Bruno Le Maire et Bruno Retailleau, partageant la même scène à la Baule le 3 septembre 2016. Une époque plus que révolue.

JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP

Bruno Le Maire et Bruno Retailleau, partageant la même scène à la Baule le 3 septembre 2016. Une époque plus que révolue.

POLITIQUE – Faites disparaître ce Bruno que Bruno (l’autre) ne saurait voir. Le retour de Bruno Le Maire dans (feu) le gouvernement de Sébastien Lecornu n’a pas seulement surpris, il a ulcéré. Et pas uniquement dans les rangs de gauche et d’extrême droite. Au sein même du socle commun, la réapparition de l’ancien locataire de Bercy a été la goutte de trop pour Les Républicains, déjà divisés sur leur participation. Le navire a coulé avant qu’ils officialisent leur départ mais ils ne sont pas pour rien dans son sabordage.

La nomination de Bruno Le Maire aux Armées est restée secrète jusque dans les toutes dernières minutes. Bruno Retailleau reçu pendant « une heure et demie » selon ses dires à Matignon juste avant l’officialisation n’en a rien su. « Choix du président de la République », lui répond, selon RMC, Sébastien Lecornu, quand le ministre reconduit à l’Intérieur l’interroge sur le nom manquant de la liste gouvernementale. Quelques instants plus tard, alors que le secrétaire général de l’Élysée Emmanuel Moulin égrène la liste des ministres, le président de LR s’étrangle. Sébastien Lecornu « m’a caché qu’il y aurait la nomination de Bruno Le Maire », accuse-t-il ce 6 octobre au 13h de TF1.

Rien n’obligeait Sébastien Lecornu à prévenir Bruno Retailleau du retour de Bruno Le Maire et l’ancien sénateur le sait bien. Mais la présence de l’ancien ministre de l’Économie est urticante pour la droite et Bruno Retailleau se sait sous pression en interne. Au point de sacrifier ce qu’il restait du « socle commun ».

« Symbole » du dérapage budgétaire

Sur TF1, Bruno Retailleau assure ne « pas du tout » se sentir responsable de la démission du Premier ministre. Pourtant, c’est bien sa désolidarisation publique sur X après l’annonce du gouvernement qui a poussé le Premier ministre à jeter l’éponge avant même sa déclaration de politique générale, rapporte Le Parisien. « C’est fini. Avec ce que vient de faire Retailleau, je ne peux pas rester », aurait-il confié à son entourage dimanche soir. En public, Sébastien Lecornu se contentera d’un tacle discret : « Il faut toujours préférer son pays à son parti », lâche-t-il à l’attention du Vendéen, soupçonné en Macronie d’avoir claqué la porte faute d’avoir été en capacité de faire rentrer plus de LR gouvernement.

L’ancien sénateur dément tout calcul. Mais pour ne pas être tenu pour responsable de la chute du gouvernement moins de 24 heures après sa nomination, le patron de LR avance deux arguments. Celui de « la confiance » tout d’abord, dans un contexte politique où LR se présente comme le soutien indispensable d’un gouvernement privé de majorité sans leurs voix, que ce soit à l’Assemblée nationale (où elle ne reste que très relative) comme au Sénat. « Quand on est dans une équipe, on a besoin de confiance », martèle Bruno Retailleau, oubliant que celle-ci, surtout en politique, est censée être réciproque. Ce qui ne saute pas aux yeux lorsqu’on se penche sur ses multiples déclarations décrétant la fin imminente du macronisme.

Lecornu, dommage collatéral du retour de Le Maire

Le second consiste à renvoyer Sébastien Lecornu à sa promesse initiale. « Le Premier ministre voulait cette rupture. Et on se retrouve avec un gouvernement où il y a le retour » de Bruno Le Maire, justifie Bruno Retailleau… Un argument qui ne manque d’audace de la part de celui qui a enchaîné les gouvernements Bayrou et Barnier. Mais, assure-t-il, ce n’est pas tant la « personne » de Bruno Le Maire qui pose problème que son bilan à Bercy. « Je ne connais pas sa vraie responsabilité dans les plus de 1000 milliards d’euros de dette mais il y est associé, il le symbolise », lâche le patron de la droite.

L’argument principal des Républicains est posé. En 2024, le déficit budgétaire, initialement annoncé à 4,4 % du PIB puis à 5,1 % , a finalement été révisé à 6,1 %. L’écart est colossal (près de 50 milliards d’euros) et la classe politique s’interroge : dans le contexte des européennes, Bruno Le Maire, sous pression d’Emmanuel Macron, aurait-il sciemment caché la vérité ? Selon plusieurs enquêtes, dont une du Nouvel Obs, le ministre n’a pas tenu compte des alertes de son administration. Auditionné dans le cadre d’une mission d’information sénatoriale, Bruno Le Maire avait balayé les critiques et s’était élevé contre les « attaques » et les « mensonges » qu’il subit selon lui depuis « des mois », y compris venant de son ancienne famille politique.

« Ma décision de rejoindre le gouvernement a été prise uniquement par esprit de mission, dans des circonstances géopolitiques graves, pour servir la France et les Français. Je constate que ma décision provoque chez certains des réactions incompréhensibles, fausses et disproportionnées. Aucune situation individuelle ne doit bloquer le bon fonctionnement du pays et de nos institutions », a dénoncé Bruno Le Maire sur son compte X, annonçant qu’il démissionnait de ses (éphémères et limitées) fonctions de ministre démissionnaire.

Sept ans après son ralliement à Emmanuel Macron, la rupture est consommée entre LR et l’ancien candidat à la primaire de la droite. Victime collatérale de ce divorce : Sébastien Lecornu. « On ne peut pas être Premier ministre lorsque les conditions ne sont pas remplies », a tranché celui qui devenu le ministre le plus éphémère de la IIIe, IVe et Ve République.