Donat-Jean M. entre dans la salle d’audience vers 9h20 et Cédric Jubillar se raidit. L’accusé de 38 ans s’agite dans son box, il souffle. A quelques mètres de lui se tient à la barre, face à la cour d’assises du Tarn, celui qui fut l’amant de son épouse, Delphine Aussaguel-Jubillar, de l’été 2020 au 15 décembre la même année, lorsque l’infirmière de 33 ans a disparu. C’est la première fois que les deux hommes se découvrent.
« La relation a été courte, c’est un fait : elle a duré quatre mois et demi », pointe l’intéressé à la barre, chemise bleu ciel, cheveux bruns coupés ras, lunettes rectangulaires. « Mais je peux vous assurer que c’était la première fois de ma vie que je me suis dit que j’allais rester toute ma vie avec quelqu’un », souligne-t-il. Donat-Jean M. s’agrippe à la barre, croise les bras, s’avance, recule. Lui aussi est tendu, ce lundi 6 octobre.
Le public n’a jamais été aussi nombreux depuis le début du procès : les premiers curieux sont arrivés dès 3h30 du matin. Une part de mystère entoure cet homme de 44 ans, expert automobile. « L’amant, ça fait un peu personnage de roman bourgeois », relève Laurent De Caunes, avocat de l’un des frères de Delphine Aussaguel-Jubillar. C’est par cette unique dénomination qu’il est présenté depuis des années dans les médias : tout au long de sa déposition, Donat-Jean M. fait d’ailleurs souvent référence à des éléments sortis « dans la presse », comme pour reprendre possession de son histoire.
Elle ressemble à tant d’autres récits de relations adultères : le couple qu’il formait depuis onze ans avec son épouse, Cathy M., était arrivé « au bout du chemin », selon lui. L’homme, qui approche de la quarantaine, a envie de partir, mais a besoin de se donner « la franche conviction » qu’il fait le bon choix en s’inscrivant sur des sites de rencontres. « Une bêtise », reconnaît-il. Le coup de cœur avec Delphine se fait d’abord par écrit. Très vite, une rencontre s’organise au bord d’un lac, dont il a oublié le nom. « Ça a ‘matché’ tout de suite : c’était une vraie histoire d’amour », souligne-t-il à la barre.
« On dit toujours dans la vie qu’il y a deux virages : un à 20 ans, un à 40 ans » : les deux amants comptent bien « profiter » du deuxième après avoir « épuisé [leur] capital patience dans le couple ». Ils se voient « le plus souvent possible », « au moins deux fois par mois », dans des hôtels, « à l’abri des regards ».
« Vous vous écriviez beaucoup de messages », note la présidente. « Beaucoup, c’est un euphémisme », rétorque le témoin, qui évoque des centaines de SMS par jour. Ils passent régulièrement « plus de quatre heures au téléphone », ajoute-t-il, pour parler « de tout, de rien ». Delphine Aussaguel-Jubillar évoquait « beaucoup son travail » d’infirmière de nuit en clinique, « c’était sa fierté ». En revanche, glisse Donat-Jean M., « elle parlait très très peu de Cédric, c’est quelque chose qu’elle éclipsait beaucoup dans les discussions ». L’intéresse ne le lâche pas du regard depuis son box. Ses jambes s’agitent constamment.
Très vite, Delphine et son nouveau compagnon se projettent. « On s’était renseignés pour une nouvelle voiture, on avait commencé à réfléchir à l’endroit où on voulait habiter. Notre cahier des charges, c’était la proximité des écoles », relate Donat-Jean M., dont le fils a presque le même âge que Louis, l’aîné des Jubillar, 6 ans à l’époque. Les petits garçons se sont aperçus lors d’un appel en visio organisé par le couple, afin qu’ils fassent connaissance. Donat-Jean M. reconnaît qu’il a rêvé grand avec « Delphine ». Il s’imaginait « un mariage de prince », dans l’immense cathédrale de briques d’Albi, « la plus belle du monde », selon lui.
