L’écrivain irlandais suit des coupables et des victimes. Prix du roman Fnac 2025.

Une île perdue de l’océan Atlantique. Quatre cents habitants. Une inconnue de 52 ans arrive pour séjourner dans un cottage isolé. L’eau est partout. La femme change de nom, coupe ses cheveux, écoute le silence, entame une liaison. Les personnages principaux des « Éléments » ont des points communs : la solitude, la fuite, la culpabilité. Le roman est composé de quatre parties : « Eau », « Terre », « Feu », « Air ». « Feu », la plus forte, met en scène une chirurgienne travaillant au service des grands brûlés d’un hôpital, et « Air », la plus faible, suit un père et son fils voyageant en avion depuis l’Australie. Un personnage secondaire dans une histoire devient un narrateur principal dans une autre. Le romancier John Boyne, né en 1971, à Dublin, traite de différents abus sexuels, sous de multiples angles. Il y a les victimes, les complices, les coupables.

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Dans « Eau », une mère de famille se reproche son aveuglement. L’île est située au large de la côte ouest de l’Irlande. Vanessa Carvin s’y installe temporairement pour tenter d’oublier la douleur d’une enfant suicidée et d’un mari incarcéré. Une famille brisée. Sa dernière fille, Rebecca, la bloque régulièrement sur sa messagerie vocale. Vanessa Carvin essaye de se reconstruire et se demande ce qu’elle n’a pas vu et ce qu’elle n’a pas fait : son mari se trouve à la prison des Midlands pour abus sexuel sur mineures. Dans « Terre », un footballeur professionnel devient complice du pire. Le jeune Evan Keogh travaille dans une ferme et aspire à devenir peintre. Il ne veut retourner sur son île à aucun prix. Après s’être prostitué, il gagne de l’argent comme star du football. Il est accusé d’avoir filmé une scène de viol. Comment en est-il arrivé là ?

Des nouvelles sombres et humaines

Dans « Feu », une chirurgienne de 36 ans abuse sexuellement de jeunes garçons. Le docteur Freya Petrus a un double visage. Elle incarne à la fois la probité professionnelle et la destruction humaine. Le romancier John Boyne est ici au sommet de son art. Ambiguïté, malaise, compréhension, abomination, complexité. Son style cloue sur place. Dans « Air », un psychologue pour enfants a subi un traumatisme durant son adolescence. Aaron Umber part avec son fils Emmet, âgé de 14 ans, rejoindre son ex-femme sur une île. Dans le portable de son garçon, il découvre des photos de ce dernier à moitié nu. Peut-être est-il temps qu’ils se parlent ? Son métier le lui a appris : « Je pense que ce qui nous arrive enfant détermine le genre de vie qu’on a par la suite. » Mais l’histoire d’« Air » se retrouve noyée sous un flot de bons sentiments, au point de frôler la niaiserie.

L’auteur du « Garçon en pyjama rayé » (2006) a écrit chaque histoire comme une nouvelle indépendante. Elles sont toutes traversées par de nombreuses questions : comment faire pour que les abusés ne se transforment pas en abuseurs ? Peut-on être tenu pour responsable de ses actes quand on a subi des sévices durant l’adolescence ? La vengeance est-elle un moteur comme un autre pour essayer de guérir ? La justice est-elle là pour apaiser les blessures intimes ? Les femmes et les hommes entrent ici en lutte avec un traumatisme ancien. À l’époque, ils n’avaient pas les armes pour se défendre. Le temps passe. Ils imaginent pouvoir se réparer eux-mêmes. Dans « Les éléments », certains vont vers la prison pendant que d’autres se dirigent vers la guérison. John Boyne veille à donner une morale à ses nouvelles sombres et humaines. Dans « Terre », une rencontre imprévue, à Londres, bouleverse l’ordre des choses : une victime et un coupable se retrouvent face à face. Tout se rejoue puis tout se joue.

« Les éléments », de John Boyne, éd. JC Lattès, 512 pages, 23,90 euros.

« Les éléments », de John Boyne, éd. JC Lattès, 512 pages, 23,90 euros.

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