Publié le
6 oct. 2025 à 18h32
; mis à jour le 6 oct. 2025 à 18h44
Trois mois après l’incendie survenu le 4 juillet 2025 au sein de la résidence CDC Habitat Adoma Paris La Chapelle, dans le 18e arrondissement, lors duquel Fousseynou Cissé avait sauvé six personnes en passant par la corniche, la situation des habitants de l’ensemble de logements sociaux du nord de la capitale reste toujours aussi intenable. En parallèle de l’emballement médiatique de l’été, durant lequel le Parisien de 39 ans a été décoré et les images du sauvetage ont abreuvé les réseaux sociaux, plusieurs sinistrés ont vécu l’enfer.
Trimballés dans des hébergements temporaires, certains ont été agressés ou ont dormi plusieurs nuits à la rue. Aujourd’hui encore, Fatoumata Drabo, la voisine qui vit en face de l’appartement emporté par les flammes en juillet, habite avec ses deux enfants un logement avec des murs noirs de suie et un air à peine respirable. « Les journalistes n’en avaient qu’après Monsieur Cissé, personne n’est monté ici. On nous a oubliés », confie-t-elle le regard humide dirigé vers sa fille de 21 mois. Plusieurs fois sollicités, la mairie et le bailleur se renvoient la balle. Pendant ce temps, chaque minute qui passe a des conséquences graves pour ces familles.
Air irrespirable dès la cage d’escalier
Une vingtaine de minutes entre les murs du logement de la famille Drabo suffisent pour que vos poumons s’encombrent et qu’une inquiétante sensation de brûlure s’y installe pour le reste de la journée, au moins. Il y a de grandes taches de suie aux murs et une marque au plafond qui témoigne de l’ancien emplacement d’un détecteur de fumée, désormais tout simplement retiré.
L’intérieur de l’entrée du logement des Drabo, situé en face de l’appartement d’où avait démarré l’incendie le 4 juillet 2025. (©AD / actu Paris)
Le traumatisme est, lui aussi, encore palpable. « Mon fils crie quand il voit du noir. Moi, j’ai développé une phobie de la fenêtre depuis le jour de l’incendie où j’y suis restée suspendue près d’une heure. Mais je n’ai pas le choix de tout ouvrir », poursuit la jeune femme assise sur le sol, à un jet de pierre de l’ouverture par laquelle les pompiers avaient pénétré le bâtiment le 4 juillet dernier.
« Mon fils crachait du noir »
Entre ses mains, elle tient une pochette bleue avec des dizaines de documents. Note sociale de l’école, rapport social, lettres de psychologue ou d’assistantes sociales… Un certificat rédigé par une médecin généraliste relate avoir reçu la fille Drabo, alors âgée d’un an et présentant « une surinfection bronchique qui pourrait être causée par le retour à domicile dans un logement où il y a eu un incendie ». Le document stipule que son « état de santé contre-indique le retour dans le logement ».
Fatoumata Drabo continue pourtant d’y vivre avec son fils et sa fille, faute d’une véritable solution de relogement. « Je suis asthmatique, mon fils crachait du noir… Après les mots du médecin, on a dormi plusieurs fois dehors, je fais en sorte que mes enfants restent le moins possible dans le logement, ils n’arrêtent pas de tousser. »
L’entrée de l’appartement ravagé par l’incendie le 4 juillet 2025. (©AD / actu Paris)
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Une voisine vivant au sixième porte un nourrisson de sept mois sous le bras : « Il n’y a pas une semaine qui se termine sans qu’on aille à l’hôpital. » Elle a freiné sa course devant la porte de l’appartement ravagé par l’incendie de juillet, qu’elle scanne du regard : « Le bailleur Adoma dit qu’ils ont fait des travaux… » Autour de la porte blindée installée à la place de l’entrée, elle observe les murs noircis, les fils électriques dénudés et les fissures profondes de la cage d’escalier.
Un fossé entre les actions menées et la réalité du quotidien des familles qui restent
« On a alerté Adoma, qui nous a dit qu’il fallait voir avec la mairie. On y est allé et, là-bas, on nous a rétorqué que les logements, ça ne se distribue pas comme des cacahuètes. La phrase m’a marqué », relate Fatoumata Drabo.
Contactée, la mairie nous assure pourtant suivre le dossier de près. « L’entretien du bâtiment est des logements, c’est la responsabilité du bailleur. Mais les éléments que nous pouvons communiquer, en lien avec Adoma, c’est que tous les locataires sont suivis, plante une responsable communication du cabinet du maire. Certains ont été relogés, d’autres vont l’être prochainement. Dès que nous sommes alertés, nous allons sur place pour vérifier que le logement est respirable, nous faisons des contrôles. Adoma a déjà mené plusieurs interventions et d’autres travaux vont être conduits bientôt ».