Le récit tant attendu de l’amant apparaît bien lisse, mais cohérent et sincère. On sent de prime abord que la défense va avoir du mal à le bousculer. Le duo d’avocats avait pourtant annoncé la première semaine du procès l’existence d’une autre maîtresse dans la vie de Donat-Jean M. : une mystérieuse coiffeuse, dont il avait, aux dires d’Emmanuelle Franck, le numéro dans ses favoris.
Il fallait pour elle écorner l’image de l’amant par lequel Delphine Jubillar semblait avoir retrouvé une réelle joie de vivre, « rayonnante » et « épanouie », selon ses amies. Mais les avocats généraux leur coupent l’herbe sous le pied et démontent soigneusement cette hypothèse : la dénommée Laëtitia lui a certes fait « du rentre-dedans », mais Donat-Jean M. assure qu’il ne l’a fréquentée qu’une semaine, « bien après la disparition de Delphine ». Un texto envoyé par celui-ci à Laëtitia est même cité par le ministère public : « J’ai perdu une personne très chère à mes yeux, je vais avoir besoin de beaucoup de temps pour me reconstruire », lui répond-il, lorsque celle-ci tente de revenir vers lui.
Mais l’avocate s’appuie sur une autre déposition pour entamer l’image de gentleman modelée par le ministère public : celle de Cathy M., son ex-femme, qui a dressé jeudi dernier le portrait d’un « pervers narcissique ». « Il avait besoin de m’avoir tout en dessous, me disait que je grossissais, qu’il allait me quitter, il fallait que je lui fasse honneur tout le temps », a détaillé cette femme de 33 ans, visiblement très affectée par cette relation jalonnée de « conflits et de disputes ».
Confronté à ces déclarations, Donat-Jean M. ne nie pas une partie des récriminations. « Pendant un long moment, elle n’avait pas d’activité. Je rentrais du travail, elle ne s’occupait pas des tâches ménagères… Donc oui, j’avais des exigences », reconnaît-il. « On sortait régulièrement : parfois, j’aurais voulu qu’elle s’habille de manière un peu plus féminine », ajoute-t-il. Dans le public, certains haussent les yeux au ciel.
Le vernis s’écaille. Et une question de la défense surgit : « Avez-vous été à Cagnac-les-Mines la nuit de la disparition de Delphine Jubillar ? » La réponse du témoin est aussi formelle que celle qu’il a livrée aux enquêteurs. « Je ne me suis jamais rendu à Cagnac-les-Mines », déclare-t-il du tac au tac. Le ton du tandem de défense change soudainement.
Emmanuelle Franck demande à la présidente de pouvoir s’éloigner un peu des questions pour procéder à « un développement » sur un point « très grave ». La magistrate refuse, mais les deux avocats passent en force. Avec son confrère, Alexandre Martin, ils se lancent dans une explication particulièrement technique. Ils affirment avoir découvert que le numéro de téléphone de Donat-Jean M. figurait parmi les centaines de numéros détectés entre 22 heures et 6 heures du matin par une cellule couvrant le domicile des Jubillar. Emmanuelle Franck considère que « cet élément a été volontairement retiré du dossier ». « Toutes les réquisitions figurent au dossier, sauf la sienne », conclut-elle.
Une rumeur montre en salle d’audience. Donat-Jean M. semble un peu surpris. « Je pense qu’informatiquement parlant, il y a forcément une explication. On l’aura », affirme-t-il calmement. La présidente ne pose aucune question et sonne la pause méridienne. En à peine une heure, la démonstration de la défense est présentée dans plusieurs médias comme « un coup de théâtre ».
Laurent Boguet, avocat de parties civiles, reprend ligne par ligne les investigations réalisées par les enquêteurs sur les téléphones de Donat-Jean M. et son épouse. « Il y a quatre ou cinq experts à qui on aurait pu adresser ces questionnements », estime-t-il, regrettant que la partie adverse ne l’ait jamais fait.
La présidente devrait décider demain de rappeler ou non des enquêteurs ou un expert pour éclaircir ce point. L’hypothèse sera confirmée ou réfutée. Peu importe : la défense poursuit chaque jour son travail de sape de l’enquête, qu’elle estime à charge contre Cédric Jubillar. Et sème le doute, une fois de plus, dans la tête des jurés.