et, comme cela a été évoqué plus haut, de mutiler des femmes pour entrer dans leur peau au sens propre (façon de parler), est présenté comme intrigué par Christine Jorgensen, dont la transidentité a été largement médiatisée dans les Etats-Unis des années 1950.
Le scénario s’aventure à la faire dialoguer avec Ed Gein et prend le soin d’affirmer que ce dernier n’était assurément pas trans et que les personnes trans sont bien moins autrices que victimes de crimes. Il n’empêche, à une période où les personnes trans sont l’un des boucs émissaires privilégiés des conservateurs états-uniens, il est possible de redouter que toute une partie de la droite et de l’extrême droite vienne à détourner le propos de la série pour la fondre dans son argumentaire discriminatoire.
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Si cela venait à se produire, outre les effets dévastateurs qui en découleraient, cela serait un nouvel exemple de la manière dont l’histoire d’Ed Gein n’a pas fini d’être instrumentalisée. Et que la série de Netflix fait ce qu’elle dénonce.