Liste des interventions réalisées par le bailleur (communiquées par la mairie)
• Décontamination du réseau VMC et de tous les logements (sauf un logement qui a refusé).
• Déblai de la cour
• Mesures conservatoires : bâche de protection sur la toiture-terrasse du commerce, sécurisation de trois fenêtres par planches, mise en sécurité électrique
• Pose du type 4, vérification de la VMC
• Réparation et remplacement de portes, protection du vitrage du logement 404
• Remplacement de 3 sirènes, 3 DM et 1 coffret CO₂
• Pose d’étais au logement 204 (18 juillet) suite aux préconisations du BET Structure PRATEC
• Campagne de sondages et rapport diagnostic structure.
• Changement de 10 cylindres.
• Sondage complémentaire avec le BE Structure.
• Purge et suppression de la colonne gaz.
Dans le même temps, l’histoire de ces « oubliés » est arrivée jusqu’aux oreilles d’Ayodélé Ikuesan, ancienne spécialiste du relais 4×100 m et aujourd’hui élue à la mairie du 18e, lors d’une permanence logement.
Celle-ci décide alors de se rendre sur place pour constater les dégâts. « J’avais contacté l’ARS, qui m’avait répondu qu’Adoma allait faire des travaux et que c’était désormais du ressort de la Drihl (Direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement). On me disait qu’on s’était saisi de l’affaire… », rembobine-t-elle auprès d’actu Paris. Sur place, le tableau est bien différent. « Je n’avais pas mesuré la gravité… C’est irrespirable, même quelques minutes. Eux y vivent. Avec des enfants en bas âge. Et personne ne s’en soucie… », poursuit-elle encore bouleversée.
Trois mois d’horreurs
Les résidents qui le pouvaient ont déserté les lieux, notamment ceux qui y vivaient en sous-location. Au deuxième, l’étage de l’incendie, il n’y a plus que les Drabo. « Après l’incendie, on nous a mis dans des logements avec des cafards, sans rien pour cuisiner, dangereux pour les enfants… », retrace Fatoumata Drabo, aux côtés de sa voisine du sixième. Elle a déposé une plainte au commissariat pour une agression subie lorsqu’elle logeait dans l’un de ces hébergements temporaires. Cette dernière a été classée sans suite.
En attendant de pouvoir réintégrer leur logement (ce qui est intervenu une semaine après l’incendie), les familles Drabo et Zawadi ont dormi à la rue. « Aujourd’hui, je demande juste un logement sécurisé pour mes enfants. Je prendrais la première demande », supplie Fatoumata Drabo. « Et pendant ce temps, ils continuent de prélever le loyer. Deux jours après l’incendie, le 6, ils nous ont prélevé », grince des dents sa voisine.
« Personne n’est monté ici »
Malgré un niveau de formation BAC + 2, la jeune mère de famille peine à travailler, notamment parce qu’elle a la charge des soins de son fils, atteint d’un trouble de la communication et qui, par conséquent, à quatre rendez-vous de suivi par semaine.
Vue depuis la cour de l’immeuble, après les « travaux » d’Adoma. (©AD / actu Paris)
« J’ai des revenus et j’ai des droits », lance-t-elle, en évoquant un traitement différent du fait de sa couleur de peau. Avant de conclure : « Personne n’est monté ici, à part madame Ikuesan. Les journalistes ont pris des vidéos en bas de Monsieur Cissé mais nous, qui dormions dehors, ça ne les intéressait pas. Fousseynou Cissé, non plus, n’a pas voulu nous aider. Aujourd’hui, il est de retour dans la résidence, avec son ancien travail. On est les oubliés de cette histoire. Qu’attendent-ils ? Qu’un de nos enfants meurt ? Ce que nous subissons est atroce. Ils ont tout qui en atteste, mais ça n’intéresse personne. »
Ce qui n’est, évidemment, pas l’avis du bailleur, celui-ci rétorquant « qu’à ce jour, tous les habitants ont pu réintégrer leur logement une fois décontaminé. Seuls deux appartements, les plus sérieusement sinistrés, doivent être rénovés. Adoma est en train de finaliser un appel d’offre pour mandater une entreprise qui aura la charge d’opérer, à la mi-novembre, les travaux structurels concernant ces deux appartements, ainsi que les parties communes et la façade. Les locataires ont été relogés temporairement en attendant de pouvoir regagner leur logement. Tous les autres habitats ont été décontaminés et les résidents ont pu les réintégrer, à l’exception d’un appartement dont les locataires refusent de donner lieu à la réalisation de cette opération. » Fatoumata Drabo enrage : « Venez juste passer une nuit ici et nous verrons. »
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