« Comment, après avoir vu ce film, vous pouvez inviter quelqu’un qui soutient le gouvernement israélien ? C’est honteux ! » Les lumières ont à peine été rallumées, dans l’amphi A du Cardo, que la réprobation s’impose, par la voix d’une étudiante bouleversée, dans ce qui devait être un échange sur le documentaire No Other Land. C’est avec la projection de ce film oscarisé, témoignage glaçant de la colonisation en Cisjordanie, que s’est ouvert ce lundi le « Forum pour la paix » proposé par la direction de Sciences Po Strasbourg. Objectif de cette initiative : (re) faire de cet établissement, très marqué par plusieurs blocages et la polémique sur le partenariat avec l’université israélienne Reichman , « un espace de discussion pluraliste », « un espace pluridisciplinaire ouvert à la tolérance et à la complexité de ce monde » et « le lieu de la confrontation argumentée et organisée des points de vue », expose le directeur Emmanuel Droit. En l’occurrence, ce lundi, la confrontation des points de vue n’a pas eu lieu : l’étudiante a quitté les lieux en trombe.
L’invitation d’Eric Danon perçue comme un « outrage »
Pour elle comme pour bon nombre d’étudiants de Sciences Po, la conférence annoncée, jeudi 9 octobre, de l’ancien ambassadeur de France en Israël est vécue comme une provocation. Un « outrage », selon Stéphane, élu du syndicat Alternative étudiante Strasbourg (AES). « On est en plein délire », a-t-il fulminé ce lundi à l’issue de la projection.
Outre cette dernière, le « forum » prévoit également les interventions de l’écrivain franco-marocain Rachid Benzine – dont le dernier roman retrace l’Histoire du peuple palestinien – et celle de Hala Abou Hassira, ambassadrice de Palestine en France, mais le nom d’Eric Danon ne passe pas. Plus précisément, c’est l’extrait vidéo d’une minute environ de l’une de ses récentes interventions qui ne passe pas. L’ancien diplomate y dit être prêt à « assumer publiquement » « 50 ou 60 000 morts à Gaza » si l’éradication du Hamas s’en trouvait assurée. « C’est pas facile d’assumer, parce que c’est immoral, mais c’est éthique s’il y a un résultat concret qui permet d’éviter la guerre suivante » : échangée sur les réseaux sociaux, cette phrase en particulier a suscité l’indignation. « On nous promet l’apaisement mais là on n’est pas du tout dans l’apaisement. Tout le monde est tendu par cette invitation unilatérale qui remet de l’huile sur le feu », estime Simon Levan, élu étudiant du conseil d’administration de Sciences Po Strasbourg.
« Pas un institut d’émotion politique »
Ces dernières années, des rencontres prévues avec Alain Juppé, Thierry Pflimlin (Total Energies) ou Élisabeth Borne ont dû être annulées ou délocalisées face à la mobilisation étudiante. « Il faut que l’on puisse discuter avec toute une série de personnes, notamment celles qui ont à un moment été des voix de la France », a fait valoir auprès des étudiants le directeur Emmanuel Droit ce lundi. « La mission pédagogique de notre institut, c’est de confronter les opinions les plus contraires. Eric Danon, vous allez l’entendre, venez lui parler et confronter vos idées avec cet ancien ambassadeur », invitait-il encore.
« J’entends la colère et l’émotion des étudiants par rapport au drame humanitaire de Gaza, dit-il en aparté. J’entends aussi leur volonté de se saisir de ces questions. Mais ils doivent le faire de manière que l’on puisse avoir un débat apaisé et serein. Nous sommes un institut d’études politiques, pas un institut d’émotion politique. »
Ce lundi en fin de journée, 25 organisations syndicales et politiques alsaciennes appelaient à un rassemblement devant l’établissement ce jeudi, date de la venue d’Eric Danon.